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4.2 I DENTITE PROFESSIONNELLE ET IDENTITE ORGANISATIONNELLE

4.2.2 Crise d’identité professionnelle et changement de statut

Il est admis que tout système social évolue et ceci n’exclut en aucun cas le système éducatif.

Toutefois, pour s’adapter aux évolutions sociales, l’organisation, qui est un organisme

mouvant, assouplit ses structures et tient compte de la réactivité des individus (Sainsaulieu,

1998). Toutefois, pour Maroy (2005), du moment que la société évolue, le métier enseignant

doit impérativement s’aligner à ces évolutions. Car ce changement concerne aussi les

générations nouvelles et la population scolaire. Elles ont changé pour devenir plus «difficiles»

et moins enclines à la discipline. Ce qui ne facilite pas pour autant la tâche de l’enseignant.

Par ailleurs, le système éducatif dans son ensemble a obéi à la politique de modernisation de

l’école en Europe par la mise en application de différentes réformes qui ont redéfini les

finalités de la mission de l’école. Ce renouvellement a induit des changements et des

transformations dans le rôle de l’enseignant. Cela est d’autant plus vrai que les « inflexions »

et les « diffractions » (Maroy, 2005) ont complexifié le travail de l’enseignant : ce qui exige

de lui la mise en place d’une part d’un processus d’accommodation, et d’autre part de

nouvelles approches pédagogiques. En conséquence, dans ces conditions, acquérir de

nouvelles compétences se révèle indispensable pour répondre à une réalité nouvelle. Ces

impératifs mettent l’enseignant dans l’obligation de s’inscrire dans une procédure de mise à

niveau de la mission professionnelle. Car, les conditions nouvelles du travail l’appellent à

s’adapter à différentes situations d’enseignement en analysant ses propres pratiques ainsi que

leurs finalités.

Dans ce contexte, de nouvelles compétences ont vu le jour et de nouveaux processus sont mis

en application parmi lesquels «l’auto-analyse». Ce dernier est un processus cognitif qui fait

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désormais partie intégrante de l’activité intellectuelle de l’enseignant. Il permet de donner

sens aux actions de l’enseignant, d’identifier ses réussites mais aussi ses faiblesses, en y

apportant toutefois des réajustements. Il se présente comme un praticien réflexif, conscient du

contrôle des finalités de son travail et de sa capacité d’intervention active lors des difficultés

éprouvées dans sa pratique (Schön, 1994). En effet, ce processus d’adaptation aux nouvelles

exigences de l’évolution institutionnelle, renforce le travail interactif en équipe dans lequel

tous les acteurs se trouvent impliqués dans la vie de l’établissement.

Ainsi, par le biais des interactions, le travail enseignant se transforme en «travail collectif» et

conduit notamment à un changement de l’identité professionnelle tout en installant une

nouvelle identification au nouveau modèle professionnel. Par conséquent, «faire son travail»

n’est plus le seul postulat mais faut-il le faire ensemble, en groupe, en collectivité

professionnelle où émanent nécessairement des arrangements (Sainsaulieu, 1998).

Sainsaulieu (1977, cité par Mouliner et al., 2002) rappelle que le milieu de travail et

l’expérience de travail sont à la base de la construction des identités professionnelles. Dans

l’organisation du travail, des espaces d’autonomie doivent être accordés aux acteurs en

situation, permettant aux enseignants de s’inscrire dans la profession en expérimentant leurs

savoirs et leurs organisations, traduites en situations de travail.

Dans la pratique, l’expérimentation de différentes stratégies se révèle primordiales pour

l’enseignant qui apprend à gérer des situations authentiques, à confronter des problèmes tout

en prenant des risques. C’est à travers l’agir que l’apprentissage peut avoir lieu en intégrant

des normes adaptées aux situations d’interaction. Conjointement, Perrenoud (2001, 2005)

souligne que le praticien réflexif réfléchit à l’amélioration de la qualité de son enseignement,

à le rendre plus efficace et cohérent. Pour que ceci soit possible, il a besoin de confronter son

travail à celui des autres, et avec leur coopération. Dans l’action collective, les problèmes

didactiques se résorbent. Or, la pratique réflexive nécessite la présence d’un désir et d’une

volonté pour comprendre les exigences de la tâche réelle et le contenu de la tâche prescrite car

la réflexion invite le praticien à réaliser qu’il fait partie prenante du problème.

