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Les représentations et les classes sociales

Dans le document UNIVERSITE PARIS 8- VINCENNES-SAINT-DENIS (Page 164-167)

LES ENFANTS SOIGNES POUR UN CANCER : LES IMPLICATIONS DE LA

III.3.1 Comment se pose la question du cancer? Les causalités et les représentations des classes sociales

III.3.1.2 Les représentations et les classes sociales

Notons qu’il existe une différenciation, au niveau de la représentation de la maladie, entre les classes sociales, et en fonction des métiers exercés. Cette différence porte tant sur l’aspect de la maladie, que sur l’étiologie et le traitement.

De plus, la symbolique du cancer est très forte. Dans la mesure où il s’agit d’une maladie dont on ne connaît pas l’étiologie, il reste à se reporter à ce qu’on entend, ce qu’on lit, ce qu’on voit...103 Cette signification symbolique pourra avoir des conséquences directes sur le traitement, la rééducation, le processus de réintégration sociale : les associations mythiques et les superstitions (risque de contagion...) liées au cancer peuvent entraîner un rejet des assurances, des employeurs, des proches (RAZAVI et DELVAUX, 2002). Pour minimiser ces conséquences, il faut se préoccuper des distinctions entre les différents publics atteints.

Dans les classes populaires, les gens seraient plus enclins à considérer la maladie comme un accident : si le corps est silencieux, il va bien. Il est intéressant de voir qu’il existe des opinions différentes sur l’espérance de vie, ce qui favorise une certaine perception de la maladie qui devient un

« accident imprévisible et brutal » (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.48). Quant aux traitements, ce qui nous est montré alors, c’est que la maladie est un accident qui fait basculer la vie et pour lequel on a besoin d’un remède qui puisse rétablir l’ordre.104 Etant donné que l’accident arrive

103 « Le cancer apparaît, après la lèpre, la peste, la tuberculose, la syphilis, comme une maladie à haute signification symbolique. Il est facile de comprendre l’aliénation, l’isolement et les dramatisations (apparentes ou cachées) qu’elle provoque chez ses victimes. » RAZAVI, DELVAUX et de COCK(2002) p.74

104 « Si la maladie est un accident soudain, il sera demandé au médecin « un remède de cheval », un remède énergique et magiquement instantané. Ainsi peut-on noter au passage la grande valeur symbolique de la piqûre, dont l’efficacité est souvent attribuée au côté « expéditif » du geste » (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.48).

165 soudainement, le patient veut que la solution apparaisse également de façon systématique, quasiment en « syntonie ».

Nous touchons là une des véritables raisons qui justifient la recherche d’autres alternatives de traitement, surtout dans le cas du cancer : la nécessité d’avoir des réponses immédiates. Même si cela apparaît plutôt comme une caractéristique des classes supérieures, les membres des classes populaires, de toute façon, voient leur vie- ou la vie d’un proche- menacée soudainement et pour eux le contraste temporel qui oppose la vitalité interrompue par un déséquilibre soudain et une solution à long terme, en l’occurrence le traitement oncologique conventionnel, n’est pas compréhensible ; ils ont donc le droit de chercher ailleurs.

En santé, la prévention serait la plus grande astuce des membres des classes plus favorisées.

Chez eux, la maladie « serait appréhendée préalablement, suivant des signes et symptômes avant-coureurs » car ils sont habitués à l’anticipation, aux manifestations perceptibles d’une maladie et celle-ci reste moins un accelle-cident « qu’une longue perversion de la santé », car elle est en rapport avec le temps ; la maladie « s’inscrit dans le temps »(ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.48)105.

Mais les programmes de prévention en matière de santé s’appliquent à toutes les classes sociales et correspondent à la recherche d’une homogénéisation des pratiques ; cependant le travail est complexe car il faut bien cerner le public en question... Il faut comprendre que les valeurs du groupe ont une place qui ne sera pas forcement remplacée par les nouvelles acquisitions. Les nouvelles informations seront « réinterprétées » afin d’être utiles (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.45).106 En contrepartie, dès qu’on se voit dans une situation de risque alarmant, par exemple les femmes anticipant un cancer du sein, on ne participe pas à ce programme de prévention. Et nous pourrons encore dire que cela ne dépend pas spécifiquement des classes sociales. L’hypothèse serait que ces femmes pensent qu’il n’y a plus rien à faire et, pire, ce sentiment d’impuissance agirait comme un élément dissuasif : la perception même d’un risque élevé n’est pas une raison suffisante pour surveiller le problème (RAZAVI et DELVAUX, 2002).107

105 « Ceci explique une relation plus favorable aux principes de prévention : ne pas manger trop, faire des bilans médicaux réguliers, suivre un régime, etc. » Abdelmalek va encore plus loin, faisant un rapport entre le système de santé préventif , tel qu’il fonctionne chez les sujets plus favorisés et les diagnostics psychiatriques : « Luc Boltanski va jusqu’à transposer ces attitudes au domaine de la psychiatrie, notamment la psychiatrie légère, qui constituerait une sorte de privilège réservé aux classes supérieures. Pour le paysan non fortuné, la névrose est un luxe. Il s’accuserait plutôt de paresse…(...) » ». (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.48)

106 Ce qu’Abdelmalek et Gérard (1995, p.45) disent c’est que « Les difficultés liées à la transmission de nouvelles informations sont inséparables de la réinterprétation de ces dernières par un ensemble de valeurs et d’usages appartenant à un groupe donné. »

