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2.2 L E STRESS DANS LE TRAVAIL

2.2.3 Le changement et les mutations dans le travail enseignant

Depuis fort longtemps, l’enseignement a intéressé l’homme qui voit en ce métier une

transmission du savoir et des valeurs morales relatives à la société à laquelle il appartient. Le

métier de l'enseignement était centré sur l’enseignant, le savoir Curriculaire et le savoir-faire

occultant quelque part le savoir-être dans des situations d’interaction, appelé le savoir sur

l'éducation (Deauvieau, 2004). Ce savoir concerne aussi bien la dynamique personnelle des

apprenants, de l’enseignant et la dynamique interpersonnelle entre enseignant-apprenant et

enseignant-enseignants. Il se rapporte spécifiquement à la gestion de l'interaction scolaire et

les processus d'enseignement.

2.2.3.1 L’évolution du travail enseignant

De nos jours, d'autres variables se sont rajoutées à la dynamique de l'enseignement et se

rapportent essentiellement à l'emploi de nouvelles technologies notamment les techniques

d'information et de la communication TIC et l'utilisation des systèmes informatiques

(Deaudelin, Lefebvre, Brodeur, Dussault, Richer et Mercier, 2005). Cette avancée

technologique et scientifique a par conséquent rehaussé le domaine de l’éducation grâce à

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l’enrichissement des connaissances et des méthodes. Il s'agit en fait d'une transformation du

travail. Dès lors, le travail enseignant se voit accompagner d’une évolution des qualifications

didactiques et pédagogiques, faisant de l’enseignement une profession exigeante en formation

et en professionnalisation. Dans ce sens, diverses recherches sur les connaissances des

enseignants ont démontré d'une part l'importance accordée à l'amélioration de la formation

des enseignants et d'autre part, le caractère professionnalisant de ce métier (Lessard et Tardif,

1999 ; Perron, Lessard et Bélanger, 1993). D'où la reconnaissance du statut de l'enseignant et

du corps enseignant comme une entité professionnelle dotée d'un savoir propre et de

compétences spécifiques.

Pour parvenir à approcher la conception du métier de l'enseignement, il serait plus pertinent

de mettre en avant son évolution et mettre en lumière la représentation du statut de

l'enseignement. En s'inspirant des travaux de Lessard et Tardif (2001), nous notons que le

statut de l'enseignement a évolué en n'étant plus une vocation mais un métier qui s'apprend.

Aujourd'hui il a le statut de profession. La professionnalisation de l'enseignement a

certainement résolu certains problèmes didactique, toutefois, elle a engendré des crises

(Lessard et Tardif, 2004). Ces dernières semblent renvoyer aux caractéristiques du métier de

l'enseignement et aux différentes charges de travail, quantitatives, qualitatives et

émotionnelles (Kyriacou, 2001). Leurs examens permettent de repérer des effets délétères qui

affectent non seulement la santé en général mais aussi la satisfaction au travail. En effet, la

plupart des travaux développés dans ce domaine, et en particulier ceux de Karasek et Theorell

(1990), Lapointe, Boudrias et Brunet (2011) Bakker et Demerouti (2006) stipulent que les

demandes inhérentes aux caractéristiques du travail sont mises en cause dans les tensions

psychologiques au travail.

Par ailleurs, les climats organisationnels, la bureaucratisation des systèmes éducatifs et

l'évolution du public éducatif contribuent au malaise et à la crise vécue par les enseignants.

Certes, le public dans l'éducation n'est plus celui des générations passées et n'a plus le statut

de l'époque antérieure. Les élèves viennent de milieux assez hétérogènes et ont des rapports

avec la technologie qui le plus souvent équivalent ou dépassent ceux de l'enseignant. Aussi,

les rapports qu'ils entretiennent avec l'école sont particuliers, ce qui amène l'enseignant à

adapter ses pratiques à la réalité du contexte d'appartenance des apprenants (Pourtois et

Desmet, 2003). La question qui se pose est de savoir, dans quelle mesure les caractéristiques

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du métier de l'enseignement, et les pratiques enseignantes induisent une souffrance

professionnelle ?

2.2.3.2 Les pratiques enseignantes et les pratiques d’enseignement

«Pratiques enseignantes» et «pratiques d'enseignement», tels sont les deux concepts voisines

qui nécessitent une clarification. Selon Marcel, Dupriez et Perisset-Bagnoud (2007), «les

pratiques enseignantes» font référence aux pratiques professionnelles de l'enseignant alors que

«les pratiques d'enseignement» se rapportent à la pratique pédagogique dans une situation

d'interaction avec les élèves dans une salle de classe.

