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Les sols de Gale

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1.4 La mission Mars Science Laboratory

1.4.4 Les sols de Gale

1.4.4.1 Rocknest

Dans le cadre de missions in situ, les sols sont particuli`erement utiles pour caract´eriser l’alt´e- ration de la croˆute terrestre, car ils sont des agr´egats de sources diverses en raison de leur transport et de leur m´elange. Am´eliorer les connaissances sur la composition des sols fait partie des objectifs scienti- fiques prioritaires de la mission Mars Science Laboratory (Grotzinger et al., 2012), et le chapitre 3 de ce manuscrit sera d´edi´e `a une ´etude sur les sols du crat`ere Gale.

Les premiers sols analys´es par Curiosity correspondent aux s´ediments ´eoliens de Rocknest (sol 55-100), et sont toujours aujourd’hui consid´er´es comme la r´ef´erence des sols du crat`ere de Gale (illustration Figure 1.15.a.b). L’instrument CheMin a montr´e que toutes les phases min´eralogiques majeures de la

fraction fine (< 150 µm) de Rocknest, sont coh´erentes avec une source basaltique (Bish et al., 2013; Achilles et al., 2017). Des min´eraux ign´es de plagioclase (∼An50), d’olivine (∼Fo58) et de pyrox`enes (augite et pigeonite) sont pr´esents, mais tr`es peu de produits secondaires ont ´et´e identifi´es (Tableau 1.1.a). Seules l’anhydrite (0.9±0.2 wt.%), la magn´etite (1.8±0.3 wt.%, potentiellement ign´ee) et l’h´ematite (1.0±0.1 wt.%) ont ´et´e observ´ees dans les diffractogrammes de CheMin, mais aucune argile (Achilles et al., 2017). La min´eralogie des sols de Rocknest diff`ere de celle des roches s´edimentaires de Sheepbed situ´e `a proximit´e. Ces derni`eres incluent la pr´esence abondante d’argiles et de magn´etite et une faible concentration en olivine, ce qui sugg`ere une alt´eration importante durant la diag´en`ese (Bristow et al., 2015; Vaniman et al., 2014). Les analyses chimiques APXS de Rocknest sont similaires (`a 2σ pr`es) aux analyses r´ealis´ees par les rovers MER `a Meridiani Planum et Gusev (mis `a part pour le titane), ce qui sugg`ere un sol de mˆeme nature (Blake et al., 2013; Morris et al., 2013).

Figure 1.15 – a) Autoportrait de Curiosity, r´ealis´e par la cam´era MAHLI `a proximit´e des sols analys´es de Rocknest. b) `A la surface de ce sol, une couche superficielle compacte est pr´esente, form´ee potentiellement par infiltration des particules de poussi`eres remplissant les espaces inter-granulaires (Certini et al., 2020). c) Image des sols de Hidden Valley `a Bradbury lors de la travers´ee du rover vers le Mont Sharp. Cr´edit : NASA/JPL-Caltech

L’absence de d´etection d’argile ainsi que la faible quantit´e de sulfate ne signifient pas n´ecessai- rement que ces sols sont pauvres en produits d’alt´eration. En effet, les analyses CheMin ont ´egalement r´ev´el´e que 35±15 wt.% du sol de Rocknest est amorphe, c’est-`a-dire insuffisamment cristallin ou de taille trop faible (nanom´etrique) pour ˆetre identifi´e par la m´ethode de diffraction des rayons X. La pr´esence de phases amorphes est soup¸conn´ee depuis longtemps `a la surface de Mars par spectroscopie infrarouge (e.g., Evans et Adams, 1979; Singer, 1985), analyses in situ (Evans et Adams, 1980; Morris et al., 2000), ou `a partir des m´et´eorites martiennes (Binns, 1967; McSween, 1994), mais CheMin a fourni les premi`eres preuves in situ indirectes par mesure DRX (Bish et al., 2013; Rampe et al., 2014).

