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L’idée révisionniste

Chapitre 5. La révision du Pacte fédéral

A. L’idée révisionniste

L’idée d’une révision du Pacte fédéral de 1815 paraît être née en même temps que le Pacte lui-même élaboré sous la pression étrangère. C’est cependant vers la fin des années 1820, avec la constitution des différents mouvements libéraux, la multiplication des sociétés fédérales et la montée de l’idée nationale, que l’organi-sation de l’Etat central devint irrémédiable. En 1828, Frédéric-César de La Harpe parlait d’une union plus étroite, sur une base progressiste. En 1829, l’Appenzel-lois Zellweger critiquait l’incapacité de la Diète409.

A peine le parti du mouvement avait-il réussi à réviser les constitutions de nombreux cantons dans le sens progressiste et démocratique, qu’il songeait à réformer radicale-ment la Confédération rétrograde afin de mettre le droit fédéral en harmonie avec le nouveau droit constitutionnel des cantons régénérés, et cherchait à créer une autorité centrale plus forte410.

Le signal du mouvement révisionniste, qui ne devait se terminer qu’en 1848, fut lancé par Casimir Pfyffer. Au début de 1831, le juriste lucernois, dans un Appel

au canton directeur de Lucerne, se prononçait pour la création d’un Etat fédératif. Le canton de Thurgovie décida de soulever la question à la Diète ordinaire de 1831. Huit cantons se prononcèrent sur l’entrée en matière de la proposition. La révision fut résolue en principe le 17 juillet 1832 et une commission de quinze membres fut chargée de préparer un projet qui devait être soumis à l’examen des cantons. Le 15 décembre, cette commission publiait son Projet d’Acte fédéral de

la Confédération suisse, rédigé par Gallus Jakob Baumgartner et accompagné d’un rapport du professeur genevois Pellegrino Rossi411.

B. Le projet d’Acte fédéral

En nous prescrivant de préparer la révision, la Diète nous a chargés de trouver les moyens de rétablir l’harmonie entre la loi fédérale et l’état du pays, de chercher cette expression sincère que le Pacte de 1815 n’offre plus412.

La nouvelle Suisse devait présenter un visage de paix, de liberté, d’indépen-dance et de progrès. Pour y parvenir, les penseurs libéraux préconisaient un ren-forcement du lien fédéral basé sur la souveraineté cantonale. Ils voulaient un Etat central suffisamment fort pour assurer une «régénération à la fois politique et industrielle»413, un pays neuf, capable de satisfaire les nouvelles aspirations natio-nales et bourgeoises, «La Patrie suisse».

Le nom de Suisse [...] Ce mot domine nos diversités de langages, de mœurs, de reli-gion, d’industrie […] Seul, il est pour nous, dans notre langage, la véritable antithèse

409 DIERAUER, Histoire de la Confédération suisse, V, 2, p. 655.

410 Idem, p. 656.

411 Idem, p. 658 et suiv. Sur la révision du Pacte fédéral, voir DIERAUER, Histoire de la Confédéra-tion suisse, V; William RAPPARD, «Un projet volontairement oublié de réforme du Pacte de 1815 (1830)», dans Revue d’histoire suisse, XXI, 1941, fasc. 2, p. 229-249 ; BAUMGARTNER, Die Schweiz in ihren Kämpfen und Umgestaltungen; BONJOUR, Die Gründung des schweizerischen Bundesstaates, qui contient une bibliographie détaillée, p. 347 et suiv. ; KÖLZ, Histoire constitu-tionnelle de la Suisse moderne, chapitre XIV, p. 412-448.

412 [Pellegrino ROSSI], Rapport de la commission de la Diète aux vingt-deux cantons suisses sur le projet d’Acte fédéral par elle délibéré à Lucerne le 15 décembre 1832, Genève, décembre 1832, p. 5.

d’étranger. C’est lui qui nous imprime un cachet ineffaçable de nationalité com-mune414.