Trois modalités caractérisent le «travail partagé» dans les pratiques enseignantes et se

rapportent essentiellement à la coordination, la collaboration et la coopération entre les

acteurs. La coordination des actions a pour fin d'aboutir à un but précis en rapport avec les

objectifs de l'organisation. Ceci s'effectue sur la base d'une série de processus liés aux

prescriptions du métier. Or dans le renouvellement des modes de coordination, les enseignants

sont invités à participer activement et à collaborer pour arriver à la concrétisation des objectifs

(Marcel et al., 2007). C'est une collaboration dans la mise en place d'un dispositif de travail

grâce à une communication pratique et accessible. Dans ce sens, les enseignants coopèrent

ensemble pour identifier les niveaux d'intervention et l'ajuster selon des objectifs fixés

(exemple de coopération entre un enseignant de français et un autre de géographie).

Toutefois, l'écart entre la théorie et la pratique demeure source de contraintes. Les

conséquences d'une plateforme d’interactions qui s'opère quotidiennement entre les différents

acteurs se lisent sur le plan inter et intra-individuelle ainsi que sur l’activité enseignante.

Dissocier les contingences contextuelles du comportement de l'individu, en l'occurrence

l'enseignant, est vain (Anadon, Bouchard, Gohier et Chevrier, 2001). Engagé dans une boucle

interactive et itérative d'une communauté d'appartenance, l'enseignant agit et subit en

conséquence.

2.2.3.3 Dans l'enseignement général

La transformation de l'espace de travail et la diversité des partenaires impliqués dans le travail

en classe et en dehors de la classe engendrent des changements quant à la définition de la

tâche de l'enseignant dans sa pratique professionnelle. Cette dynamique dans l'évolution du

métier qui est passée de l'individuel au collectif a suscité l'intérêt de nombreuses approches

développées en sciences du travail, en sciences cognitives, en sciences de la formation et de

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l'éducation et en ergonomie. Ainsi, de nouveaux modes de pratiques enseignantes se sont

développés et ont fait l'objet de diverses analyses du travail centrées sur l'activité.

Dans le cadre d'une approche ergonomique, Touraine (1992) a étudié l'impact de l'évolution à

laquelle assiste le métier de l'enseignement et a identifié de nouveaux modes de rapports aux

pratiques enseignantes. Selon l'auteur, l'enseignant s'efforce de contrôler ses pratiques

professionnelles en leur donnant sens et en introduisant des modifications en fonction des

caractéristiques de l'environnement dans lequel il exerce. Dès lors, il fait appel à son

engagement et à l'éthique professionnelle sans passer par les injonctions d'un supérieur.

Dans l'activité professionnelle, la distinction entre tâche et activité semble appropriée à notre

sujet. En ergonomie, l'activité est définie comme ce qui est mis en œuvre par le sujet pour

exécuter la tâche (Leplat, 2004, p. 102). Autrement dit, l'activité est le produit des facteurs

internes à l'individu et des facteurs externes liées à la situation et à l'environnement. Ceci peut

expliquer les dissimilitudes notées dans le même cours présenté à deux publics différents.

Ainsi, l'analyse de la situation de travail s'avère être un élément capital dans la compréhension

des pratiques et de l'activité enseignante. A travers la distinction entre le travail prescrit et le

travail réel, il est possible d'identifier l'écart entre le prescrit et l'effectif pour arriver à une

meilleure compréhension de l'activité (Leblanc, Ria, Dieumegard, Serres et Durand, 2008). La

tâche, dans le contexte de l'enseignement, est liée à ce que l'enseignant doit faire pendant les

heures de cours qui lui sont assignées. Elle se rapporte principalement à ce qu'il va faire, ce

qu'il va enseigner selon les injonctions du travail prescrit (programme scolaire et programme

officiel). En revanche, la tâche réelle est celle qui constitue la matérialisation du prescrit dans

une dimension interactive avec les élèves et la situation vécue. Par le prescrit, on entend ce

que l'enseignant doit faire selon des exigences explicites de son employeur, en l’occurrence le

Ministère de l’Education. Les textes, les programmes officiels, les circulaires et ce qui est

aussi transmis oralement, sont sources de normalisation du travail. De même, les programmes

scolaires, les modes d'évaluation, les règlements internes et externes, sont plus orientés vers le

mode organisationnel et se rapportent aux prescriptions primaires.

