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Les causes de l’échec

Chapitre 5. La révision du Pacte fédéral

B. Les causes de l’échec

Les débats de la Diète cantonale et la guerre des pamphlets ont suffisamment montré que les principales raisons de l’échec du projet d’Acte fédéral étaient, en Valais, avant tout religieuses et économiques. Toute la législation valaisanne était destinée à «protéger» les citoyens contre la pénétration étrangère au canton, qu’elle soit idéologique ou matérielle. Pour les traditionalistes, l’étranger était aussi bien les cantons de Vaud et de Genève que la Sardaigne et la France. Dans cette optique, le nouveau Pacte était synonyme de sujétion :

L’on disait que bientôt l’on verrait s’élever en Valais des temples protestants, que toutes les religions y seraient admises ; que nos filles se marieraient avec les enfants de Calvin, de Luther et même avec des Juifs ; que des impôts multipliés écraseraient le peuple ; que le paysan ne pourrait pas même tuer un veau, un agneau, sans payer à l’Etat un droit excessif, etc [...]525.

Le projet d’Acte fédéral aurait bouleversé toutes les habitudes établies. Il aurait changé les structures confédérales et, par contrecoup, cantonales. Si le can-ton devait être représenté dans une fédération au lieu de déléguer des députés à

522 Idem, séance extraordinaire du 24 août.

523 Idem, séance du 25 mai.

524 Idem, séance du 31 mai.

une conférence de ministres agissant ad referendum, les dizains auraient forcé-ment perdu leur souveraineté au profit d’une centralisation cantonale.

Les libéraux le comprirent aisément. Ils purent ainsi porter le débat sur une question d’ordre général qui leur permettait de remettre en cause la société valai-sanne, au lieu de mener un combat de guérilla politique à travers les dizains et les communes.

La raison principale de l’échec paraît toutefois économique et financière. Le Valais vivait essentiellement du transit des marchandises sur l’axe du Simplon ; il produisait peu et ne consommait pas beaucoup de produits extérieurs. Il fondait son système financier sur le monopole des sels, sur les taxes de transit, les péages, les droits d’entrée et de sortie.

Tableau 6 : Recettes de l’Etat en 1831526

526 AEV, 1001, Protocole des séances du Grand Conseil [Diète cantonale], vol. 10, séance du 29 mai 1832.

527 La balance des comptes de 1831 n’est pas très claire en ce qui concerne la régie des postes et diligences ; nous avons regroupé la régale de la poste aux lettres et son nouveau service (ensemble 6847 francs) avec la rétribution pour le privilège du service de la poste aux chevaux (1284 francs). Le rapport du Conseil d’Etat sur l’exercice de 1832 indique un produit net sur la régie des postes et diligences de 11 742 francs (3,8 % des recettes) après déduction d’une aug-mentation de matériel d’une valeur de 4074 francs. «Sans pouvoir se flatter de quelque certitude d’avoir chaque année un pareil résultat, l’avenir se présente cependant sous des apparences assez favorables. Les nouveaux traités offrent de nouveaux avantages. Les établissements qui se sont formés depuis le mois d’août sur le trajet de Domodossola à Milan, l’intérêt qu’y prend le gouvernement de la Lombardie, le prix qu’y met le canton de Vaud sont bien propres à accréditer de plus en plus notre route, à donner au Simplon une préférence marquée pour les relations entre Paris et Milan […]». (Idem, annexe, Compte de l’Etat, exercice de 1832). – Le budget de 1834 prévoit une recette de 16 000 francs, soit 7,8 % du total pour la régie des postes et des diligences, ce qui porterait à 37,7 % la partie du revenu atteinte par le projet d’Acte fédéral. (Idem, vol. 10, séance du 9 décembre 1833.) On comprend que le Valais soit réticent à la centralisation.

528 Idem, vol. 10, séance du 29 mai 1832. – Les droits d’entrée et de sortie sont en baisse lente. 1832 : «La Régie des droits d’entrée, sortie, etc. a, en 1832, donné à peu de chose près, les mêmes résultats qu’en 1831. Le Droit de la Barrière du Simplon s’est élevé de 2000 francs. Le nombre des voitures qui ont passé le Simplon a été de 1001. Celui des chevaux, 2839.–.

