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Les conflits d’opinion

Chapitre 3. Le mouvement politique

B. La presse et la naissance de l’information politique

1. Les conflits d’opinion

Le libéralisme «d’inclination et d’opinion» caractérise une société élégante, se référant à une certaine esthétique, comme l’avait été l’aristocratie française du XVIIIe siècle. C’est une des phases de la psychologie contestataire. Elle cède ensuite le pas à la tendance plus virulente des combattants de la classe bourgeoise. 225 Palmerin ou Le solitaire des Gaules, mélodrame de Victor Ducange (1783-1833), romancier et

dramaturge français, favori des libéraux.

226 AEV, Fonds Louis de Riedmatten, B. Papiers divers, cart. 7, fasc. 12, 104, n° 4, Lettre de Ch.-L. de Bons à Antoine de Riedmatten, 18 janvier 1831.

227 Idem, n° 14, [24] mai 1831.

Pour changer l’état d’esprit d’un peuple, pour modifier les structures poli-tiques d’un pays, il ne suffit pas de définir une attitude critique, encore faut-il la répandre. La diffusion des idées libérales coïncide avec la naissance de la presse d’information et d’opinion229.

S’inspirant de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen230, le projet de Constitution pour la République du Valais de 1798 stipule : «La liberté de la presse est le boulevard de la République. Elle étend les lumières, et les rapports de nation à nation, et de citoyen à citoyen.»231

Les gouvernements de la Restauration redoutaient cette philosophie232. La Constitution valaisanne de 1815 passait sous silence la liberté de la presse. Dans les années de la Régénération, la Diète fédérale n’accordait la garantie aux nou-velles constitutions cantonales qu’aux Etats qui prévoyaient de réprimer les abus des journalistes. Ainsi, en 1832, le Valais devait se prononcer sur les garanties des Constitutions de Schaffhouse, Saint-Gall, Argovie et Thurgovie. «Notre députa-tion n’accordera la garantie [qu’] à celles des constitudéputa-tions […] qui consacrent le principe de la liberté de la presse, qu’autant qu’elles promettent en même temps une loi pour en prévenir ou punir les abus, si déjà la Constitution elle-même n’y a pas pourvu.»233

En 1831, le Valais avait fait une proposition à la Diète fédérale234, pour préve-nir «la licence de la presse». Une note additionnelle précisa cette motion à la Diète d’août 1832.

La proposition du Valais ne paraît pas susceptible d’être contestée. C’est déjà faire une large concession aux nouvelles théories sur la liberté sociale, que de ne pas demander, d’après les expressions du pacte, des mesures préventives ; car les Confé-dérés n’ont pas seulement juré de réprimer, mais même de détourner, de tout leur pouvoir, ce qui pourrait leur nuire […]235.

C’est là une interprétation de l’article premier du Pacte fédéral :

Comme abus de la presse, doivent être punis les écrits qui pourraient offenser soit les Gouvernements de la Confédération, soit les Gouvernements étrangers et les per-sonnes revêtues de fonctions publiques ; exciter le peuple à des attaques contre les ins-titutions légales existantes, à la révolte et à des actes contraires à l’ordre public et à la tranquillité intérieure.

229 SEBASTIÀN, «Le concept d’opinion publique» ; ARLETTAZ«La presse libérale». Voir aussi Presse et révolutions 1789-1848.

230 RIALS, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, p. 24.

231 Projet de Constitution pour la République du Vallais, du 3 mars 1798, Sion, A. Advocat, 1798, art. XIX.

232 Sous l’influence de Metternich, la Diète fédérale adopta le 1erjuillet 1823 un Conclusum sur la presse et les étrangers qui généralisa la censure et resta en vigueur jusqu’en 1829 (voir François GENOUD, «Conclusum sur la presse et les étrangers», dans Dictionnaire historique de la Suisse, vol. 3, Hauterive, 2003, p. 450). En Valais, les interventions et les déclarations contre la diffu-sion de la presse et des publications étrangères furent nombreuses tout au long des années 1820 et 1830.

233 AEV, 1001, Protocole des séances du Grand Conseil [Diète cantonale], vol. 10, séance du 25 mai 1832, § 22 des Instruenda aux affaires fédérales.

