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2.2 L E STRESS DANS LE TRAVAIL

2.2.2 Les sources du stress dans le domaine professionnel

L’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les

organisations notamment les outils mobiles, associé aux nouvelles organisations du travail,

ont accentué les tensions ressenties au travail. Cette perspective a fait émerger un

accroissement des sollicitations avec l’utilisation de l’informatique et des ordinateurs, ce qui a

entraîné des bouleversements dans l'adaptation aux nouvelles situations professionnelles et

des problèmes de santé. Plusieurs études, en sociologie et en psychologie du travail, ont tenté

d’élucider les difficultés relatives à l’environnement de travail et à la santé mentale. Les

principales théories développées dans ce sens ont montré que les risques psychosociaux

s’enracinent dans la sphère professionnelle (Karasek et Theorell, 1990 ; Siegrist, 1996 ;

Vézina, 1999 ; Dejours, 1993). Leur impact s’avère lourd sur la santé mentale de l’individu

mais également sur l’organisation. Selon Légeron (2008), les risques psychosociaux se

rapportent, en fait, à de nombreuses situations mêlant dans une grande confusion causes et

conséquences : stress, harcèlement moral, violence, souffrance, suicide, dépression, troubles

musculosquelettiques, etc. Ce sont des risques que l’on rencontre précisément dans le

domaine du travail. Ainsi, ces aspects sociaux du travail agissent négativement sur le

psychisme des salariés et génèrent des effets nocifs sur les conditions de travail et la santé en

général (mentale, physique et sociale). Toutefois, il convient de préciser que le concept de

« risque » désigne le lien entre l’exposition à des facteurs de risque et les dommages qu’il

engendre. Parmi tous ces facteurs de risques, le stress est le plus répandu. Depuis les dernières

décennies, il a atteint son paroxysme dans tous les secteurs professionnels et les niveaux

socioprofessionnels. Pollock (1988) lui attribue précisément le statut d’un fait social et

culturel puisqu’il concerne toutes les sociétés (Massoudi, 2009). Cela a amené certains

partenaires sociaux à intégrer des stratégies de prévention et des plans d’action dans les

entreprises en s’appuyant sur des principes de prévention à la source (Nasse et Legeron,

2008). Néanmoins, pour arriver à la prévention, il faudrait, au préalable, identifier les sources.

Dans les milieux professionnels, quelque que soit le secteur d’activité, l’origine du stress est

liée à la perception des stresseurs. C’est la réaction aux caractéristiques inhérentes aux

conditions de travail vécues (Pepin, 1991). Or les conditions de travail ont fortement changé.

Depuis les années 1970, et avec l’avènement du progrès technique et les fluctuations du

marché, les mutations dans le monde du travail ont entraîné des changements structuraux dans

les organisations et dans les conditions du travail. Leurs impacts concrets étaient perceptibles

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à travers la mise en place de nouveaux systèmes managériaux. Pourtant, la pénibilité du

travail n’a pas pris fin. Paradoxalement, elle en a fait apparaître d’autres contraintes, liées aux

nouvelles conditions de travail (Légeron, 2008). Ainsi, l’organisation, par sa nouvelle manière

de se structurer et de fonctionner a mis en place de nouveaux schémas et de nouvelles

représentations du travail (Gollac et Volkoff, 2007). De plus, la modernisation

organisationnelle et les transformations technologiques, ont fait émerger une nouvelle réalité

professionnelle dont les conséquences sont considérables.

Il ne fait aucun doute qu’au-delà des aspects positifs et pertinents des changements, d’autres

sont plutôt négatifs et générateurs de nouveaux types de risques pour la santé, en plus des

risques physiques, chimiques et biologiques. Ce sont des risques psychosociaux susceptibles

d’affecter le bien-être et la qualité de vie au travail. Nombreux sont les auteurs qui ont mis en

cause les conditions de travail et certains facteurs liés aux changements organisationnels dans

la dégradation de la santé des individus, tels que Bruchon-Schweitzer (2002), Karasek et

Theorell (1990), Lazarus et Folkman (1984), Néboit, Vézina (2003), Weill-Fassina et Pastré

(2004).