Rubriques Nombre absolu %

Vente des sels 169 617.– 55

Droit d’entrée des régies :

Régie orientale 11 133.–

Régie occidentale 58 184.–

Autres droits (Barrière du Simplon, etc.) 13 459.–

Total : 82 776.– 26,7

Système des postes527 8131.– 2,6

Système des patentes 9797.– 3,2

Divers (régales, permis, droits de sceau, contribution

des dizains, bains de Loèche, etc.)528 38 781.– 12,5

Total des recettes : 309 102.– 100

Les dépenses s’élevaient à 322 228 francs. La balance était donc déficitaire de 13 126 francs ; mais c’était là une année exceptionnellement chargée. Les troubles du Bas-Valais avaient coûté 18 615 francs ; les sessions de la Diète, plus nom-breuses, 14 267 francs et les dépenses fédérales extraordinaires 6749 francs. Tableau 7 : Dépenses de l’Etat en 1831529

Ces finances paraissent donc saines. Le déficit est faible et exceptionnel et la dette publique ne paraît guère supérieure à l’encaisse.

Cet état financier ne correspond évidemment pas à l’état économique du pays. C’est le type de bilan d’une administration peu en contact avec les réalités vitales de la population. Si les frais d’administration ne sont pas trop lourds, le gouverne-ment ne se préoccupe pas du tout du marasme social dans lequel croupit le pays. Il préfère avoir une gestion en ordre. L’argent ne circule pas ; il y a thésaurisation.

Sous un tel régime, le projet d’Acte fédéral est tout à fait inacceptable. Il pré-voit une organisation militaire centralisée qui nécessiterait pour son entretien une économie fédérale basée sur les intérêts du fonds capital existant, sur les douanes fédérales ; sur la centralisation des postes et sur l’administration des poudres530. Il prévoit également la suppression des droits de passage entre les cantons (art. 14) et même des suppressions éventuelles sur les produits provenant de l’étranger (en cas de traité avec la Confédération, art. 19). Ainsi, pour une réduction des

L’augmentation de la recette n’a toutefois pas suivi la proportion qu’établirait la différence qui se trouve entre le passage de 1831 et celui de 1832 ; une diminution dans le transit des marchan-dises n’a pas laissé jouir nos finances de cette faveur.» (Idem, vol. 10, 1832, annexe, Compte de l’Etat, exercice de 1832). – Le budget de 1834 prévoit 62’000 francs de droits d’entrée, sortie, et consommation et 15 000 francs pour la Barrière du Simplon, soit 37 % des recettes qui ne mon-tent plus qu’à 204 990 francs en raison d’une sérieuse baisse des sels (plus que 90 000 francs). (Idem, vol. 10, séance du 9 décembre 1833).

529 AEV, 1001, Protocole des séances du Grand Conseil [Diète cantonale], vol. 10, séance du 29 mai 1832.

530 ROSSI, Rapport de la commission de la Diète, p. 67 et suiv.

Rubriques Nombre absolu %

Frais d’administration 54 974.– 17

Instruction publique (collège, chaire de droit) 11 696.– 3,6

Travaux publics 98 882.– 30,6

Militaire 26 980.– 8,4

Police 27 695.– 8,6

Sel 73 930.– 23

Affaires sociales (enfants trouvés, secours publics) 2206.– 0,7 Divers (frais d’insurrection, etc.) 19 201.– 6

Intérêt de la dette publique 5 228.– 1,6

Non retrouvé 1436.– 0,5

Total des dépenses 322 228.– 100

dépenses militaires du canton (8,4 %), celui-ci serait atteint dans la plus grande partie des 32,5 % de son revenu que constituent les droits d’entrée, les péages, les postes et les patentes.

Cette différence n’est pas du tout compensée par une relative diminution des frais de représentation à la Diète fédérale et par la reconnaissance d’un droit de consommation, impôt indirect, limité aux boissons, denrées et produits bruts du sol (art. 24).

La Confédération aura beaucoup de peine à subvenir à ses propres besoins et elle ne pourra en aucun cas donner des subsides. De plus, Rossi ne prévoit pas le rachat des droits cantonaux sauf en ce qui concerne les postes (art. 26)531.

L’économie valaisanne n’est pas de type expansif. Elle doit se transformer complètement pour attirer des devises ou pour produire. Pour l’instant, elle vit sur un système autarcique renforcé par les droits de transit. Pour adopter le projet d’Acte fédéral, il ne restait au Valais qu’une solution : l’impôt direct que ne vou-laient ni les conservateurs ni les libéraux.