La composition chimique de la composante amorphe a pu ˆetre estim´ee par un calcul de bi- lan massique, c’est-`a-dire en soustrayant la chimie des min´eraux identifi´es par CheMin (pond´er´ee par leurs abondances) `a la chimie globale mesur´ee par l’instrument APXS. Cette m´ethode a cependant le d´esavantage de combiner les erreurs associ´ees aux deux instruments, et en particulier les incertitudes sur les abondances des phases cristallines et amorphes, ainsi que le seuil de d´etection de CheMin. Toutes les phases cristallines pr´esentes en dessous de ce seuil (∼1 wt%) sont par d´efaut attribu´ees `a la composante amorphe. `A Rocknest, ce calcul de bilan massique sugg`ere que cette derni`ere serait en particulier pauvre en silice, en aluminium, en magn´esium et en calcium, et en revanche, riche en fer, en alcalins, en soufre, en chlore, en titane et en phosphore par rapport `a la composition cristalline (Tableau 1.1.b ; Blake et al., 2013; Dehouck et al., 2014; Achilles et al., 2017). Une telle composition n’est pas compatible avec un verre volcanique pur, et implique n´ecessairement un m´elange d’une multitude de phases (e.g., verre volcanique, sulfates amorphes de fer, oxydes de fer nanoparticulaires). La poussi`ere ´eolienne est ´egalement enrichie en S, Cl et Fe, par comparaison avec la fraction totale des sols, ce qui sugg`ere qu’elle pourrait contribuer `

a la composante amorphe (Rampe et al., 2020a).

La pr´eservation de ces phases amorphes indique qu’apr`es leur formation, elles n’ont pas subi d’interaction prolong´ee avec de l’eau liquide, ce qui aurait conduit `a leur maturation vers des struc- tures plus cristallines. L’instrument SAM a enregistr´e les ´el´ements volatils lib´er´es pendant le chauffage des ´echantillons de sol jusqu’`a ∼835◦C, qui contiennent H2O, SO2, CO2 et O2 (Leshin et al., 2013).

La gamme des temp´eratures de rejet de ces ´el´ements sugg`ere que l’eau (∼1.5-3 wt.% H2O) est li´ee `a la

composante amorphe. L’instrument CheMin n’a d´etect´e aucun min´eral hydrat´e dans le sol, ce qui sugg`ere ´

egalement que l’H2O est associ´e aux phases amorphes.

ChemCam, dont le diam`etre du faisceau laser permet une analyse chimique `a une ´echelle sub- millim´etrique (350 `a 550 µm ; Maurice et al., 2012), est un instrument particuli`erement ad´equat pour contraindre les constituants chimiques des sols. Cette r´esolution permet d’isoler directement les com- posants `a partir d’une certaine taille, fournissant ainsi la premi`ere discrimination entre les diff´erentes populations de grains (Meslin et al., 2013; Cousin et al., 2015). Les grains plus grossiers que le faisceau laser ont une composition principalement felsique, enrichie en Si, Al, Na et K. Ces grains ont la mˆeme composition que les roches rencontr´ees sur le site d’atterrissage de Bradbury et pourraient donc provenir de roches localement ´erod´ees (Sautter et al., 2014; Meslin et al., 2013; Cousin et al., 2015). La deuxi`eme population contient des grains `a la fois plus grossiers et plus fins que le faisceau laser, et montre une composition mafique enrichie en Fe et Mg. Les abondances en Mn, Cr et Mg sont plus faibles pour ces grains que pour les roches voisines, ce qui sugg`ere un manque de lien g´en´etique direct entre ces grains du sol et les roches mafiques locales. Un important signal d’hydrog`ene est enregistr´e dans cette fraction mafique, qui pourrait ˆetre associ´e aux composants non cristallins (Meslin et al., 2013).

Finalement, les ´etudes plus r´ecentes des sols de Gale ont montr´e que la composition chimique de la fraction fine des sols de Rocknest (i.e., inf´erieure aux 350-550 µm du faisceau laser) est chimiquement homog`ene aux fractions fines des autres sols analys´es `a Gale (Meslin et al., 2013; Cousin et al., 2015, 2017a). Cette fraction fine des sols de Gale a ´et´e d´efinie comme les sols d’Aeolis Palus (Lasue et al., 2018).

Tableau 1.1 – a) Abondances min´erales d’apr`es CheMin des sols de Rocknest et des dunes de Bagnold (Gobabed ), d’apr`es Achilles et al., 2017. L’erreur est exprim´ee entre parenth`eses et s’applique `a la derni`ere d´ecimale. b) Composition de la composante amorphe de Rocknest et de Bagnold d’apr`es le bilan de masse APXS-CheMin (d’apr`es Achilles et al., 2017).

