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Cartels de la drogue : le pouvoir de l’ombre

Dans le document Les pays émergents (Page 119-122)

Outre un développement très inégal du point de vue social et territorial, la puis-sance du Mexique est également affaiblie par la présence toujours plus mena-çante de la criminalité organisée. Le trafic de drogue, en particulier, atteint dans le pays des proportions inégalées. Non seulement le pays est le principal lieu de passage de la drogue destinée au marché nord-américain (essentiellement la cocaïne en provenance de Colombie mais aussi le cannabis, ses produits dérivés et, plus récemment, les drogues synthétiques) mais les cartels mexicains contrô-lent directement, depuis près d’une décennie, l’introduction de la drogue sur le marché états-unien. Les cartels colombiens se contentent désormais de livrer la marchandise aux Mexicains et cherchent pour leur part des débouchés alterna-tifs en Europe, via les Caraïbes et l’Afrique de l’Ouest. Le Mexique constitue en lui-même un marché considérable, la consommation de cocaïne y étant croissante depuis 1997, année où le niveau de vie a commencé à s’élever.

L’impact du trafic n’est pas seulement économique mais également politique.

Sur ce point, la fin du régime de parti dominant a été déterminante. L’influence politique des chefs de la drogue, peu visible dans les années 1980, devient bien réelle dès le boom de la cocaïne. Toutefois, et contrairement à la Colombie, dans

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Le Mexique, un émergent dans l’ombre de la superpuissance

ces mêmes années, une sorte de pacte de non-ingérence établi entre l’exécutif et les principaux chefs de cartel (principalement celui de Sinaloa dans le Pacifique nord) a permis, jusqu’au début du xxie siècle, d’éviter une trop grande pénétration de l’État et du gouvernement fédéral par les mafias. Il est probable qu’au niveau des États fédérés producteurs et/ou plaques tournantes du trafic de drogue, les narcodollars ont servi à financer la vie politique dès les années 1970 et 1980. Il est également vraisemblable que dès les années 1980, les campagnes présiden-tielles ont utilisé de l’argent sale. En tout cas, l’entourage direct du président Carlos Salinas de Gortari (1988-1994) a été accusé de profiter du blanchiment de l’argent de la drogue.

Toutefois, jamais les cartels n’ont entrepris, comme en Colombie, de contrôler des pans entiers du territoire national ou bien encore de placer leurs propres cadres au Congrès ou au sein du cabinet présidentiel. Les contacts ont toujours été indirects et dissimulés. L’alternance à la présidence de la République et le démon-tage du système politique pyramidal et centralisé que constituait le régime de parti dominant a provoqué une profonde rupture dans les rapports entre les cartels et le pouvoir d’État. Les indices de la montée de l’influence politique des trafiquants furent visibles dès la fin des années 1990. L’indépendance croissante du pouvoir judiciaire, la mise en place de politiques de lutte contre la corruption et la fin de la loi du silence que garantissait le monopole priiste du pouvoir ont aussi rendu plus évidentes les complicités entre politiques et trafiquants. Mais c’est surtout la fin du pacte de non-ingérence et la multiplication des cartels, comme des rivalités entre ceux-ci, qui ont contribué à donner de la visibilité au trafic de drogue et à faire de la lutte antinarcotiques l’une des priorités de l’agenda politique. Le premier président de l’alternance, Vicente Fox (2000-2006), a mis le feu aux poudres en s’attaquant de manière frontale aux diverses organisations de trafiquants du Golfe tout en ménageant celles de la côte pacifique. Cette politique, menée sans prendre le temps d’évaluer au préalable la situation, a provoqué une recrudescence de la violence entre organisations de trafiquants en butte aux rivalités entre chefs à propos du contrôle des routes du commerce et des marchés locaux.

Dès 2006, Felipe Calderón a également fait de la lutte contre tous les cartels – ceux du Pacifique aussi bien que ceux du Golfe – la priorité de son mandat, une tâche qu’il a confiée à l’armée. On a alors assisté à de véritables batailles rangées dans le Nord-Ouest et le Nord-Est du pays (Michoacán, Sinaloa, Basse-Californie, Nuevo León, Tamaulipas) faisant de nombreuses victimes parmi les forces de l’ordre et les civils, si bien que la stratégie de combat frontal du gouvernement a été fortement critiquée au sein de la classe politique et d’une partie de l’opi-nion publique. Mais la guerre entre les organisations criminelles pour contrôler le commerce de la drogue a fait plus de victimes que l’action de l’armée. La hiérarchie d’antan qui permettait à un cartel (celui de Sinaloa principalement) de dominer les autres a fait long feu ; désormais les organisations du Golfe affrontent celles

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du Pacifique avec de véritables commandos (les Zetas) parfois mieux équipés et entraînés que l’armée elle-même. La « guerre des cartels » a fait des milliers de victimes durant les cinq dernières années. L’interprétation la plus optimiste est celle selon laquelle le gouvernement actuel pratiquerait délibérément un harcèle-ment permanent des organisations de trafiquants tout en aliharcèle-mentant leurs rivalités intrinsèques afin de rétablir l’équilibre monopolistique d’autrefois mais en sens inverse (Golfe versus Pacifique). Pendant ce temps, la collaboration du Mexique avec le gouvernement des États-Unis en vue de freiner l’achat d’armes – qui s’ef-fectue principalement de l’autre côté du río Bravo – et traiter le mal par une action sur la demande n’a produit pour l’heure que peu de résultats.

Pour en savoir plus • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

MODOUX (Magali), Fédéralisme et démocratie au Mexique (1989-2000), Paris, Karthala, coll. « Recherches internationales », 2006.

MUSSET (Alain), Le Mexique entre deux Amériques, Paris, Ellipses, 1998.

RECONDO (David), « Oaxaca : la périphérie autocratique de la démocratie mexicaine », Problèmes d’Amérique latine, 64, printemps 2007, p. 73-90.

RECONDO (David), La Politique du guépard. Multiculturalisme et démocratie au Mexique, Paris, Karthala-CERI, 2008.

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La Turquie :

un dynamisme économique mais

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