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La notion de droit: la représentation proportionnelle

Chapitre 3. Le mouvement politique

A. La notion de droit: la représentation proportionnelle

1. La démographie

De 64 966 en 1821, la population résidente du canton du Valais est estimée à 77 648 habitants en 1837, soit une augmentation de 12 682 personnes ou 174 Idem, p. 105-106.

175 L’arbre de la liberté en Vallais, p. 7.

19,5 %177. La Constitution de 1815 admet l’égalité fédérative entre les dizains représentés indistinctement par quatre députés à la Diète cantonale. Cette concep-tion défendue jusqu’en 1839-1840 par le Haut-Valais, peut s’expliquer dans un Etat homogène composé de parties distinctes quant à la tradition et revendiquant une identité autonome. Sur ce plan, il y a déjà divergence entre le Haut et le Bas-Valais. En outre, la structure et l’évolution démographique des deux parties du canton diffèrent considérablement178.

Tableau 1 : Population des dizains en 1821 et 1837

Les cinq dizains du Haut-Valais disposent de vingt députés à la Diète canto-nale, soit 38,5 % sans compter les quatre suffrages de l’évêque, pour une popula-tion qui n’est que de 29 % de celle du canton. Pour leur part, les cinq dizains du Bas-Valais ont également vingt députés mais leur population dépasse 47 % du can-ton. L’écart reste stable tout au long de la période. La représentation égale des dizains désavantage également Hérens et Sierre, mais, outre les dizains aléma-niques, elle avantage celui de Sion179.

Dans le Haut-Valais, les dizains ont une structure cohérente. Ils sont divisés en un grand nombre de communes d’importance sensiblement égale, toutes

campa-177 D’après MEYER, Les recensements de la population. Les estimations de l’Annuaire statistique du canton du Valais 1978 (Sion, Office cantonal de statistique, Département des finances), diffèrent quelque peu. L’Annuaire ne tient pas compte des frontières historiques entre les dizains.

178 Sur la distinction comprenant la notion de «Valais central», voir ci-dessus, chapitre 2.II.

179 Le dizain de Sion ne comprend alors que la ville, Salins, Grimisuat, Bramois et Veysonnaz.

Dizains Pop. en 1821 Pop. en 1837 % pop. cant. 1821 % pop. cant. 1837

Conches 3767 4393 5,8 5,7 Brigue 3366 4211 5,2 5,4 Viège 4245 5152 6,5 6,6 Rarogne 4161 4539 6,4 5,8 Loèche 3264 4365 5,4 5,6 Haut-Valais 18 803 22 660 28,9 29,1 Sierre 5890 7097 9,1 9,1 Sion 3093 3968 4,8 5,1 Hérens 6419 7405 9,9 9,5 Valais central 15 402 18 470 23,8 23,7 Conthey 4481 5663 6,9 7,3 Entremont 8041 9389 12,3 12,1 Martigny 6666 7812 10,3 10,2 Saint-Maurice 4915 5691 7,6 7,3 Monthey 6658 7963 10,2 10,3 Bas-Valais 30 761 36 518 47,3 47,2 Valais 64 966 77 648 100 100

gnardes. Seules Brigue et Loèche dépassent 600 habitants en 1821. L’évolution démographique des dizains est comparable à celle de la moyenne cantonale ; elle est toutefois supérieure à Loèche et stagnante à Rarogne.

Le découpage beaucoup plus récent, parfois arbitraire, des dizains du Centre et du Bas-Valais n’offre pas la même cohésion. La population des dizains de Sion et de Conthey évoluent plus vite que la moyenne cantonale, au contraire de celle d’Hérens et de Saint-Maurice.

