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La Constitution de 1815

Chapitre 2. Le cadre institutionnel

II. La Constitution de 1815

La Constitution de 1815 qui devait régir l’Etat de la Restauration, était le résultat d’un compromis imposé par la nécessité et accepté à contrecœur. Cette «loi d’organisation» incomplète, incohérente, souvent injuste, devait mécontenter tout le monde. Le régime était celui d’une république, théoriquement démocra-tique (art. 2). Encore, faut-il s’entendre sur ces notions. La tradition polidémocra-tique haut-valaisanne repose sur la démocratie des sept dizains. Chaque dizain est une entité quasi autonome dont la base est la cellule communale. Il est jaloux de son autorité et entend maintenir son droit de référendum (art. 20)151. Il s’agit là d’une violente réaction à la politique centralisatrice de l’ère française.

De plus, chaque dizain est un Etat qui dispose indistinctement de quatre dépu-tés à la Diète cantonale (art. 15). Ainsi, la représentation proportionnelle est sup-primée. Pourtant, la tendance «démocratique» que l’on devrait plutôt appeler fédéraliste du Haut-Valais ne parviendra pas à imposer le vote global par dizain (art. 16). Il s’agit donc d’une démocratie indirecte, «une unité fédérative de carac-148 Mémoire adressé au Conseil d’Etat du canton du Valais, en novembre 1833, par les quatre

dizains occidentaux …, p. 28.

149 Idem, p. 29.

150 Projet constitutionnel du 2 août 1814, voir GAUYE, L’élaboration de la constitution, p. 35 et suiv. Sur la Constitution de 1815 et ses origines, voir également BIOLLAY, Le Valais en 1813-1814, ainsi que DERIVAZ, Mémoires, II.

151 Cette tendance est si forte que le dernier paragraphe de l’article 20 doit préciser : «Le référendum n’est point applicable aux affaires qui intéressent le Valais comme Canton de la Suisse, et déri-vent des rapports et des obligations établies par le pacte fédéral.» (RL, III, Constitution de la République et Canton du Valais du 12 mai 1815, p. 6). Le droit de referendum est exercé par le Conseil du dizain.

tère fortement décentralisé»152. Le concept actuel de démocratie en est évidem-ment très éloigné. En fait, l’unité du souverain n’est pas le citoyen, mais la com-mune ou le dizain.

Dans de telles conditions, la lutte pour la division du territoire (titre III de la Constitution) et pour la frontière des dizains apparaît prépondérante. L’article 3 précise exactement les frontières reconnues. Le Haut-Valais n’est pas parvenu à imposer sa suprématie de sept contre trois (la population des sept dizains du Haut est, d’après le recensement de 1816, inférieure à 45 % ; celle des cinq dizains de langue allemande, inférieure à 30 %). Les ministres alliés se sont cabrés devant les exigences du Haut-Valais et particulièrement l’Anglais Stratford Canning qui, en septembre 1814, de passage à Sion, déclara très nettement aux Haut-Valaisans

qu’ils ont grand tort de se croire tellement indépendants qu’ils soient maîtres de dis-poser d’eux-mêmes et de leurs ci-devant sujets comme ils l’entendent ; que c’est aux hautes puissances médiatrices que le Valais, comme le reste de la Suisse, doit le recou-vrement de sa liberté ; qu’à ce titre, elles se croient avoir quelque droit de s’immiscer dans son gouvernement et d’exiger d’eux que les nouvelles constitutions puissent faire le bonheur de la totalité de la nation et pas seulement de quelques castes ou de quelques sections d’icelle […]153.