Pour continuer l’histoire d’un pays «formé par l’adhésion successive d’états indépendants, ayant chacun leur propre individualité»415, pour respecter la tradi-tion et la fierté des cantons, pour modérer également les pressions excessives d’un Etat unitaire, le canton demeurait l’entité souveraine. Les révisionnistes étaient conscients de la résistance farouche de quelques cantons qui se considéraient comme politiquement indépendants :

Si l’on peut, en effet, citer quelques cantons où la souveraineté locale se laisserait sans peine subordonner à une vaste centralisation, serait-il difficile d’en citer plusieurs autres, où le sentiment de la souveraineté cantonale est non seulement vif et profond, mais aussi jaloux et presque exclusif ?416

Ainsi, Rossi, le porte-parole des révisionnistes, entendait substituer l’idée de concession faite par le tout aux parties et par les parties au tout à la notion de délé-gation ministérielle, l’Etat fédératif à l’alliance.

La première partie du projet définissait exactement ce que devait être la nou-velle Confédération. Elle exigeait des cantons la soumission de leur constitution à l’examen de l’autorité fédérale (art. 6) ; elle interdisait les alliances séparées (art. 8), réservait les droits de représentation à l’Etat central (art. 11 et 12). L’Etat était fondé sur la prospérité et le progrès (art. 3). Son but était de supprimer, tout au moins d’améliorer, les survivances féodales qui gênaient la formation d’une entité moderne et la possibilité de dialoguer avec les Etats voisins. Il garantissait la liberté de commerce à l’intérieur du pays (art. 14) et régularisait, en les unifiant, les perceptions des péages et des droits de consommation (art. 15 à 25). Le projet centralisait les postes (art. 26), unifiait les monnaies (art. 27), les poids et mesures (art. 30 à 33) en prévoyant un système de finance nécessaire à l’entretien de l’ar-mée, basé sur la création d’une caisse fédérale, sur les douanes, les postes et les poudres et, en cas de besoin, sur un subside différentiel fourni par les cantons (art. 35 et 36).

Le système économique, comme aussi le système des finances et la promulga-tion de la liberté d’établissement (art. 36) allaient provoquer une réacpromulga-tion violente des cantons conservateurs. Le mécanisme se voulait libéral, favorable à une expansion capitaliste et dépourvu de préoccupations sociales : «Le libre établisse-ment ne protégeant ni les hommes immoraux, ni les mendiants, ces cantons repoussent l’industrie, les capitaux et le travail productif, qui est aussi une source de richesse nationale.»417 Rossi justifiait le libre établissement par la concentra-tion capitaliste :

[…] il s’agit de savoir si l’industrie suisse et les sources de notre richesse seront exploitées dans un vaste et seul atelier national, ou dans vingt-deux petits ateliers. Le second cas se vérifie lorsque les lois cantonales sur les créanciers, sur les hypo-thèques, sur l’administration de la justice, ne protègent pas la sûreté et la liberté des capitaux et des personnes ; il se vérifie surtout (et c’est le seul point dont nous nous occupons) lorsque le libre établissement n’est pas garanti418.

414 Idem, p. 18.

415 Idem, p. 21.

416 Idem, p. 12.

417 Idem, p. 27.

Rossi estimait que les frais dus à la nouvelle administration fédérale étaient compensés par la suppression d’une foule de dépenses inutiles419. Il était ferme-ment convaincu de la relation entre le politique et l’économique qui semblait la raison d’être du nouveau Pacte :

Quelle solidité peut-on espérer de donner au système politique, s’il était constaté que les cantons ne peuvent pas tomber d’accord sur le règlement de quelques intérêts financiers, et qu’ils sont décidés à persévérer dans des mesures hostiles les uns envers les autres ! Très-honorés Messieurs, la question politique et la question matérielle sont étroitement liées420.

Le deuxième chapitre du projet était consacré aux autorités fédérales. Celles-ci se divisaient en un pouvoir législatif, la Diète, un pouvoir exécutif, le Conseil fédéral, un pouvoir judiciaire, la Cour fédérale, enfin, une Chancellerie.

Le pouvoir législatif serait monocaméral : la Diète, formée par deux représen-tants de chaque canton, sans tenir compte du nombre d’habireprésen-tants. Le projet libéral reconnaissait ainsi le principe de la souveraineté cantonale, tandis que les divers mouvements cantonaux basaient leurs programmes sur l’égalité de la représenta-tion. Il s’agissait donc d’une progression de structure qui pour le Valais avait pour conséquence de transférer l’unité souveraine du dizain à l’Etat cantonal, seul interlocuteur valable au niveau fédéral.