En 1821, le Bas-Valais comprend dix-sept communes de plus de 600 habitants et le Centre, huit. Les communes de Brigue, Loèche, Sierre, Sion, Martigny, Saint-Maurice et Monthey réunissent 11 251 habitants, soit 17,3 % de la population du canton180. Cependant, toutes ces communes, à l’exception de Sion (3,2 % du can-ton) et Monthey sont éparpillées en plusieurs villages ou «sections» comme Mar-tigny par exemple. La population du canton est donc presque exclusivement cam-pagnarde. Cependant, un chef-lieu «citadin» comme Sion ou Saint-Maurice peut diriger toute la politique de son dizain181; d’autant plus que les «villes» réussis-sent à utiliser la population non bourgeoise dans la repréréussis-sentation au Conseil de dizain, alors que celle-ci ne vote pas182.

La psychologie d’un dizain qui se considère comme une entité historique, autonome et homogène est plus «fédéraliste» que celle d’un amalgame constitué récemment comme Hérens ou Entremont. Sa politique est moins fluctuante, elle est également très différente de celle de la ville sédunoise qui veut devenir le véri-table centre du canton183. Une autre donnée peut influencer la mentalité d’un dizain, la composition de la population selon l’origine. En 1837, extrêmement faible à Entremont, Hérens et Conches, la population suisse, ressortissante d’un autre canton et étrangère dépasse 7 % du total à Sion, à Monthey et à Brigue184.

L’état de revendication d’un pays dépend aussi de son tempérament, de l’évo-lution de sa mentalité et surtout de sa situation géographique. A cet égard, le Bas-Valais était naturellement avantagé, surtout le dizain de Monthey, en contact direct avec le canton de Vaud et la Savoie ; dans une moindre mesure, Saint-Maurice et Martigny. D’autres dizains, comme Sion, Sierre et Loèche, avaient l’avantage de se situer sur l’axe central du Simplon, alors que Conches, Rarogne ou Hérens en étaient entièrement coupés. L’Entremont bénéficiait de la route du Grand-Saint-Bernard, cependant peu praticable. Cette situation peut partiellement expliquer le caractère contestataire du Bas-Valais et l’attitude diplomatique du Centre.

Sion était dans une position expectante ; destiné à être dans toute combinaison le chef-lieu du pays, la résidence de l’évêque, il n’avait pas de motif pour le provoquer [un changement]185.

180 En 1837, les communes de Saint-Maurice et de Martigny ont été divisées.

181 Voir RL, IV, Loi sur les nominations communales et désénales, du 20 mai 1826 ; voir ci-dessus, chapitre 2.III.

182 Voir ci-dessus, chapitre l.I.B.

183 C’est une attitude déjà évidente en 1814. Elle est reconnue par le ministre d’Autriche Franz-Alban Schraut (voir GAUYE, L’élaboration de la constitution, p. 50). Les Haut-Valaisans le déplorent : «[…] les Allemands, irrités que la ville [Sion] et le dizain de Sierre se soient rangés au parti des Bas-Valaisans [...] recommencent leurs clameurs méprisantes et menaçantes et leurs orateurs s’indignent qu’une villette comme Sion veuille singer les grandes villes aristocratiques de la Suisse» (DERIVAZ, Mémoires, II, p. 66).

184 Voir Annexe I : La mobilité de la population des dizains en 1837. Il s’agit de la population étran-gère (étrangers domiciliés et à demeure temporaire) et suisse (Suisses domiciliés). Les habitants perpétuels ne sont pas inclus dans ces chiffres (MEYER, Les recensements de la population, p. 61).

Cette attitude était plus réservée à Sierre, le bastion du «statu quo»186, retran-ché derrière le clan des officiers du service étranger, celui de la famille de Courten. Le phénomène géographique explique également les quelques hésitations de Loèche divisé, en 1838-1839, «entre le parti progressif et le parti stationnaire»187. Quant au reste du Haut-Valais, il était dans un état de marasme, à l’exception peut-être de Brigue, le bastion de l’aristocratie haut-valaisanne, à la porte de la Lom-bardie.