234 Voir Recès de la Diète fédérale ordinaire, 1831, § 29, littera D.

235 AEV, 1110-4, Rapports des députés du Valais à la Diète fédérale, vol. 3, 1832. Notes addition-nelles sur la proposition faite par l’Etat du Valais en 1831 relativement à la licence de la presse pour être produite au sein de la haute Diète fédérale par sa députation, en 1832, 16 juillet, au nom du Conseil d’Etat, le vice-bailli Dufour.

Ces termes empruntés [aux] lois en vigueur dans divers Cantons populaires et les plus jaloux de la liberté de la presse, ne paraissent devoir rencontrer aucune opposition236. Cette proposition fut pourtant repoussée par 17 voix, seul Unterwald appuya le Valais, Uri et Neuchâtel s’étant abstenus237.

Sous la Restauration, le Valais ne disposait que d’un Bulletin officiel, publié dès le 4 septembre 1803. En décembre 1820, pour prévenir toute publicité à la cri-tique, la Diète accorda à Joseph-Antoine Advocat le privilège exclusif de l’impri-merie sur tout le territoire de la République238. Différentes tentatives de fonder un journal d’opinion se manifestèrent à partir de 1830. Ainsi, en 1831-1832, Guillaume de Kalbermatten, ancien officier de Charles X, de tendance libérale-conservatrice adressa une requête au gouvernement qui la refusa239. En 1833, l’abbé radical Jean-Baptiste Bandelier tenta de lancer Le Patriote valaisan. Il échoua également240.

Cependant, déjà en 1825, les notaires bas-valaisans qui n’appartenaient pas aux familles dirigeantes, tentèrent d’entrer sur la scène politique. Certains eurent l’idée d’utiliser le support journalistique. Ils se tournèrent alors vers la presse extérieure au canton. César Gross, le futur penseur de la Jeune Suisse241entra en contact avec Le Nouvelliste vaudois242; il le fit avec beaucoup de précautions :

M. Fischer243voulant, dit-il, consacrer sa feuille principalement à l’utilité de sa nation [...] me pria au commencement de sa carrière (parce que j’avais quelques relations d’intérêts avec lui) de lui transmettre ce qui se passait de remarquable en Valais [...] Je ne voulus cependant rien faire sans en prévenir l’autorité. Je me rendis donc auprès de M. le Directeur de la haute police [Michel Dufour] à ce sujet, et lui fit part de la lettre

236 Ibid.

237 Les cantons répliquèrent qu’il s’agissait là d’une question qui dépendait de la législation canto-nale ; certains mêmes, comme Zurich et Vaud, se montrèrent ironiques. «Le député du Valais n’aurait pas cru que l’on envisageât cette proposition comme attentatoire aux droits de la souve-raineté cantonale. Le Valais respecte toute souvesouve-raineté cantonale […]. Le Valais ne veut corri-ger que les abus de la presse et non enchaîner sa liberté […]» (AEV, 1110-4, Rapports des dépu-tés du Valais à la Diète fédérale, vol. 3, 1832, n° 3, 1032, séance du 25 août, Rapport des dépudépu-tés de Stockalper et de la Pierre du 27 août). Voir également Recès de la Diète fédérale ordinaire de 1832, § 26, littera D.

238 Presse et révolutions 1789-1848, p. 59.

239 ARLETTAZ, «La presse libérale», p. 54-55. Voir aussi IMHOFF, «Notices sur quelques journaux valaisans». Guillaume de Kalbermatten sera le rédacteur du journal ultraconservateur La Gazette du Simplon, de 1842 à 1843.

