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Les devoirs: le service militaire

Chapitre 3. Le mouvement politique

B. Les devoirs: le service militaire

La notion fédéraliste du pouvoir, la représentation égale de chaque dizain à la Diète paraît d’autant plus injuste que le service militaire est prélevé sur une base proportionnelle. Le Valais devait fournir à la Confédération un contingent de 1280 hommes d’élite avec une proportion de deux soldats sur cent habitants, et autant de réserve196. C’est ainsi que le Haut-Valais fournissait 27,9 % des hommes, le Centre 24,7 % et le Bas-Valais 47,4 % d’après la loi sur l’organisation militaire de décembre 1819197.

L’article 13 exemptait les ecclésiastiques, les autorités jusqu’à et y compris les présidents de commune et certains fonctionnaires. Il existait des accommode-ments pour les médecins, les étudiants en théologie, les écoliers et les membres de familles nombreuses (deux fils sur trois ou quatre, trois sur plus de cinq, art. 15), enfin pour «les fils et les petits-fils uniques de pères ou de mères âgés de septante ans ou atteints d’infirmités bien constatées et à qui le secours de leur fils ou petit-fils serait indispensable pour leur soutien alimentaire» !198

De plus, la taxe militaire de 24 000 francs – dont 9600 dus à la Confédéra-tion199 – est imposée d’après la proclamation du 19 janvier 1819, «d’après les bases sur lesquelles reposaient les rôles d’imposition foncière établis pour l’année 1814»200.

194 Mémoire adressé au Conseil d’Etat du canton du Valais en novembre 1833, par les quatre dizains occidentaux..., p. 36-37. Les chiffres se fondent sur le recensement de 1829, à savoir 21 760 habitants pour les dizains alémaniques et 34 349 pour les dizains occidentaux (MEYER, Les recensements de la population, p. 53). Sur l’évolution de la députation des dizains à la Diète cantonale (1825-1838), voir Annexe VII.

195 AEV, Fonds Augustin de Riedmatten, Documents politiques 1814-1857, fasc. 5, n° 7, Lettre de de Rivaz à E. de Riedmatten, du 30 janvier 1834.

196 RL, III, Pacte fédéral entre les XXII Cantons de la Suisse, du 7 août 1815, art. 2, p. 16.

197 Idem, Loi sur l’organisation militaire, 16 décembre 1819, p. 213-253.

198 Idem, art. 16, § 3, p. 218.

199 Idem, Pacte fédéral, du 7 août 1815, art. 3, p. 17-18.

200 RL, III, Proclamation du Conseil d’Etat sur la perception d’une taxe militaire, du 19 janvier 1819, art. 3, p. 206.

Tableau 2 : Contingent cantonal et taxe militaire

Selon cette taxe, l’ordre de la richesse foncière des dizains est : Monthey, Entremont, Martigny, Sierre, Hérens, Viège, Sion, Conthey, Rarogne, Conches, Loèche, Saint-Maurice et Brigue. Par habitant : Monthey, Sion, Loèche, Martigny, Rarogne, Sierre, Conches, Brigue, Viège, Conthey, Entremont, Hérens et Saint-Maurice.

Les dizains bas-valaisans, sauf Monthey, ne paient donc pas plus, par habitant, mais ils ont plus d’habitants, qui ne sont pas reconnus par l’ordre politique. Cette disproportion inquiétante entre les notions de droit et de devoir ne manquera pas d’affecter les Bas-Valaisans. Le Haut-Valais utilisera avec habileté cette possibi-lité de manœuvre.

Ainsi, en 1834, lorsque le Bas-Valais demande l’égalité des droits, le Haut-Valais réplique par une compensation : l’inégalité possible des devoirs. Lors de la conférence de Sion du 28 au 31 janvier, qui réunissait 13 députés (un par dizain) : M. le président du dizain d’Hérens [Bovier] qui paraissait entrer dans le système de S. Excellence Monsieur le grand-Baillif [de Courten], fit une proposition qui pourrait peut-être, disait-il, concilier les différentes parties du pays ; elle portait que chaque dizain fournirait une quantité égale d’hommes aux contingents militaires sans égard à