107 Razavi et alii. (2002b, p. 56) concluent que « cela s’oppose aux modèles linéaires associant perception d’un risque et comportement positif de santé » et il établit un parallèle entre la représentation de la maladie dans les différentes classes sociales et le cancer : il y a un moment donné,

166 III.3.2 L’interprétation du cancer et l’aspect spirituel

Certains éléments, au sein de la famille, déterminent l‘interaction- patient / famille- avec le système de soins : l’utilisation des mécanismes de défense, la perception de la maladie et du monde médical. Ajoutés à l’échange d’informations et au soutien des autres, ces aspects spirituels aident également le coping (HOLLAND et FREI, 2003 ; LAST et GROOTENHUIS, 1998). Enfin, le choix des traitements est particulier aux familles. Les renseignements acquis sont pertinents parce qu’ils les aident à acquérir la confiance en eux-mêmes et à décider de faire leurs choix seuls (contrairement ou en accord avec l’équipe médicale) ou avec les professionnels : le fait d’avoir un « sentiment de contrôle » sur la situation améliore leur participation dans les décisions (RAZAVI, DELVAUX et de COCK, 2002, p.105).108 Et si ce sont les doutes en relation avec la maladie qui poussent les gens à rechercher un sens, une explication religieuse, spirituelle est beaucoup plus compréhensible pour la famille que l’explication scientifique

Razavi et alii., (2002a, p.216) nous rappellent que, dans la phase de l’adaptation individuelle et familiale au cancer, il faut apprendre à gérer les différences culturelles, car « l’appartenance culturelle d’une famille va nuancer les valeurs, les croyances et les attitudes ». Ces différents aspects sont en relation avec des facteurs qui impliquent le patient et la maladie, tels que son autonomie et son expression de la douleur, mais aussi avec des questions interpersonnelles- la communication avec les soignants et l’interprétation de l’origine du cancer.

Dans ce contexte, figurent ce qu’on appelle les traitements alternatifs à la maladie. L’approche suscite des controverses car elle peut partir de « manipulations lucratives et nocives pour la santé » qui profitent de la détresse du patient et de la famille, mais en revanche, ces traitements peuvent également englober des interventions qui cherchent une amélioration de l’état de santé, de la qualité de vie ou bien qui favorisent l’adaptation et un prolongement de la survie (RAZAVI, DELVAUX et de COCK,

où la maladie peut narguer tous les processus de prévention, de soins, de surveillance car le sentiment

d’impuissance demeure plus fort, il dépasse l’espoir...

108 Les doutes existants semblent engendrer un processus de recherche de sens et la construction de croyances auxquelles le patient et sa famille se raccrochent avant, pendant et après la maladie :

« L’impuissance, la souffrance, la confrontation à la réalité de la mort génèrent un traumatisme psychique. Ce traumatisme psychique engendre très fréquemment des sentiments d’incrédulité et d’irréalité qui amènent le sujet à douter profondément de ses anciennes convictions et attitudes. Ce sont ces doutes qui le poussent à rechercher un ou des sens en rapport avec l’expérience vécue et subie. Les sens trouvés peuvent s’amplifier et favoriser une construction de croyances diverses. En d’autres termes, les traumas – par essence incroyables – activent une séquence de cognitions : perplexité incrédule, doutes significatifs, recherche de sens et construction de croyances. Pour être comprise, chacune de ces croyances doit être ainsi déconstruite tant au niveau de sa signification que de son développement temporel. » RAZAVI, DELVAUX et de COCK, 2002, p.105.

167 2002, p.82). Le recours des patients à ce type de traitement repose évidemment sur une raison principale : la volonté de guérir.

Le doute présent, à l’origine du recours à ces approches, n’empêche pas que certains y cherchent un traitement, vu que le cancer comporte très souvent un pronostic assez douteux. La participation de la famille est également importante dans ces choix, car l’impuissance qui se profile avec la maladie fait que les familiers veulent apporter leur aide : d’où les propositions de traitement alternatifs. D’autre part, en face de l’image « technologique et agressive » de la médecine orthodoxe, les traitements alternatifs sont fréquemment associés à une « image plus positive évoquant la nature, la purification, l’absence d’effets secondaires et d’intoxication. » (RAZAVI, DELVAUX et de COCK, 2002, p.82).

Il est fort probable que la foi des gens qui sont confrontés à une maladie chronique grave, telle que le cancer, sera mise à l’épreuve. Dès les premiers moments où on se trouve face à une ambiance où la gravité, le déséquilibre vital prédominent, la foi semble être mise en jeu avec les limites imposées par la fragilité de la situation.

Ainsi, le rôle de la religion dans ce cadre s’avère important dans la compréhension et l’acceptation d’un contexte inattendu, inconnu et incertain. Il est vrai que l’attachement à la religion, dans le contexte du cancer, se révèle crucial et nous constatons une recherche assez fréquente de solutions et de référence au niveau spirituel (ASTROW, MATTSON, PONET et WHITE, 2005)109

Les facteurs qui jouent un rôle dans ce contexte religieux sont bénéfiques tant qu’ils améliorent les aspects psychologiques, physiologiques et même sociaux de l’individu et de sa famille.

Dès lors, la « relation » du patient avec le spirituel peut faire que quelques facteurs d’une importance considérable aient une implication positive dans la qualité de vie des patients, un des points essentiels visés par le traitement oncologique (TATSAMURA, MASKARINEC, SHUMAY et KAKAI, 2003).

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