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Des expériences régionalistes inégales

Dans le document Les pays émergents (Page 180-184)

Le plus jeune des processus d’intégration latino-américains a d’emblée été consi-déré comme le plus prometteur, sans doute parce que l’Argentine et le Brésil enten-daient tirer les enseignements des errements des expériences passées. L’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay signent en mars 1991 le traité d’Asunción en plaçant leur projet de Marché commun du Sud (Mercosur) sous le signe du pragmatisme.

Le Mercosur, ses réformes politiques et la question de son élargissement

Tout au long de la décennie 1990, le processus va connaître des hauts et des bas. Les échanges progressent rapidement mais l’institutionnalisation demeure modeste et le respect des normes communautaires médiocre. Le déséquilibre à l’intérieur du groupe ne facilite pas les négociations, le Brésil, qui se projette comme un global trader, n’accordant finalement que peu d’importance au Mercosur. En 2001, ce dernier célèbre son dixième anniversaire sur fond de crise économique argentine.

L’intégration est alors paralysée, et le niveau d’échanges comparable à celui de 1991.

Comme souvent en pareille circonstance, la crise engendre une volonté commune de faire franchir à l’intégration un seuil qualitatif de nature à prévenir de tels événements. Vient alors le temps de la relance, qui prend essentiellement la forme d’avancées au plan des institutions. Un Parlement du Mercosur est créé pour conférer à l’intégration un surcroît de légitimité démocratique et d’efficacité.

Élue au suffrage universel, l’institution ne dispose pas d’un pouvoir de codécision mais permet, si ses avis sont suivis, d’accélérer la prise de décision. Il est de plus attendu des parlementaires régionaux qu’ils servent de courroies de transmis-sion avec les parlements nationaux et mobilisent les classes politiques nationales.

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Parallèlement, le Fonds de convergence structu-relle du Mercosur (Focem) doit contribuer à lutter contre les asymétries de développement à l’inté-rieur du bloc régional. Sur le modèle européen, un fond régional est constitué pour financer des projets de développement.

Il est peu probable que ces réformes aient un impact notable en termes d’intégration, dans la mesure où les quatre pays ont pris soin d’éviter toute cession de souveraineté. Mais elles n’en représentent pas moins un progrès substantiel car elles symbolisent la volonté d’aller de l’avant, au sortir du cataclysme argentin et face aux défis extérieurs. Le Mercosur doit en effet gérer son élargissement au Venezuela d’Hugo Chávez. Le rapprochement entre ce pays et le Mercosur doit beaucoup à la volonté argentine de soulager le service de sa dette et de trouver des solutions à sa dépendance énergétique. Hugo Chávez, de son côté, a préféré tourner le dos à la Communauté andine (cf. infra) et se rapprocher du Mercosur, profitant de son capital de sympathie auprès du président argentin Nestor Kirchner. Il y a claire-ment vu une opportunité d’étendre son influence dans la région, et sa proposition de racheter les bons de la dette argentine et de financer la construction d’un mégagazoduc devant relier son pays au Sud de l’Argentine avait de quoi séduire.

Le Venezuela a donc été admis comme membre du Mercosur en juillet 2006 sans aucune négociation préalable. Les écarts de langage et la diplomatie très offensive de Chávez n’ont rien fait pour calmer ses détracteurs. Le Sénat brésilien n’ayant en septembre 2008 toujours pas ratifié cette adhésion, le statut juridique du Venezuela au sein du Mercosur est toujours en suspens.

À l’image de l’Europe vis-à-vis de la Turquie, le Mercosur a préféré accueillir le Venezuela plutôt que de le marginaliser. Mais rien ne semble pouvoir calmer les ardeurs d’Hugo Chávez, et le Brésil se montre incapable de faire preuve de fermeté et d’imposer un quelconque leadership.

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À ceux qui pensaient que le Mercosur allait devenir un instrument au service de la puissance brésilienne, Luiz Inácio Lula da Silva a plutôt montré qu’il préférait faire cavalier seul sur la scène internationale et porter le combat dans des arènes telle que l’OMC où il pouvait trouver des alliés à sa mesure, l’Inde et la Chine.

La Communauté andine (CAN) après le départ du Venezuela

La situation n’est pas beaucoup plus claire dans la CAN (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou) qui ne possède même pas de candidat pour assumer un leadership régional. Le Venezuela a pu tirer un trait sur trente-cinq ans de participation à l’intégration andine mais les préférences commerciales ont été conservées, notam-ment avec la Colombie, et il n’est pas certain que Hugo Chávez ne revienne pas sur sa décision. À l’origine, le retrait du Venezuela avait été conçu pour punir la Colombie et le Pérou, coupables aux yeux du président vénézuélien d’avoir signé un accord de libre-échange (TLC) avec les États-Unis. La CAN a su toutefois rapi-dement rebondir, sous la houlette du nouveau président péruvien Alan García, qui a orchestré un rapprochement avec le Chili (qui avait quitté le groupe en 1976) et Panama, les deux pays devenant membres associés. Le démarrage en 2007 des négociations avec l’Union européenne vient aussi garantir la pérennisation de cet accord, régulièrement menacé par ses dissensions internes.