Pour garder un certain équilibre, les ministres proposèrent de conserver la notion d’un Valais central (l’ancien arrondissement de Sion) qui serait divisé en trois dizains : Sierre, Sion et Hérens, c’est-à-dire l’ancien Hérémence agrandi de Savièse, Ayent et Arbaz ; aux cinq dizains du Haut-Valais s’opposeraient cinq dizains du Bas-Valais : Monthey, Saint-Maurice, Entremont, Martigny, partie de l’ancien Entremont déjà détachée sous l’Helvétique, et Conthey, nouvelle forma-tion qui comprendrait les communes de Conthey, Nendaz, Ardon et Chamoson. Cette solution permettait également de modifier la situation géopolitique de la ville de Sion qui pourrait recouvrer ses formes aristocratiques d’avant 1798 sans être soumise aux influences des communes environnantes154.

La notion de Valais central est cependant quelque peu artificielle. Après quelques fluctuations selon les thèmes de la politique cantonale, les trois dizains de cette région devront se déterminer en 1839.

Même défavorable, cette Constitution semble acceptable pour le Bas-Valais qui, dans une évidente position d’infériorité redoute une réaction haut-valaisanne. Pour protéger la Constitution, les dizains occidentaux font insérer l’article 57 qui devait sa retourner contre eux : «il ne peut être fait aucun changement à la présente Constitution avant le laps de 5 ans. Ces changements n’auront lieu qu’après avoir été adoptés dans deux Diètes consécutives, et décrétés à la majorité de 39 suf-frages.»155Il va de soi qu’aucune des deux parties du pays ne pouvait, à elle seule ; regrouper cette majorité.

152 SEILER, Histoire politique du Valais, p. 30.

153 DERIVAZ, Mémoires, II, p. 31. Le Haut-Valais croyant trop facilement à une restauration inté-grale s’est affaibli. Gaspard-Eugène de Stockalper, chef du gouvernement provisoire du 25 jan-vier au 30 mai 1814, a cru pouvoir jouer la carte de l’indépendance. Dans ce sens, il se rendit à Paris pour obtenir des alliés la reconnaissance d’un Valais libre, allié des Suisses et placé sous le protectorat de l’Autriche. Les Bas-Valaisans, sentant le danger, rétorquèrent en demandant l’in-corporation du Valais à la Confédération (voir GAUYE, L’élaboration de la constitution, p. 30). De plus, les tendances aristocratiques et centralisatrices de Stockalper heurtèrent les démocrates haut-valaisans (voir BIOLLAY, Le Valais en 1813-1814, p. 445 et suiv.).

154 Sous l’Ancien Régime, Sion était en effet le seul dizain qui possédait une constitution propre-ment aristocratique. Voir GAUYE, L’élaboration de la constitution, p. 16.

Aucune liberté individuelle, aucun droit fondamental n’est reconnu. Le prin-cipe de l’égalité devant la loi n’existe ni en droit ni en fait. Les conditions d’éligi-bilité, très strictes, favorisent la domination des classes supérieures. Ainsi, par exemple, l’article 18 :

Pour être élu à la Diète, il faut être âgé de vingt-cinq ans révolus, avoir rempli des fonctions législatives, judiciaires ou administratives, dans les autorités supérieures ou de dizain, avoir exercé l’office de notaire public, ou être gradué docteur dans les facul-tés de droit ou de médecine, ou enfin avoir occupé le grade d’officier dans les troupes de ligne156.

Le titre IV délimite exactement «l’état politique des citoyens»157. Les bour-geois et les communiers constituent la première classe de la population. Les habi-tants non communiers, valaisans ou étrangers, sont répartis en «habihabi-tants perpé-tuels» et en «étrangers» tolérés temporairement158. Il est possible à un étranger de devenir bourgeois ou communier, mais seulement après avoir été naturalisé par la Diète (art. 6).