2.2.2.1 Intensification du travail

L’intensification du travail est liée directement à l’augmentation de la quantité du travail par

unité de temps. Cela peut s’expliquer par le fait de réaliser une tâche complexe en un peu de

temps. Aussi, faudrait-il ajouter le manque de marges de manœuvre pour pouvoir faire face à

une telle demande psychologique (Karasek). Cette situation s’empire quand les moyens

matériels manquent, et invoque un travail dans l’urgence (Walstisperger et Magaud-Camus,

2009), notamment dans le secteur public. Pourtant, dans le contexte actuel, on constate un

retour à l’organisation du travail selon le modèle taylorien même si ces nouvelles

organisations se manifestent sous un aspect tacite portant le titre de « réingénierie des

processus » (Vézina, 1996). Elles fonctionnent selon des mêmes formes de travail classique

où l’autonomie est quasi-absente. Le travail est effectué dans des mouvements répétitifs,

réduisant ainsi l’utilisation des performances cognitives et la créativité. Ces organisations

prospèrent dans la grande distribution, dans les secteurs de confection, de montage et

agro-alimentaires (Davezies, 1999). Associé à une cadence temporelle élevée, le travail est devenu

une étreinte.

Par ailleurs, avec l’avènement des nouvelles technologies, l’intensification du travail a produit

de nouveaux modes d’organisation du travail pour arriver à répondre aux exigences des

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marchés économiques. Le développement technologique a dévasté les modes de production et

les rapports sociaux au travail. Les nouvelles logiques de fonctionnement fondées sur

l’amélioration du rendement, recourent à des compétences requises et des qualifications pour

faire face aux concurrences externes. Le principal constat est que toutes ces transformations

se conjuguent pour imposer de toute évidence, un intérêt particulier aux processus structurels

des organisations ainsi qu'à des qualités compétitives de productivité. Tout ceci se traduit par

une division des tâches, par une nouvelle gestion du temps et de l'espace et par l’assimilation

des nouvelles techniques dans les nouvelles situations de travail (Gollac et Volkoff, 2007).

Ainsi, analyser le travail, même succinctement, nous renvoie à l'aborder selon différentes

dimensions en tant que contexte d'action, et en tant qu'activité.

2.2.2.2 La pression temporelle

Depuis le changement opéré à la suite de l’apparition des nouvelles technologies, la

dimension temporelle a un double statut, celui de ressource et de contrainte. En fait, c'est

autour de la cadence et l’accélération des rythmes chronologiques que le travail est orchestré.

Tout se passe comme si le temps était à l’origine de la structuration de tout le travail. Le

temps alloué à l'activité productive est parcellé en temps individuels, donnant lieu à une

hiérarchisation des activités et par conséquent, une perte du sens du travail. Il s'agit d’un

éclatement de la notion du temps. Le travail à réaliser n'est que celui fixé par le contrat de

travail. Il est désormais inscrit dans une logique de l’urgence (Aubert, 2006, 2011), imposée

par la technologie qui envahit tous les secteurs professionnels. Sous l'influence d’une nouvelle

culture, celle de « l'urgence », l'individu s'engage dans un rythme accéléré synonyme d'une

surcharge psychologique permanente (Livian, 2010). L’environnement professionnel devient

davantage contraignant et pour y répondre, de l’individu dépasse largement ses ressources

personnelles. D’où l’effet délétère sur la santé des employés.

Par ailleurs, il est évident que les conjonctures actuelles, les nouvelles technologies de

l’information et de la communication (TIC), les distances entre le travailleur et l’organisation

sont de plus en plus réduites. Les rapports au temps ont complètement changé grâce aux

courriers électroniques et aux téléphones cellulaires. Néanmoins, les préjudices n’en

manquent pas. Effectivement, ils concourent à une intensification du rythme de travail. Un

fort contrôle, masqué par une autonomie de surface qui piétine aussi bien sur la sphère privée

que sur les représentations du temps (Grossin, 1998, cité par Bonneville et Grosjean, 2006).