Les prescriptions secondaires proviennent des directeurs d'établissement, des inspecteurs, des

formateurs et des conseillers pédagogiques. Il s'agit d'une interprétation des prescriptions

primaires et une formulation pratique des textes officiels. Tout ceci corrobore l'activité

empêchée, faute d’une autonomie relative en ce qui concerne l’organisation du travail et la

décision des priorités. Entre le prescrit et le réel s'insère forcément un écart. Le travail peut

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obéir quelques fois au mode du prescrit mais peut aussi dévier des normes imposées.

L’activité réelle, n’est pas en soi l’activité à réaliser en termes de prescrit, mais ce qui devrait

se réaliser en tenant compte d’une réalité. Autant dire que c’est l’activité empêchée qui suscite

la souffrance.

La tâche des enseignants est généralement complexe du fait qu'elle est «prescrite» et soumise

à des objectifs et à des facteurs de contingence multiples (Durand, 1997). Même individuelle

fut-elle, la tâche demeure collective puisqu'elle dépend des prescriptions, du prescripteur et du

professionnel qui l'accomplit (Amigues, 2003). Le travail de l'enseignant, ou la mission à

laquelle il est voué, se réalise au sein de l'école mais aussi en dehors de l'école. L'analyse du

travail réel ou concret, présentée par Goigoux (2001), se fait sur la base de l'articulation des

déterminants du travail. L'auteur précise que les tâches sont redéfinies et mises en

concordance d'une part avec les prescriptions de l'institution scolaire, et d'autre part avec les

caractéristiques des enseignants et des élèves. Grâce à la redéfinition des tâches que les

enseignants peuvent bénéficier d'une certaine marge de latitude dans leur pratique

pédagogique. Toutefois, les pressions temporelles sont moins facilement gérables. Le travail,

organisé selon une progression annuelle est circonscrit par rapport à une séance, à un module

et à un trimestre. Pour chaque strate temporelle, correspond un contenu, un ensemble

d'objectifs défini par des apprentissages spécifiques. Or, entre la présentation de «la feuille de

route» et les résultats escomptés, une zone d'incertitude est considérable. C’est ce qui peut

générer une crise, non seulement temporelle mais aussi d'évaluation personnelle notamment

chez les enseignants experts. Cette situation est d'autant plus inconfortable qu'elle peut

devenir vulnérable au stress pour l'enseignant (Durand, 1997).

Dès lors, les distinctions entre tâche réelle et tâche effective permettent de mieux cerner les

caractéristiques du métier de l'enseignement. En effet, l'enseignant ne se limite pas à ce qui se

fait en classe. La nature de son travail exige que son activité se poursuive hors travail, en

dehors du milieu professionnel pour préparer les cours, ajuster le contenu avec le niveau des

élèves et faire les corrections des devoirs. C’est en se référant à Curie et Hajjar (1987, cités

par Gilbert et Lancry, 2005) que nous abordons le système des activités. Les auteurs

dénoncent la dichotomie de la vie de travail et la vie hors travail. Pour eux, les activités dans

les deux sphères de vie ne sont pas homogènes mais agissent réciproquement, pareil à un

système. Chaque activité sollicite des ressources et des moyens pour sa réalisation mais aussi

elle peut être une contrainte pour l'accomplissement de l'autre. Une régulation du système

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participe à retrouver un mode de contrôle pour remédier à la perturbation des activités en

privilégiant certaines valeurs et en inhibant d'autres. La capacité à gérer les activités dépend

d'un seuil de liberté et installe différents comportements par rapport aux contraintes da la

tâche prescrite (Clot, 1995).

C’est à partir de cette diversité de facteurs que Vasconcellos (2005) décrit le travail

enseignant comme multipartite. A part les contraintes professionnelles, il est assujetti à des

contraintes relationnelles avec les collègues, les supérieurs hiérarchiques, les inspecteurs, les

parents d'élèves et quelque fois avec les élèves eux-mêmes. Comparé à un caméléon

professionnel, Tardif et Lessard (1999) présentent l'enseignant, comme une personne qui doit

assumer différents rôles au même temps. Il est le psychologue, l'éducateur, le parent, le

policier et aussi le confident. Or, la société ne lui reconnaît pas toutes ces qualités et ne lui

offre aucun appui. Ce manque de reconnaissance est mal vécu par les enseignants et impacte

sur leur satisfaction au travail et sur leur santé (Dejours, 2000). Paradoxalement, la société

exige de lui toutes ces qualités pour qu'il soit un «bon enseignant».

Qu'en est-il des écoles professionnelles ? Est-ce que les pratiques enseignantes dans

l'enseignement professionnel assistent au même positionnement et aux mêmes problèmes ?

Pour comprendre l'action selon une approche ergonomique, il est nécessaire de l'appréhender

dans sa dimension «située» (Theureau, 2004), c'est-à-dire en ayant recours au système

symbolique du traitement de l'information.