240 Voir ci-dessous, chapitre 5.

241 Voir ci-dessous, chapitre 6.

242 César Gross essaya plusieurs cartes pour entrer dans le jeu politique, comme le témoigne cette lettre à Charles-Emmanuel de Rivaz, qui venait d’être élu grand bailli, où il lui demanda une place dans l’administration centrale. Déjà suspect de tendance libérale, il essaya de marchander : «Nous sommes à la veille de renouveler une partie de nos autorités communales ; le Quartier du Bourg [Martigny], je le sais, demande avec force que je sois présenté pour un de ses conseillers, pour faire de moi le vice-président de la commune (je vous dis les choses en confiance, comme elles sont). Rien n’est plus dégoûtant pour moi, [que] les querelles perpétuelles qui font malheu-reusement la perte de notre belle commune, et [que] les différends sans fin qui s’élèvent tantôt entre le Bourg et la Ville, tantôt entre la plaine et la montagne […]. Rien de plus dégoûtant pour moi, dis-je, que de me voir à la tête de toutes ces affaires, moi qui n’aspire qu’à la tranquillité et qui n’ai pas l’ambition d’un grand nombre des nôtres parce que je n’en ai pas les capacités. Si donc, tant était que j’eusse le bonheur d’être placé près de votre Excellence, je refuserais tout emploi dans notre commune bouleversée.» (AEV, Fonds de Rivaz, cart. 54, Lettres écrites à Charles Emmanuel de Rivaz, fasc. 11, n° 197, Lettre de C. Gross à Ch. E. de Rivaz, 22 mai 1825.)

243 Il s’agit de Henri Fischer, fondateur de L’Ami de la vérité en décembre 1822 et du Nouvelliste vaudoisen 1824, voir ARLETTAZ, Libéralisme et Société, p. 202 et suiv.

même de M. Fischer. Je priais ensuite M. Pommier et M. le Docteur Bonvin de me faire passer les délibérations du Conseil d’Etat qui pourraient être rendues publiques244.

Accusé d’avoir été l’auteur d’une note concernant la route du Grand-Saint-Bernard, insérée dans le numéro 42 du Nouvelliste vaudois de 1825, Gross préten-dit qu’il n’avait jamais communiqué que

des relations de faits indifférents […]. Si je vous disais tout, vous verriez que je me suis même permis des observations à M. Fischer, relativement au clergé qu’il déchirait sans cesse dans les commencements [...]. Je lui conseillai de laisser les Ecclésias-tiques en repos245.

Les journaux vaudois se mêlèrent peu des affaires valaisannes avant 1830. Cependant, après la nouvelle Constitution vaudoise, acceptée par le peuple le 20 juin 1831, ils devinrent de plus en plus virulents. Leurs correspondants s’insi-nuèrent dans les querelles des clans valaisans dont ils devinrent les porte-parole. La plus célèbre polémique opposa, en 1831, La Constituante, Gazette

vau-doise, et les libéraux montheysans que le journal accusait de collaboration avec le gouvernement dans la crise de Martigny246. Le journal s’attacha à démontrer le manque de liberté des Valaisans que «les prétendus libéraux montheysans» ne dénonçaient pas. Le notaire Adrien-Félix Pottier247 était particulièrement visé : «Au reste, que lui importe ! La liberté de la presse existe pour lui ; car, il publie tout ce qu’il veut, et il est même fort douteux que ce soit à ses frais.»248

Les Montheysans répliquèrent avec violence. Pottier s’en prit au rédacteur Leresche, dans une copie de lettre où il dénonça 18 assertions tirées de La

Consti-tuante, Gazette vaudoise :«Sans aucune réfutation […] parce que la notoriété me dispense de cette peine»249.

Le gouvernement valaisan n’aimait pas que la presse étrangère se mêlât de ses affaires. Il délégua à Lausanne l’intendant des postes, Charles Bovier, chargé d’in-tenter un procès au journal vaudois. Le magistrat valaisan fut muni d’un exposé des griefs du gouvernement qui invoquait l’article 6 de la loi vaudoise du 14 mai 1822250.

244 AEV, DJP I, 89, Police de la Presse, fasc. 8, Lettre de C. Gross au grand bailli de Rivaz du 6 juin 1825. Les affirmations de Gross sont exactes ; il a demandé une autorisation le 9 décembre 1823 (Idem, fasc. 15).

245 Idem, fasc. 8.

246 Voir chapitre 4.III.A.

247 Voir REICHENBACH, «Adrien-Félix Pottier (1792-1855)».

248 La Constituante, Gazette vaudoise, 24 octobre 1831.

249 Copie d’une lettre du capitaine P’ (Pottier) en réponse à celle que Mr. le ministre Leresche, ancien rédacteur de La Constituante, a fait insérer dans cette feuille, sous la date du 2 octobre, 17 octobre 1831.

