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Héritages communistes et polarisation des territoires

Dans le document Les pays émergents (Page 165-168)

Développements de l’industrie lourde et urbanisation inachevée

Les territoires est-européens ont été profondément marqués par l’imposition du modèle soviétique qui faisait de la taille des organisations de production et de leur

· DYNAMIQUES RÉGIONALES

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concentration sectorielle et régionale les deux leviers majeurs du développement.

À partir de là, l’objectif n’était pas de détruire l’ensemble du patrimoine industriel, comme cela avait été le cas avec la liquidation des classes possédantes ; bien au contraire, il s’est agi de le renforcer là où il existait, en concentrant les activités au sein de gigantesques unités de production, et de le créer là où il n’existait pas encore, notamment dans les territoires orientaux. Les anciennes zones minières et sidérurgiques de Basse-Silésie et de Haute-Silésie en Pologne, celles de Moravie et des Sudètes en Tchécoslovaquie, celles du Nord-Est hongrois ou encore de la vallée du Jiu en Roumanie, qui toutes témoignaient de la première et puissante industrialisation de l’Europe centrale au xixe siècle, ont ainsi été largement privilé-giées. C’est au sein de ces usines de taille considérable, employant souvent plus de dix mille salariés que les autorités entendaient faire surgir l’« Homme nouveau ».

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Pour accélérer le processus, les investissements ne furent pas en reste : ils attei-gnirent des sommes considérables de l’ordre de 20 % des investissements publics, permettant l’ouverture de nouveaux chantiers, dédiés exclusivement à l’industrie lourde, aux dépens du secteur des industries dites « légères » ou de consommation.

Des villes nouvelles surgirent soudain en pleine campagne, tout à côté des usines, pour certaines jamais achevées : Eisenhüttenstadt, la ville de l’acier construite près de Francfort-sur-l’Oder, Nowa Huta (« la nouvelle aciérie ») plaquée à côté de Cracovie, Dunaújváros en Hongrie ou le bassin sidérurgique construit aux portes de Sofia. Pourtant, si l’effort fut considérable, il ne parvint pas à assurer le rattra-page de l’Ouest par l’Est. Pis, ces nouveaux ensembles n’inversèrent pas la tendance historique propre aux maillages urbains qui étaient plus denses dans les parties occidentales des différents pays, souvent de tradition allemande, tandis que leurs équivalents de l’Est, de tradition russe ou ottomane, accusaient un retard propre aux régions orientales marquées par une vaste dissémination spatiale.

Collectivisation des campagnes est-européennes et clivages Ouest/Est

À côté de ces bastions de la classe ouvrière que furent les mines et la sidérurgie, les secteurs énergétiques et électriques et les industries métallurgiques et mécani-ques, les autorités communistes entendirent imposer par la force dans les espaces agricoles l’organisation industrielle de la production sur la base de la construc-tion de fermes collectives, souvent elle aussi ex nihilo sauf dans les pays où le dualisme agricole hérité des siècles passés avait inscrit la grande ferme dans les paysages est-européens. Il en allait ainsi des grands domaines des Junker dans tout le Mecklembourg-Poméranie, dans les espaces autrefois allemands d’une Poméranie désormais polonaise ou en Hongrie. À l’inverse, dans les pays balka-niques, la fin de l’Empire ottoman avait conduit à une extrême parcellisation du foncier. Le modèle qui s’imposa fut le kolkhoze de type soviétique élaboré dans les années 1930 en URSS. Très vite, dans les années 1950 et 1960, sous l’effet de la spécialisation technique, de grandes fermes spécialisées dans l’élevage ou dans les cultures surgirent, regroupant plusieurs dizaines de milliers de travailleurs et parfois assistées d’une station de machines agricoles (équivalente du sovkhoze).

Autour des fermes collectives, de minuscules lopins de terre étaient laissés à la disposition de chaque famille, parcelles dont la taille varia au cours du temps mais dont l’importance économique et sociale fut capitale, tant elles garantirent la survie de familles entières et plus largement la transmission des savoirs paysans.

La totalité des espaces sous domination communiste se couvrit de grandes unités industrielles agricoles – coopératives ou fermes d’État – à l’exception notable de la Pologne, où la propriété resta libre sur près de 75 % de la surface agricole utile, mais pour une taille moyenne qui dépassait à peine 6 hectares en 1989, contre 1 300 hectares pour les fermes d’État.

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Les dynamiques de développement territorial furent ainsi profondément bouleversées sous l’effet d’une industrialisation à outrance, et cela d’autant plus que le développement à l’échelle du continent fut pensé simultanément en termes de marché intégré à l’Est, et en termes d’affrontement, voire de guerre, avec l’Ouest. Pour cette raison, les espaces frontaliers avec les pays occidentaux désormais ennemis furent hermétiquement fermés et se couvrirent de miradors, de casernes et de champs d’entraînement militaire, conduisant à une dégradation considérable des sols dont la remise en l’état allait s’étendre sur toute la décennie 1990. Les anciens équilibres territoriaux subirent les effets de la géopolitique de la guerre froide, et des territoires entiers furent coupés de leurs arrière-pays tradi-tionnels, à l’instar de ceux proches de la frontière entre les deux Allemagnes mais également de ceux situés entre la Bulgarie et la Yougoslavie ou entre la Pologne et l’Allemagne. Le Nord de la République démocratique allemande qui n’avait jamais été industrialisé le fut très rapidement pour pallier notamment la perte des ports tous situés à l’Ouest (Hambourg, Brême et Kiel) ou cédés à la Pologne (Szczecin).

En Tchécoslovaquie, les investissements se concentrèrent sur l’Est du pays (la Slovaquie actuelle), notamment en matière de production militaire. La Hongrie connut une évolution similaire.

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