2. Les revendications

Un pays dont les structures sociales, démographiques et géographiques sont aussi disparates ne peut, derrière une Constitution mal faite, que dissimuler les mécontentements les plus divers. Il est surprenant de remarquer que, dans le contexte de l’élaboration du nouveau régime, la première manifestation de ce mécontentement ait eu lieu à Brigue, en 1816. Pourtant, c’est là une revendication populaire de «quelques va-nu-pieds et quelques meurt-de-faim»188qui protestent contre le monopole de l’Etat sur le tabac et contre le droit de patente ; ils estiment qu’il s’agit là d’imitations du régime français. Cette insatisfaction est manœuvrée par une petite bourgeoisie de «demi-messieurs» et par certains membres du clergé. Elle est dirigée tout autant contre les familles régnantes de Brigue que contre le Bas-Valais.

En 1820, Sierre demande déjà la représentation proportionnelle à la Diète. Ce dizain n’est certes pas libéral, mais il s’estime à juste titre lésé. Par la suite, jus-qu’en 1831, le mécontentement est latent189. On présage des mouvements campa-gnards dans l’électorat sédunois, en 1825. On parle d’émeutes, voir de rébellions, notamment à Monthey, en 1826190 et à Conthey, en 1829191. A l’occasion de l’élection de son châtelain, la population contheysanne refuse de choisir parmi les trois candidats présentés par le Conseil local.

La réaction aux événements de 1830 constituera le début de la phase critique du mécontentement. L’insurrection de Martigny de 1831192dirigée contre la can-didature et la loi organique n’est encore qu’une lutte régionale, du moins dans sa phase préliminaire. Il n’en ira pas de même en 1833 où les quatre dizains occiden-taux s’emparent définitivement du problème de la représentation proportion-nelle193:

Nous avons dit que la Constitution de 1815 avait grièvement lésé le peuple du Bas-Valais, dans ses droits à la représentation nationale ; en voici la preuve : Dans une forme de gouvernement tel que celui du Valais, le vote du corps législatif doit être considéré comme l’expression de la volonté du peuple, puisque c’est au nom de celui-ci qu’il parle et agit [...] mais pour que ce corps législatif soit réellement le

186 L’expression est de Rilliet de Constant : «Ces hommes-là [les de Courten] comprenaient mieux que d’autres ce qui manquait au Valais, ce qu’il aurait fallu lui donner ; mais, leur existence à eux était basée sur le statu quo. Sierre était leur lieu de retraite, pourquoi en auraient-ils troublé la douce quiétude ? » (Idem, p. 9).

187 Idem, p. 9-10. «Loèche était divisé : était-ce le contact des étrangers que les bains amenaient chaque année ? N’était-ce pas plutôt le retour de quelques hommes qui avaient été chercher au dehors l’instruction qui leur manquait chez eux ? »

188 DERIVAZ, Mémoires, II, p. 173.

189 Voir ci-dessus, chapitre 1.I.B.1.

190 Voir ci-dessus, chapitre 1.I.B.2.

191 PAPILLOUD, «Conthey et les Contheysans dans l’histoire», p. 50-52.

192 Voir ci-dessous, chapitre 4.

représentant de la nation en qui la souveraineté réside, il faut nécessairement que chaque partie du pays y soit représentée en raison de sa population. Toute autre base, nous l’avons dit, constitue privilège pour les uns et lésion pour les autres. Or, accorder aux cinq dizains orientaux qui comptent 21 000 âmes, un nombre de suffrages égal à celui des cinq dizains occidentaux qui en comptent 34 000 ; vouloir qu’un dizain qui compte moins de 4000 habitants ait une représentation égale à celle d’un autre dizain qui en compte plus de 8000, n’est-ce pas heurter de front le principe démocratique ?194

Pour la première fois, le problème de la représentation nationale est claire-ment exprimé. Les aristocrates répondent par une conception de fédéralisme inté-gral. Selon eux, les treize dizains constituent treize familles :

[…] aucun dizain, quelle que soit sa population n’a le droit d’asservir un autre quoique plus petit. Pas plus que le canton de Vaud n’aurait le droit d’asservir le canton de Genève parce que celui-ci est moins populeux ; pas plus que la France n’aurait droit d’asservir la Belgique, etc. […]195.