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Les ressorts sud-africains de l’émergence

Dans le document Les pays émergents (Page 131-134)

L’histoire coloniale et l’apartheid ont construit un pays avec un secteur moderne protégé, formé sur le modèle occidental et bénéficiant essentiellement à une minorité raciale blanche opposée à une masse de la population économiquement et politiquement marginalisée. Avec la fin de l’apartheid, le pays a été confronté à des défis considérables : l’intégration de la population marginalisée, la conquête d’un marché intérieur peu exploité nécessitant de donner un pouvoir d’achat aux populations pauvres, la modernisation et le renforcement de la compétitivité de l’appareil productif, et le redéploiement des infrastructures collectives.

Depuis le début des années 1990, l’économie sud-africaine redécouvre dans la souffrance les vertus du libéralisme et de l’ouverture internationale. La transforma-tion économique est fondée sur l’associatransforma-tion du pouvoir politique et des acteurs socio-économiques au sein de forums de négociation comme le Conseil national du développement économique et du travail (Nedlac). Le rôle des entrepreneurs privés disposant par l’intermédiaire de leurs organisations professionnelles et des grandes multinationales du pays de réelles capacités de gestion et de négociation y est fondamental. L’État sud-africain est ainsi essentiellement un État dévelopemen-taliste qui intervient pour renforcer les capacités productives des acteurs privés et les infrastructures, tout en tentant de les orienter au profit des plus pauvres. Les tensions sont nombreuses, mais l’État a clairement opté pour une politique libé-rale favorable à l’investissement et au renforcement des appareils de production au détriment d’une politique de redistribution sociale, abandonnée dès le début des années 1990. Dans le cadre du programme GEAR (Growth, Employment and

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Redistribution, 1996-2006) puis, depuis janvier 2006, de l’Accelerated and Shared Growth Initiative for South Africa (ASGISA), cette modernisation de l’appareil économique, marquée notamment par la dérégulation, l’ouverture des marchés, l’assainissement des politiques budgétaires et monétaires et la fin du contrôle des changes, s’est traduite par un renouveau économique. En témoigne une croissance continue (3,2 % par an de 1994 à 2005 contre 0,8 % de 1983 à 1993) et en cours d’ac-célération (5 % en 2006) pour se rapprocher de l’objectif de 6 % par an, indispensable pour réaliser la mutation de l’économie. La RSA est passée d’une économie fermée essentiellement tournée vers l’exploitation minière et agricole à une économie ouverte, manufacturière et largement assise sur les services (le secteur tertiaire représente désormais les deux tiers du PIB). L’énergie structurellement abondante et diversifiée – bien qu’une gestion défaillante entraine depuis le début 2008 des pénuries et coupures d’électricité – et l’exploitation de richesses minérales et agri-coles significatives garantissent – notamment avec l’envolée du prix des matières premières – des revenus non négligeables (10 % du PIB). Désormais, l’activité manu-facturière, pourtant soumise à des problèmes structurels de faible compétitivité, et certains secteurs clés comme ceux de l’automobile, des télécommunications, de la banque, des assurances et du tourisme appuyés sur de grandes sociétés multinatio-nales performantes figurent au cœur de l’expansion économique du pays.

Ces mutations sont aujourd’hui indissociables des politiques de redistribution et d’empowerment que l’État sud-africain doit mener au profit des groupes sociaux les plus marginalisés par l’apartheid et notamment les Noirs. Il s’agit de redresser les distorsions économiques, sociales et territoriales mais aussi de réduire les inégalités considérables et la grande pauvreté qui caractérisent la société sud-afri-caine. Cette politique de rattrapage repose sur trois vecteurs : le soutien systéma-tique au secteur moderne productif afin de provoquer par un effet d’entraînement (trickle down) la modernisation des activités économiques moins performantes ; une politique de redistribution fondée sur des programmes d’aides sociales et des investissements en matière d’infrastructures de santé, d’éducation et de services, permettant une amélioration marginale mais progressive du sort des plus pauvres ; et enfin une politique d’affirmative action dans tous les domaines assurant l’accès aux emplois et aux postes de direction des anciens groupes marginalisés. Cette dernière orientation se traduit notamment par l’émergence d’une nouvelle caté-gorie sociale de dirigeants noirs enrichis, qui participe à l’expansion d’une classe moyenne mieux formée, disposant d’un fort pouvoir d’achat et soutenant ainsi la croissance rapide de la consommation interne. Les programmes successifs de Black Economic Empowerment permettent l’accès de ces dirigeants dans les grandes entreprises et le renforcement progressif de parts du capital des entre-prises contrôlées par des Noirs, contribuant ainsi à « normaliser », très progres-sivement il est vrai, le secteur privé. L’effet de rattrapage a cependant été limité par la politique de rigueur budgétaire menée jusqu’en 2006 au détriment des

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investissements publics et par une modernisation de l’appareil productif très coûteuse en termes d’emplois. Depuis 2006 et l’ASGISA, et avec l’objectif de la coupe du monde de football de 2010, les dépenses publiques d’investissement connaissent une augmentation très significative.

L’expansion économique est modeste comparée aux autres pays émergents mais elle est constante et s’accélère, portée par le dynamisme de la consommation inté-rieure et le redéploiement à l’extérieur de certaines activités. Les échanges inter-nationaux représentent à peu près la moitié du PIB et placent le pays parmi les grandes régions économiques en expansion. Parallèlement, l’Afrique subsaharienne apparaît comme une zone naturelle d’expansion et d’action de la RSA.

Il ne peut y avoir de développement sud-africain accéléré sans un « hinterland » stabilisé et pros-père, comme il ne peut y avoir d’Afrique du Sud stabilisée à terme sans une diminution (règlement à terme) de l’instabilité de ses voisins. La RSA est désormais l’un des principaux investisseurs en Afrique et s’affirme comme une porte d’entrée indispensable sur le continent, au risque de se heurter à la concurrence d’autres pays émergents et notamment de la Chine.

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