Le caractère démocratique était faible. L’individu voyait ses libertés recon-nues, mais il n’avait pas droit d’initiative ni de référendum. Il n’apparaissait pas dans un système politique basé sur une intégration fédérale. Dans ce sens, il était difficile de parler de démocratie même indirecte.

Rossi justifiait cette conception, en premier lieu, par sa vision bourgeoise d’un Etat dont les «intérêts matériels» ne reposaient pas sur le seul critère de la popula-tion, mais aussi sur «la richesse, l’industrie, la grandeur du territoire, la position géographique»421. Sa dialectique se fondait sur deux principes sociojuridiques, bases de tout l’édifice. Le premier, national, reposant sur la représentation propor-tionnelle à la population, aboutirait à nier la souveraineté cantonale affirmée à l’article 2 ; il était de plus impraticable et correspondrait à un Etat centralisé, sans contrepoids. Le second principe, fédéral, était destiné à éviter que le canton ne soit considéré que comme une vulgaire division du territoire. Il devait surtout éviter des réactions qui auraient grippé la machine gouvernementale. Le système bica-méral était exclu pour des raisons essentiellement financières.

Le projet définissait évidemment les règles du jeu politique. Ainsi, la Diète dont les séances seraient publiques (art. 49) délibérerait en assemblée «instruite» pour certaines affaires dites «de première classe» (art. 57) ; sans instruction, mais avec décisions demandant la ratification des cantons pour les affaires de deuxième

419 «Les commissions, l’administration séparée des fonds de guerre, les frais de transport de la chancellerie, qui absorbaient à eux seuls 300 à 400 louis tous les quatre ans, période sur laquelle nous avons calculé la moyenne, tout cela disparaît au moyen d’un gouvernement fédéral stable, fortement organisé, uniquement occupé des affaires de la Confédération et responsable.» (Idem, p. 69).

420 Idem, p. 35.

421 Idem, p. 81. Rossi formulait une règle de compensation basée sur l’idée que le bien cantonal à défendre par l’Etat fédéral est égal aux charges à fournir par les cantons : «Au reste, en dernier résultat, tout se compense. Celui qui fait un effort double retire de sa qualité de confédéré un profit double. La Confédération protège le vaste territoire et les richesses des uns, comme l’étroit domaine et la médiocre fortune des autres, l’indépendance et la liberté de tous.» (Idem, p. 82).

classe (art. 58) et, comme assemblée «tout à fait libre» pour les autres affaires. Les articles 43 à 54 définissaient les compétences du pouvoir législatif. Quant au pou-voir exécutif, il était exercé par un Conseil fédéral composé de cinq membres : un landamann et quatre conseillers pour les départements militaire, de l’intérieur, de l’extérieur et des finances. Le Pacte créait une Cour fédérale de justice (art. 102 et 103). Il se terminait sur un troisième chapitre prévoyant les possibilités de révi-sion.

Les auteurs avaient en effet conscience du côté transitoire de leur œuvre, mais ils entendaient lutter «contre les dangers de l’immobilité et contre ceux d’une marche inconsidérée»422. Ce Pacte qui présentait un nombre d’améliorations évi-dentes allait se heurter aux cantons traditionalistes et aux radicaux, partisans d’un système fédératif et d’une réforme plus complète des institutions fédérales.

II. L’attitude du gouvernement valaisan

Les passions s’envenimèrent rapidement. Face au Concordat des Sept423, se dressa, en 1832, le Sarnerbund qui groupait Uri, Unterwald, Schwyz-Intérieur, Neuchâtel et Bâle-Ville424. Les troubles de Bâle, de Schwyz et de Neuchâtel obs-curcissaient le débat.

Comment le Valais allait-il réagir ? Le canton, divisé entre aristocrates, tradi-tionalistes du Haut et libéraux du Bas, risquait de s’enflammer d’autant plus rapi-dement que le clergé ne manquerait pas de s’agiter contre toute velléité révision-niste. Le bréviaire clérical et ultra-traditionaliste fribourgeois, Le Véridique, avait des lecteurs ! Le pays vivait encore sous le choc des troubles de 1831 ; les adver-saires s’observaient.