La gestion du temps, le temps qui échappe, qui se perd, le temps à reconquérir, sont les

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nouveaux rapports à la temporalité. L’accomplissement des tâches se déroule dans un mode

d’urgence et des flux tendus. Pour répondre à la surcharge cognitive qui envahit davantage les

conditions de travail, l’individu est constamment dans un état d’adaptation à son

environnement. Il s’obstine à chercher des solutions pour préserver son emploi et son

équilibre psychique. Toutefois, lorsque le rythme perdure, le syndrome de débordement et

maladies psychique et cardiovasculaires émergent, altérant ainsi la santé au travail. Le temps

consacré à une tâche n'est plus maitrisé, il n'est plus lié à un espace bien précis. Toute la vie,

aussi bien au sein du travail qu'à l'extérieur, est envahie par le travail. Cristol (2010) le précise

bien, lorsqu’il dit que l’apparition des technologies de l'information et de la communication

permet en effet aux relations de se nouer à distance. Les frontière spatiales et temporelles

sont ainsi supprimées (p.349).

Les dimensions temporelles ont changé la vie de l'individu mais également son espace de vie

et son espace de travail. Il est par conséquent normal que les dimensions territoriales du

travail, en termes de la domestication du temps et de l'espace, ne sont plus contrôlables

(Leroi-Gourhan, cité par Carton, 1984). Si les limites entre vie privée et vie professionnelle

s'estompent progressivement, les frontières du temps et de l'espace du travail ne sont plus

décantées (Guilbert et Lancry, 2005). Dès lors, le travail est perçu comme envahissant,

affectant implicitement les modes de rapports sociaux mais aussi une surcharge

informationnelle.

Dans ce mouvement de changement et de transformation du travail, l'individu semble être

pris dans un courant l'obligeant à s'adapter aux nouvelles configurations organisationnelles.

Pour y parvenir, des efforts cognitifs et physiques sont déployés. La situation à laquelle doit

faire face l’individu est tellement épuisante que Jacques Ellul soutient que la technique est

arrivée à un tel point d'évolution qu'elle se transforme et progresse sans intervention décisive

de l'homme, par une sorte de force interne qui la pousse à la croissance, qui l'entraine par

nécessité à un développement incessant (cité par Carton, 1984, p.22). En effet, la mobilisation

forcée exigée par l’activité, les surcharges mentales et les pressions organisationnelles,

renforcent la pénibilité du travail et fragilisent par là, les liens entre la santé et le travail.

Avec l'avènement des technologies, les attentes étaient davantage liées à l'enrichissement

social et l'épanouissement au travail, néanmoins c'est la division technique et la

parcellarisation du travail qui a ébranlé la cohésion sociale. La modernisation des institutions

a engendré donc une individualisation à la suite de la spécialisation, qui a pour conséquence le

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cloisonnement de l'individu non seulement dans un secteur particulier mais aussi dans un

aspect bien précis d’une spécialité. Cette situation favorise forcément le contrôle et la

dépendance pour un type de travail (Govaere, 2002). De ce fait, certaines conditions de travail

restreignent les rapports des professionnels et installent un mode de fonctionnement basé sur

une concurrence exacerbée, en privilégiant l’efficacité et la performance au détriment de

l’individu. L’attitude adoptée est un repliement sur soi et une solitude interne (Legeron,

2003). Il a été démontré que l’intensité du travail génère des problèmes cardiovasculaires

(Uchiyama, Kurasawa, Sekizawa, Nakatsuka, 2005). Un certain nombre d’articles traitant de

l’effet de l’interaction de l’intensité du travail et de la pression temporelle sur la santé ont

montré que les conséquences peuvent entraîner la mort au travail, tel le cas de Karoshi

(Koleck, Mazaux, Rascle, Bruchon-Schweitzer, 2006).

Partant de ce constat spécifique aux relations sociales au sein de l’organisation, des études

épidémiologiques ont montré que l’environnement psychosocial au travail, en termes de

contraintes psychologiques et sociales, sont fortement liées à la santé professionnelle

(Niedhammer, David, Bugel et Chea, 2001). L’absence du soutien social, dans la théorie de

Karasek et Théorell (1990), est considérée comme facteur de risque pour la santé au travail.