250 Recueil des Lois. Décrets et Autres Actes du Gouvernement du Canton de Vaud, et des Actes de la Diète Helvétique qui concernent ce canton, 1822, XIX. Loi du 14 mai 1822, sur la presse. Art.2. «Les crimes et les délits commis par le moyen de l’impression, de la gravure, de l’art lithographique, ou tel autre procédé analogue, sont réputés consommés par le fait de la publica-tion. Ils sont punis comme suit : Art. 6 : Quiconque aura, par l’un des mêmes moyens, offensé la personne d’un Souverain, ou l’un des Gouvernements appartenant à la Confédération suisse, ou l’étranger, sera puni d’une détention d’un mois à un an, et d’une amende de cent à cinq cents francs.»

Tout cela ne déplut pas forcément au journal :

Le nouveau degré d’intérêt que le gouvernement du Valais vient de donner pour ses ressortissants à La Constituante, Gazette vaudoise, impose aux rédacteurs de cette feuille un nouveau devoir, celui de s’occuper plus activement de ce canton et de satis-faire les désirs de leurs abonnés valaisans251.

Il n’y aura finalement pas de procès, en raison de l’opposition de la Diète valaisanne «car, en ce moment, une grande partie de nos députés, ceux mêmes du Haut-Valais, ne voient plus les événements de Martigny sous les mêmes cou-leurs»252.

Le Nouvelliste vaudoiset La Constituante, Gazette vaudoise, donnèrent ainsi au combat libéral une teinte plus ardente. Ils essayèrent d’attirer l’attention du peuple valaisan ou du moins celle de la moyenne bourgeoisie des avocats et des notaires. Ils renforcèrent l’aversion des autorités :

Qui est-ce qui se serait imaginé que ce peuple si loyal, tant ennemi des nouveautés se laisserait persuader par les infâmes journalistes, par les démagogues remplis d’une ambition démesurée, soldés par les Comités-Directeurs qui se multiplient et cherchent à s’organiser partout ? […] Non contents des avantages que de sages constitutions leur avaient assurés, la plus grande partie des Cantons les ont échangées contre de nou-velles qui ont la folle et abusive souveraineté du peuple et la scandaleuse liberté de la presse pour bases fondamentales. Il est bien entendu que les libéraux journalistes qui n’ont ni vérité, ni honneur, ni charité chrétienne à cœur, en profitent à leur gré pour répandre leurs pernicieuses doctrines dans tous les coins de l’Europe, en injuriant les Souverains auxquels nous avons l’obligation de la restauration de notre liberté253. Dès 1833, l’apparition à Porrentruy de L’Helvétie de Gaullieur renseignée par des correspondants aussi virulents que Louis Gard et l’abbé Bandelier, accentua le côté impitoyable du conflit. Gard qui signait «un radical valaisan» voulait se dis-tinguer des milieux libéraux, «presque tous nos libéraux sont juste-milieu, aimant leurs aises, leurs places, et supportant impatiemment la censure»254. Il dénonça la division de 1831 :

Voilà la mesure de notre libéralisme ! Tous ceux qui s’opposèrent en 1831 à la planta-tion de l’arbre de la liberté sont maintenant les plus acharnés à déployer l’étendard fédéral. Inconséquence étrange qui prouve le peu de lumières et d’instruction solide de nos libéraux ; si les gens plus éclairés du Bas-Valais commettent de pareilles fautes, il n’est pas étonnant qu’une populace imbécile et fanatique commette des horreurs !255

Gard essaya ensuite d’éveiller l’intérêt de la nouvelle génération libérale sur les aspects démocratiques et progressistes qui marqueront la deuxième phase de la lutte de 1834 à 1839. En dépit d’un contrôle strict – L’Helvétie, par exemple, se fera interdire en février l835256–, la presse étrangère réussit à s’infiltrer assez pro-fondément en Valais.

251 La Constituante, Gazette vaudoise, 6 décembre 1831.

252 Idem, 16 décembre 1831. Sur les incidences de cette affaire dans le canton de Vaud, voir ARLET

-TAZ, Libéralisme et Société, p. 391.

253 AEV, 1001, Protocole des séances du Grand Conseil [Diète cantonale], vol. 9, séance du 28 novembre 1831, Discours d’ouverture du grand bailli de Sépibus.

254 L’Helvétie, 14 juin 1833.

255 Idem, 14 mai 1833 (allusion à la bastonnade de Martigny).