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Le jeu politique

Chapitre 5. La révision du Pacte fédéral

B. Le jeu politique

La célèbre «bastonnade» déclencha définitivement une hostilité irréversible entre les milieux traditionalistes et les tendances libérales. Chaque groupe fut dès lors persuadé de ce que l’autre utilisait tous les moyens même illégaux pour parve-nir à ses fins. En 1833, beaucoup plus qu’en 183l, des groupes définis ressortent nettement sur la toile politique valaisanne. Il existe désormais une droite, un centre et une gauche. Chacun possède une force légale plus ou moins grande ; cha-cun s’exprime par un journal extérieur au canton477.

La droite est composée des traditionalistes sarniens du Haut-Valais et du clergé. Son attitude ne souffre aucune discussion. L’état du pays est bon. Tout ce qui le changerait est nuisible.

Le centre est le groupe le plus légal et le moins actif. Il est représenté par la société cultivée et aisée. Il existe un centre droit aristocratique. Ce sont surtout les Sédunois qui se rendent de plus en plus compte qu’un attachement inconditionnel au Haut-Valais leur sera fatal. Ils n’osent pourtant pas se désolidariser trop ouver-tement de la politique sarnienne. La foule de Martigny avait été organisée par les forces de droite en prévision d’un coup de force libéral. Il semble évident que si le clergé proposait un enrôlement moral, les Haut-Valaisans et les aristocrates devaient fournir les forces matérielles et financières suffisantes. Certains

aristo-475 Idem, p. 216. «On dit que le sieur Pignat, l’orateur de la loge [député du dizain de Monthey à la Diète], s’en est retiré avec la mâchoire brisée et la lèvre supérieure fendue.» (Idem, p. 211).

476 Les libéraux allèrent jusqu’à accuser les prêtres du Grand-Saint-Bernard d’avoir enivré la popu-lation hostile au Pacte ! Il est inutile de s’étendre sur cette émeute et sur ces controverses. L’épi-sode est suffisamment commenté et décrit par DERIVAZ(Mémoires, III, p. 209-226) qui admet indirectement le rôle du clergé (voir p. 224 par exemple). Voir aussi l’article de Jules-Bernard Bertrand («1831-1833») ainsi que les articles des journaux de l’époque, en particulier Le Véri-dique, 16, 19, 22 et 30 avril ; Le Nouvelliste vaudois, 12 et 19 avril, et L’Helvétie, 16 et 23 avril où l’attaque contre les chanoines du Grand-Saint-Bernard est très violente. L’article du 23 est probablement de Louis Gard.

crates sédunois et leur clientèle martigneraine ne semblaient pas être très chauds478.

Le centre gauche est constitué par la bourgeoisie libérale qui gravite autour de la personnalité de Dufour. Ses dirigeants entendent réviser le Pacte et même la Constitution valaisanne, mais pas au risque de tout perdre. Ce sont déjà des autori-tés dont la fonction est importante. Ils sont rôdés au jeu politique depuis de nom-breuses années. Ainsi, Charles Bovier, le président du dizain d’Hérens, est un avo-cat, membre du Tribunal suprême, intendant général des postes. Xavier Cocatrix, président du dizain de Saint-Maurice, est commandant de l’arrondissement occi-dental. Ces deux magistrats, considérés comme libéraux, s’orientent de plus en plus vers la droite. D’autres, comme Pierre-Louis Du Fay, président du dizain de Monthey, sont attachés fortement à la philosophie libérale, mais ils commencent à vieillir. Les positions de ce cercle permettent de le considérer comme un des rouages importants de l’Etat, au même titre et peut-être plus que le centre droit des aristocrates sédunois qui ont perdu l’appui de Saint-Maurice.

Le clan Dufour représente, sans conteste, le cœur de cette tendance libérale, dominée par un certain nombre de familles apparentées. La signalisation donnée dans Le Nouvelliste vaudois479 permet d’en mesurer l’importance. En 1834, Dufour a six fils480ayant tous participé au service étranger ; un beau-fils, Charles Bovier, dont le frère est également officier au service de Naples et huit beaux-frères parmi lesquels, Gaspard-Etienne Delasoie, ancien vice-bailli, est nommé conseiller d’Etat après la crise de 1833, en remplacement de Morand ; Pierre-Louis Du Fay, le président du dizain de Monthey ; Pierre Torrent, avocat, président de la bourgeoisie de Monthey ; enfin, cinq neveux dont Alexis Joris qui se rendra célèbre dans la lutte radicale.

La famille vouvryenne paraît tout aussi dense, puisque le Conseil de la com-mune est composé de neuf membres dont huit sont les parents du député au Conseil de dizain, le rédacteur de brochures et de pétitions, Emmanuel Bonjean. Il serait pourtant faux de croire que toute la parenté de Dufour et de Bonjean appartienne au libéralisme modéré. Une partie de la famille Dufour, et particuliè-rement son fils Casimir, son neveu Alexis Joris, comme aussi Michel-Hippolyte Pignat, le député de Vouvry à la Diète cantonale, constituent une autre aile déjà plus intransigeante du libéralisme. Ce sont des gens plus jeunes, résolus à aller au-delà de la politique modérée de leurs aînés. Avocats ou officiers, ils entendent faire valoir leur rang et donner au libéralisme un corps nécessaire à son action. Cette aile jeune ne représente encore rien dans l’Etat ; elle assurera cependant la 478 «Hier [sont venus] ici 10 à 12 Messieurs de Monthey demandant aux Martignerains des

signa-tures pour la réforme de la Constitution. Personne n’a signé. 4 personnes de notre bord ont assisté à la réunion chez M. César Gross. On leur a remis le plan qui sera apporté au gouverne-ment par une députation de Bagnes, Vollèges, Orsières, Martigny. Si le gouvernegouverne-ment ne veut pas soutenir et la majorité et les amis de la Constitution, cette fois, on lâche prise, arrive que pourra, ne pouvant pas calculer les conséquences. – L’on est épouvanté pour le 11 ; ils doivent partir de Monthey au nombre de 350, armés, [et] arriver ici à la pointe du jour. Quant à moi, si on m’écoute, personne des nôtres ne bougera, point d’opposition et on ne donnera pas le moins du monde prise à une attaque. Veuillez employer votre crédit pour que le gouvernement y porte remède et que les gens tranquilles cessent d’être tourmentés. La protestation des Comberains [ou Comborens, gens de Martigny-Combe] est au gouvernement, 198 signatures, le greffier d’ici n’en compte pas 100 ! » (AEV, Fonds Louis de Riedmatten, B. Papiers divers, cart. 7, fasc. 12, 100, n° 7, Lettre de Lugon à (Pierre-Louis) de Riedmatten, commissaire des guerres du canton, du samedi [6 avril ? ]).

479 D’après l’article du 7 février 1834 du Nouvelliste vaudois, signé le Figaro valaisan.

Fig. 12 – Gaspard-Etienne Delasoie, 1768-1844, à l’âge de 44 ans (AEV, Ph 287).

relève. Enfin, on distingue quelques éléments très actifs qui s’intitulent déjà «radi-caux». Les plus célèbres sont Louis Gard481, le chansonnier révolutionnaire, cor-respondant des journaux radicaux et l’abbé Bandelier, vicaire de Monthey, qui entre en lutte ouverte avec son curé Chaperon482.