201 Idem, art. 4, p. 206.

Dizains Soldats % contingent Taxe % cant. Frs/habitant de l’élite cant. militaire Frs recensement de 1816 Conches 73 5,8 1423.20 5,9 0,39 Brigue 57 4,6 1097.90 4,6 0,38 Viège 82 6,6 1570.70 6,6 0,38 Rarogne 77 6,2 1516.20 6,3 0,39 Loèche 59 4,7 1254.70 5,2 0,42 Haut-Valais 348 27,9 6862.70 28,6 0,39 Sierre 118 9,4 2328.90 9,7 0,39 Sion 66 5,3 1569.50 6,5 0,47 Hérens 125 10 2032.10 8,5 0,32 Valais central 309 24,7 5930.50 24,7 0,38 Conthey 88 7 1522.80 6,3 0,34 Entremont 165 13,2 2775.– 11,6 0,34 Martigny 123 9,8 2489.70 10,4 0,40 Saint-Maurice 93 7,4 1233.30 5,1 0,26 Monthey 125 10 3186.– 13,3 0,50 Bas-Valais 594 47,4 11 206.80 46,7 0,37 Valais 1251 100 24 000.–201 100 0,38

la population ainsi que cela se pratiquait sous l’Ancien Régime, que ce moyen allège-rait de beaucoup la charge très onéreuse qui pèse sur les grands dizains […]202. On alla jusqu’au marchandage :

Revenant sur les charges militaires, et désireux d’alléger le fardeau qui pesait sur les grands dizains, S.E. proposa de puiser dans le trésor public pour les indemniser de l’excédent d’hommes qu’ils fournissaient aux contingents militaires en sus d’une répartition égale ; elle proposait un louis par exemple à payer chaque année pour chaque homme excédant une répartition égale [...]203.

Les Bas-Valaisans refusèrent.

Les considérations sociales au sujet des levées fédérales n’attirèrent l’atten-tion des libéraux que plus tard. Pourtant, déjà en 1825, ils s’étaient prononcés contre les levées de contingents pour le service étranger204 et, dès 1832, la polé-mique devint virulente.

Ainsi, lorsque le général Eugène de Courten fit recruter 640 hommes, La

Constituante, Gazette vaudoise remarqua que le Valais aurait tellement besoin des 3000 âmes qui correspondent à l’accroissement de la population depuis 1812205.

Louis Gard attaqua violemment le service mercenaire napolitain, dans les numéros 37 et 45 de L’Helvétie de 1832, ce qui suscita la réaction du chargé d’affaires de Naples qui dénonça la trop grande liberté de la presse suisse. Le gou -vernement valaisan se montra particulièrement embarrassé206. Selon Gard, il convient d’occuper les personnes sans travail au défrichement des terres incultes207.

En 1837, César Gross s’intéressa au recrutement fédéral ; sa position diffère singulièrement de celle des négociateurs de 1834 :

N’y a-t-il rien à dire sur la taxe militaire existante dans notre canton ? Le mode jus-qu’ici suivi pour la levée de nos contingents fédéraux est, à la vérité, juste et ne peut se faire différemment. Prendre les hommes où ils sont, est et sera toujours une vérité reconnue par les peuples de toutes les nations. Fort bien ; mais faire ensuite supporter au père de famille pauvre, chargé de nombreux enfants, parfois tous requis pour ce service, les dépenses de leur équipement et de leur armement militaires ; [...] d’autre part, il faut faire contribuer le riche qui n’a pas d’enfant mâle, au soutien du pauvre qui fournit son sang pour protéger la personne de l’homme fortuné et défendre ses biens, au péril de sa vie208.

Le conflit ne concerne donc pas seulement l’hégémonie régionale, il affecte aussi les classes populaires.

202 Archives de la commune de Monthey [désormais cité AC Monthey], F 1551, Lettre de Michel-Hippolyte Pignat représentant du dizain de Monthey à Pierre-Louis Du Fay, président du dizain, 1ermars 1834.

203 Ibid.

204 Déjà le général Roten en 1824, voir ci-dessus, chapitre 1.I.1.

205 La Constituante, Gazette vaudoise, 24 mai 1832, Il s’agit de 3000 hommes ; la différence entre les recensements de 1811 et de 1829 est d’environ 10 000 habitants.

206 Sur cette question, voir AEV, 1110-1, Lettres expédiées par le Conseil d’Etat, vol. 35, Corres-pondance avec l’extérieur (1833-1836).

207 Voir aussi La jeune Suisse, 9 avril 1836.