La CAN est en effet divisée entre partisans (Équateur, Bolivie) et adversaires (Colombie, Pérou) de Hugo Chávez, et butte sur l’enjeu énergétique. Le président vénézuélien n’a pas hésité à installer au Pérou des bureaux de représentation de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et finance directement des projets sociaux en Bolivie, en Équateur et au Pérou. Son pays assiste aussi l’Équateur et la Bolivie dans leurs réformes visant à reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles, et Hugo Chávez s’est même déclaré prêt à aider Evo Morales à se défendre militairement en cas de tentative de déstabilisation de la Bolivie. Ce pays tente de renégocier ses contrats d’exportation de gaz vers le Brésil et l’Ar-gentine, mais refuse toujours de livrer du gaz au Chili, tant que la question de son accès à la mer ne sera pas réglée. Le Chili de Michelle Bachelet s’est montré prêt à faire un geste, en accordant un corridor « quasi » souverain à sa frontière nord, mais qui, selon les Péruviens, aboutit dans leurs eaux territoriales. À l’instar du différend qui oppose l’Argentine et l’Uruguay au sujet d’une usine de cellulose que ce dernier pays a installé sur sa rive du rio de la Plata, le litige triangulaire Chili-Bolivie-Pérou met en évidence les limites de l’intégration régionale.

L’Amérique centrale face au défi du libre-échange (Cafta) avec les États-Unis

Le 5 octobre 2007, le Costa Rica a approuvé par référendum le traité de libre-échange avec les États-Unis à l’issue d’une campagne acharnée où le président Arias

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n’a pas hésité, pour l’emporter, à recourir aux ficelles les plus grosses. Innovation politique pour l’Amérique latine, ce référendum a mis en scène une bipolarisation tranchée de l’opinion publique, reflétant des clivages perceptibles partout dans le continent. La presse, les secteurs patronaux et l’ensemble des forces conservatrices, favorables au libre-échange, se sont violemment opposés aux milieux intellectuels et syndicaux qui y étaient opposés. Pour le Costa Rica, le possible démantèlement d’entreprises publiques performantes, comme l’Institut costaricien d’électricité (ICE), était en jeu. On peut craindre que les réformes devant accompagner l’entrée en vigueur du TLC ne génèrent des mobilisations sociales. Le Costa Rica était le dernier pays d’Amérique centrale à ne pas avoir encore ratifié le Cafta, ensemble de traités négociés séparément par les pays d’Amérique centrale avec les États-Unis. Le fait que la région n’ait pas pu négocier collectivement reflète d’ailleurs les pressions exercées par les États-Unis comme la faiblesse du processus d’intégra-tion régionale.

Alors que dans les années 1960, le Marché commun centraméricain (MCCA) était souvent cité comme un exemple de réussite de l’intégration dans les pays en voie de développement, les Centraméricains ont dans un premier temps vigoureu-sement relancé l’intégration à la sortie de la crise régionale des années 1979-1990 (révolution sandiniste au Nicaragua), avant que cet élan ne s’épuise et que la pers-pective d’une négociation avec les États-Unis n’accapare l’attention. Le Système d’intégration centraméricain (SICA) reste aujourd’hui le processus d’intégration le plus complexe d’Amérique latine, couvrant de nombreux domaines, du social à l’environnemental, de l’économie à l’éducation ou du politique au sécuritaire. La région possède de très nombreux organes communautaires, mais ils sont dépourvus d’une vision d’ensemble et privés de soutiens politiques. Paradoxalement, seul le passage de l’ouragan Mitch en 1998, dévastant le Honduras, avait un temps ravivé la solidarité régionale.

La victoire de Daniel Ortega à l’élection présidentielle nicaraguayenne de 2006 a réintroduit un facteur de polarisation politique dans la région qui avait juste-ment disparu depuis la défaite du leader de la révolution sandiniste aux élections de 1990. Son rapprochement de Hugo Chávez n’est pas du goût de ses collègues centraméricains, traditionnellement proches des États-Unis. Les différends fron-taliers, notamment avec le Costa Rica, ajoutent au climat de tension.

L’Amérique du Nord après le choc du 11 septembre 2001

L’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) a, depuis 1994, généré une explosion du commerce entre ses trois membres, le Canada, les États-Unis et le Mexique, portant les échanges entre les trois pays de 109 milliards de dollars en 1993 à 622 milliards de dollars en 2000. Son bilan social est en revanche très controversé, notamment au Mexique où le chiffre de 1,5 million de paysans ruinés

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est souvent évoqué. La perspective de l’élimination en 2008 des dernières protec-tions tarifaires suscite aussi de vives inquiétudes.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le tournant sécuritaire de la politique étrangère nord-américaine n’a pas manqué d’affecter l’Alena. Alors même que les États-Unis avaient déjà tendance à ne pas respecter les arbitrages commerciaux, par exemple concernant le bois d’œuvre canadien, le Homeland Security Act a provoqué une fermeture de la frontière que l’Alena avait contribué à ouvrir. Au plan politique, des tensions sont apparues au sein du groupe. Le Mexique de Vincente Fox s’est courageusement opposé aux États-Unis lors des débats sur la guerre en Irak au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, celui du nouveau président Felipe Calderón va plus loin, en amorçant un rapprochement remarqué avec l’Amérique du Sud, notamment avec le Mercosur. Des rééquilibrages sont à l’ordre du jour dans les relations interaméricaines, tout au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2008 aux États-Unis, qui pourraient de nouveau changer la donne.

La gouvernance régionale au-delà de l’échec de la Zone de

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