1.4.4.2 Les dunes de Bagnold

Situ´es `a la base du Mont Sharp, les s´ediments non indur´es de Bagnold (illustration Figure 1.16) sont les premi`eres dunes actives ´etudi´ees in situ sur une autre plan`ete (Ehlmann et al., 2017). Depuis l’orbite, ces dunes pr´esentent des structures de types barkhanes et des morphologies longitudinales (Mil- liken et al., 2010). Elles sont dites actives car les crˆetes se d´eplacent sous l’action du vent `a raison de 2.8 cm.sol−1 (Baker et al., 2018). Durant la campagne d’´etude de Bagnold (sol 1181-1254), deux por- tions de la dune Namib ont ´et´e analys´ees face (Gobabeb, sol 1224) et contre le vent (Ogunquit, sol 1651), et montrent des min´eralogies similaires, bien que des variations olivine/plagioclase aient ´et´e observ´ees, t´emoignant probablement d’un tri physique et/ou d’un degr´e de m´elange diff´erent avec des sources lo- cales (Achilles et al., 2017; Rampe et al., 2018; Lapotre et al., 2017). L’instrument CheMin a montr´e que la min´eralogie est ´egalement sensiblement similaire `a celle des sols plus anciens de Rocknest, bien que l’ilm´enite en soit absente (Tableau 1.1.a). La fraction cristalline est principalement compos´ee de min´eraux basaltiques ign´es (plagioclase, olivine, augite et pigeonite), avec des abondances mineures d’h´ematite, de magn´etite, de quartz et d’anhydrite (Achilles et al., 2017; Rampe et al., 2018). Encore une fois, aucune argile n’est identifi´ee.

Figure 1.16 – Image HazCams du site de Gobabed, premier arrˆet de la campagne d’´etude des dunes de Bagnold. Cr´edit : NASA/JPL-Caltech.

L’abondance en phases amorphes dans ces sols est identique `a celle de Rocknest (35±15 wt.%), bien que l’incertitude soit grande. Le bilan de masse entre CheMin et APXS montre encore une fois des diff´erences chimiques avec la fraction cristalline (Achilles et al., 2017; Rampe et al., 2018). La composante amorphe serait cette fois plus riche en SiO2, FeOT, Na2O, SO3et Cl, et appauvrie en Al2O3, MgO et CaO

(Tableau 1.1.b). Par rapport `a Rocknest, les diff´erences de composition entre les deux phases amorphes correspondent principalement `a un enrichissement en SiO2et Al2O3`a Bagnold pour des appauvrissements

en FeOT, MgO, Cl et SO3. Bien que les abondances d’hydrog`ene enregistr´ees dans les dunes par les

instruments SAM et DAN (∼1 wt.% ; Sutter et al., 2017; Gabriel et al., 2018) soient inf´erieures `a celles des ´echantillons de sol de Rocknest (∼1.5-3 wt.% ; Leshin et al., 2013), la composante amorphe des dunes est suppos´ee ´egalement porteuse des phases hydrat´ees (Cousin et al., 2017a; Sutter et al., 2017; Achilles et al., 2017). Plusieurs hypoth`eses ont ´et´e propos´ees pour expliquer cette diff´erence d’hydratation (Cousin et al., 2017a). Celle-ci pourrait ˆetre li´ee `a la pr´esence plus importante de verre volcanique anhydre (ou d’impact) dans les dunes, r´esultant d’une alt´eration aqueuse moins importante qu’`a Rocknest, ou `a une interaction plus limit´ee avec des a´erosols ou des gaz volcaniques. Autrement, les grains auraient pu perdre leurs revˆetements d’alt´eration durant leurs transports. Une derni`ere possibilit´e impliquerait qu’un tri physique s’op`ere entre particules, qui permet de retirer les grains les plus fins et les plus alt´er´es. Cette derni`ere possibilit´e pourrait sugg´erer que la poussi`ere est porteuse des phases hydrat´ees car celle-ci est moins pr´esente `a Bagnold (Ehlmann et al., 2017).

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