L’organisation gouvernementale est à peine esquissée. La séparation des pou-voirs se limite au gouvernement (titre VI) et à l’ordre judiciaire (titre VII) ; cette séparation est d’ailleurs théorique : «les fonctions administratives et judiciaires ne sont pas incompatibles» (art. 54)159. L’exécutif et le législatif sont confondus : «Le vice-baillif, le trésorier et les conseillers d’Etat, une fois nommés, sont de droit, membres de la députation de leurs dizains à la Diète» (art. 25)160. «Le grand-baillif préside la Diète et 1e Conseil d’Etat» (art. 29)161. Les compétences de la Diète sont définies dans les articles 20 à 25, celles du grand bailli et du Conseil d’Etat dans les articles 29 à 35. Le contrôle est limité à l’examen des comptes du trésorier d’Etat par la Diète (art. 24) et de la correspondance étrangère du Conseil d’Etat (art. 29).

L’ordre judiciaire est bâti sur le même modèle fédératif ; chaque commune peut posséder un châtelain, ou un vice-châtelain, juge de première instance (art. 37). Chaque dizain possède un juge supérieur, le grand châtelain (art. 47) et un vice-grand châtelain. Le Tribunal du dizain «est composé du grand châtelain ou de son lieutenant et de six assesseurs» (art. 46)162. Le grand châtelain avec huit asses-seurs forment le Tribunal criminel de première instance (art. 50). L’instance supé-rieure est le Tribunal suprême du canton composé de treize membres, un par dizain, nommé par la Diète (art. 5l).

L’évêque dispose d’un vote à la Diète égal à celui d’un dizain (art. 19). Pour-tant, son pouvoir temporel a été fortement limité par les ministres alliés. L’évêque a perdu son vote au Tribunal d’appel, le chapitre sa participation à l’élection des premiers magistrats163. La religion catholique a seule un culte public (art. l).

En 1815, sous la pression étrangère, cette Constitution est encore un compro-mis entre la tendance réactionnaire du Haut-Valais qui entendait restaurer intégra-lement sa suprématie et la position révolutionnaire du Bas-Valais qui alla jusqu’à parler de séparation. Du reste, ce n’est qu’après que le Centre et le clergé se soient 156 Idem, p. 5.

157 Voir ci-dessus, chapitre 1.IV.

158 RL, V, Décret relatif à l’admission des habitants, du 10 mai 1830, art. 1, p. 311.

159 RL, III, Constitution de la République et canton du Valais du 12 mai 1815, p. 13.

160 Idem, p. 7.

161 Idem, p. 8.

162 Idem, p. 11-12.

montrés favorables à la médiation étrangère que les Haut-Valaisans «se résignè-rent enfin à accepter la nouvelle Constitution, mais avec proteste qu’ils ne le fai-saient que par égard pour les ministres plénipotentiaires et contre leur persuasion intime que cette Constitution ne pouvait pas convenir au pays»164.

La Constitution en elle-même aurait pu paraître relativement acceptable aux diverses parties sur bien des points, dans la mesure où elle était conçue comme perfectible165. Cependant, ses lacunes dissimulaient tout un appareil de disposi-tions éparpillées dans des règles désuètes ou dans une tradition orale que les ultras devaient se charger de codifier. Jusque vers 1828, la législation est en effet mar-quée par une volonté réactionnaire évidente, par rapport au régime de l’Helvé-tique ou à celui de l’Empire.

Le compromis ne pouvait certes pas durer. L’équilibre instable des forces, la nécessité de l’accommodement, les suprématies concédées au Haut-Valais, au clergé, à l’aristocratie, comme aussi le caractère inachevé du mécanisme gouver-nemental, tout permet de supposer que cette œuvre ne résistera pas aux pressions de quelque nature qu’elles puissent être. A mi-chemin entre une restauration de l’ordre ancien et une survivance d’une politique représentative très partielle, la Constitution de 1815, par son caractère inachevé, est peut-être le sujet de troubles le plus virulent. Chacun l’interprètera à sa façon, l’invoquera ou la rejettera sui-vant les règles admises, les prétentions désirées ou tout simplement selon sa propre volonté. Les troubles de 1839 montreront toutes les possibilités de manipu-lation de cette charte !