L'action, concept de nature sociale, est porteuse de sens dans une situation d'interaction entre

l'individu et les caractéristiques du métier. C'est à la suite d'un traitement cognitif que le sens

se construit. La cognition ne se situe pas dans la tête, mais dans un entre-deux, entre l'acteur

et la situation, dont font partie les autres (Theureau, 2004 ; p.14). Le produit qui en découle

comporte quelque part l'empreinte de l'individu et de ce qu'il a interprété. Contrairement à la

machine qui fonctionne selon des plans et répond selon une commande, l'homme ne peut se

détacher des contingences de l'environnement (Theureau, 2004). Cette situation peut imposer

à l’individu la réalisation des buts qui lui paraissent contradictoires, voire conflictuels avec

ses propres valeurs (Leplat, 2004). Toutefois, dans l'analyse des conditions de travail, l'écart

entre la tâche prescrite et la tâche effective n'est pas envisagé par l'organisateur du travail,

pourtant il est présent et vécu par l'enseignant. Ce dernier essaie, un temps soit peu, d'ajuster

son activité en fonction des prescriptions. En revanche, pour l'organisation, les conditions

susceptibles de nuire au sujet sont escamotées (Leplat, 2004).

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2.2.3.4 Dans l'enseignement professionnel

Dans les écoles professionnelles en France, la réalité contextuelle est différente de celle des

écoles d’enseignement général. Si les pratiques se complexifient davantage pour les

enseignants, c'est parce qu'ils sont confrontés à des élèves qui résistent à la forme scolaire.

Les attentes directes du public scolaire concernent l'apprentissage d'un métier, c'est pourquoi

ils refusent les savoirs scolaires (Jellab, 2005). Les enseignants, quant à eux, se retrouvent

confrontés à une tension causée par le rôle institutionnel qui leur est accordé et les savoirs

scolaires à enseigner. Comme l'explique Jellab, les enseignants des écoles professionnelles

n'ont pas un statut très éloigné de celui de leurs élèves, puisqu'ils ont connu eux aussi l'échec

en collège, ce qui les a conduit à suivre un enseignement professionnel diplômant. Ils ont fait

l'expérience professionnelle dans différents secteurs, avant de devenir des enseignants. Or,

pour motiver les élèves, qui pour la plupart, sont issus de milieux défavorisés, les enseignants

tentent de surestimer les apprentissages «concrets» qui sont au service de la pratique. C’est en

ce sens que l’activité, s’effectue selon un mode de coordination des apprentissages et du

contenu des cours dans le contexte scolaire. Les conclusions auxquelles Jellab est arrivé dans

ses enquêtes, mettent en exergue des rapports privilégiés entre le contexte scolaire et le

rapport au savoir (Jellab, 2003). Des approches pédagogiques innovantes font que les

enseignants impliquent les apprenants dans des activités interactives accompagnées d’une

certaine liberté et autonomie (Jellab, 2003). Dans ce contexte, la tâche des enseignants est

double et répond à deux registres. Ils prodiguent à leurs élèves un enseignement professionnel

qui ne se détache pas des apprentissages sociaux. Toutefois, force est de constater que la

pluralité des attitudes indisciplinées de la part des apprenants, pousse les enseignants

d'éducation professionnelle par exemple, à imposer une autorité en réponse à un

comportement jugé asocial. C'est sans doute, une exigence professionnelle qui fait partie du

prescrit et du concret. C'est une réalité vécue dans la classe, mais elle est loin d'être une

vocation pédagogique. La mise en œuvre d'une prescription qui est à l'opposé du réel,

nécessité une redéfinition pour l'enseignant lui-même et pour les autres, afin de préciser ce qui

est à faire et comment il doit se faire.

La prescription, qui est à la base de l'action professorale est indissociable de l'activité (Clot,

1999). Il est clair que l'activité n'est ni neutre ni décontextualisée. Elle est la somme de

plusieurs histoires de vie, celle de l'établissement, de l'individu où chaque composante

contribue pour une part dans les rapports que l'individu va avoir avec les prescriptions, aux

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tâches à réaliser, aux collègues, à l'administration, aux élèves, aux valeurs et à lui-même.

Ainsi, l’enseignement s’effectue en termes de réhabilitation avec une grande, part, consacrée à

la socialisation des élèves pour découvrir d'autres savoirs davantage liés au savoir-vivre dans

la société. C’est un enseignement où prévalent, le savoir-faire, l’appropriation de la pratique,

les stages d’application, constitutifs d’une identité professionnelle naissante.