Subséquemment, procéder à des changements et concevoir de nouvelles stratégies émanent de

la réalité de l’enseignant qui peut communiquer ses expériences aux autres afin d’en tirer des

profits didactiques et pédagogiques.

Néanmoins, le fait de se sentir appartenir à une communauté est synonyme de reconnaissance

qui génère une intercompréhension. De plus, la reconnaissance, qui édifie les identités

individuelles ou collectives, ne peut se construire qu’à partir de l’expérience individuelle et

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quotidienne dans l’organisation. Le facteur temps dans le développement des identités est

important, puisque c’est à travers lui que la culture et les identités professionnelles se

construisent. Ce processus constructif s’effectue durant des années de carrière, et amène

l’enseignant à appliquer son savoir d’une manière critique (Day, 1999, in Umayarami et

Mulamurera, 2005). Dans une conception ergonomique, le processus de travail est appréhendé

dans une dimension dynamique, nécessitant une marge d’autonomie dans la redéfinition

permanente de la tâche. Ce processus requiert une prise en compte des informations

contextuelles des capacités physiques et cognitives ainsi qu’un investissement affectif de la

part du travailleur (Lessard et Tardif, 2001). C'est lui qui donne sens à son travail et l'oriente

selon des repères jugés performants et valables. Gohier et al. (2001) soulignent que c’est à

travers ce processus, dynamique et interactif, caractérisé par un compromis entre les

demandes sociales et son affirmation de soi, que son identité professionnelle se transformera,

potentiellement tout au long de sa carrière, et qu’il pourra contribuer à la redéfinition de sa

profession avec ses collègues et partenaires » (p. 5). Toutefois, si une discordance apparaît

entre «l’être et le faire (Sainsaulieu, 1998), il en résulte une souffrance. Cet état est davantage

fréquent dans les métiers intellectuels, notamment le secteur de l’enseignement où la

reconnaissance des efforts fait souvent défaut générant, ce qui génère un sentiment d’inutilité.

Dès lors, l’identité professionnelle s’effrite progressivement à cause de l’accumulation des

tensions qui retentissent aussi bien sur le sens du travail que sur l’organisation du travail.

Selon Dubar (2001), les crises identitaires sont sources de difficultés à se définir et à définir

les autres. Elles induisent des perturbations relationnelles qui ébranlent autant la structuration

de l’activité que le processus de l’identité professionnelle. L’exemple qu’on peut prendre est

celui des réformes qui ne sont pas sans conséquences sur les enseignants. Elles suscitent chez

certains des réflexions sur leur rôle, leur conception de l’enseignement et le système éducatif

en général au point qu’une tension et une résistance s’installent progressivement.

Nombreux sont ceux qui ont perdu confiance en eux même, altérant ainsi leur estime de soi.

Certains voient dans les changements une discordance, dissonance entre la nouvelle mission

et le contenu de la formation initiale. Pour d’autres, la formation continue est une opportunité

pour les enseignants à assimiler et à assurer les nouvelles exigences de la réforme. Cette

oscillation dans les groupes enseignants, dans la collectivité, exprime le bouleversement de

l’identité professionnelle. Le rôle de l’enseignant est passé du rôle de «transmetteur» à celui

«d'entraîneur». Or, cette forme d’activité professionnelle ne répond pas à un consensus

général. De ce fait, le métier d’enseignant est devenu plus complexe, exigeant de nouvelles

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compétences comme celles d’ un « expert» qui arrive à la fois à animer, à diriger, à gérer et à

intéresser les élèves en maintenant une relation fondée sur le respect du savoir, des individus

et de la socialisation (Marcoux, 2006). Au regard de ces mutations, l’enseignant est à la fois

contraint à s’adapter à une nouvelle donne de l’environnement professionnel et à réajuster ses

représentations sociales et professionnelles.