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L’interprétation des causalités du cancer : les modèles exogène et endogène

Dans le document UNIVERSITE PARIS 8- VINCENNES-SAINT-DENIS (Page 160-164)

LES ENFANTS SOIGNES POUR UN CANCER : LES IMPLICATIONS DE LA

III.3.1 Comment se pose la question du cancer? Les causalités et les représentations des classes sociales

III.3.1.1 L’interprétation des causalités du cancer : les modèles exogène et endogène

A partir des représentations de la maladie citées dans ce texte, nous reviendrons sur les causes qui peuvent être le résultat de facteurs externes et internes de sorte que les perceptions existantes ne sont que la trace des expériences précédentes enregistrées au cours de l’histoire. Les modèles que nous montrons dans ce topique sont cités à partir de l’étude de Abdelmalek et Gérard (1995). Selon les auteurs, c’est ainsi qu’il faut faire attention aux positions « communes » qui opposeraient les civilisations et cultures dans un contexte banal, mais malheureusement réel : les cultures « modernes » versus les cultures « primitives », type de pensée qui classe les médecines traditionnelles ou savoirs populaires parmi les superstitions.97

Dans les classes populaires, le modèle de causalité exogène semble être plus commun : l’origine du mal, de la maladie, est à l’extérieur, mais pas en soi. Ainsi, l’action d’un élément (réel ou symbolique) étranger au malade – car lié à l’extériorité- et l’association de cet élément à une personne humaine ou surnaturelle (sorcier, génie, diable, ancêtre), devenu la source de l’évènement malheureux qui affecte la santé montrent la référence à des perceptions que l’on peut avoir quant à l’étiologie de la maladie. L’attente de la guérison ne viendra donc que de l’extérieur (intervention du chaman, intervention médicale…) (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995).98 Dans le cas du cancer, ce modèle

96 « Le cancer apparaît, après la lèpre, la peste, la tuberculose, la syphilis, comme une maladie à haute signification symbolique. Il est facile de comprendre l’aliénation, l’isolement et les dramatisations (apparentes ou cachées) qu’elle provoque chez ses victimes » RAZAVI, DELVAUX et de COCK, 2002, p.74.

97 « Si tel était le cas, on risquerait ce point de vue simpliste : il y aurait une pensée « scientifique » moderne avancée s’opposant à une pensée « primitive », vestige de l’enfance de l’humanité ».

(ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.83).

98 Abdelmalek et Gérard (1995, p.84) à propos des populations dites « primitives ou populaires » et des causalités externes de la maladie ont écrit : (La maladie) « frappe comme un malheur ou une faute à expier. Ce système d’interprétation est particulièrement présent en Afrique, où la maladie sera vue comme la colonisation du corps ou de l’esprit par une volonté maligne. On comprendra dès lors la cohérence du rituel thérapeutique. Cette conception satisfait l’idée que l’individu n’est pas responsable de sa maladie, qu’il est en quelque sorte possédé ».

161 incrimine ainsi les modes de vie et l’environnement malsain considéré comme étant à l’origine du processus morbide.

L’environnement chimique, géographique, enfin le mode de vie se voit attribuer le statut d’agent nocif extérieur responsable de la maladie et des malaises quotidiens. Ceci dit, même si on ne remarque plus le côté « malin » de l’agent extérieur, les « populations dites savantes » peuvent se sentir exemptes d’une possible responsabilité vis à vis de la maladie qui les frappe, ce qui nous amène à réfléchir à la manière dont nous gérons nos relations avec notre environnement, avec la société et dont enfin nous produisons notre mode de vie (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995)99

De son côté, le modèle endogène s’appuie sur la considération qu’on trouvera l’origine de la maladie à l’intérieur même du sujet, mais, il ne faut pas oublier que les deux types de causalités ici considérés peuvent apparaître tant dans les interprétations populaires, traditionnelles que dans les constatations scientifiques modernes.

C’est ce qu’on observe dans le tableau suivant, où, quoique chaque modèle ait ses propres caractéristiques, il est possible de distribuer concomitamment les caractéristiques des deux modèles et de les attribuer à une même maladie. Cela n’a d’autre objet que de montrer que, parmi les diverses approches de la santé et de la maladie, le repérage du modèle permet au professionnel de mieux comprendre le sens de ses recherches des causes, de ses préférences et d’orienter alors la direction des réponses à donner au patient (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995) (Cf. Tableau 13).

Si on parle du cancer, maladie de caractère agressif et invasif avec une multiplication incontrôlable et désordonnée des cellules, notons que les deux modèles pourraient expliquer ses causalités, ce que confirme encore le caractère complexe de cette affection. Selon les caractéristiques du modèle endogène, le cancer serait « attribué à des prédispositions héréditaires, à une hypersensibilité héréditaire du sujet », parce que c’est une maladie qui « tue du dedans ». Le modèle exogène est, pour sa part, applicable au cancer en ce qui vient de l’extérieur de l’individu, ce qu’il s’apporte à lui-même à travers ses modes de vie, ou à travers l’environnement (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.89).

99 Abdelmalek et Gérard (1995, p.87) n’hésitent pas à affirmer que le concept de causalité extérieure de la maladie a été aussi hérité de Pasteur : « La conception occidentale de la maladie comme ennemi extérieur est également largement héritée de Pasteur, qui a fait valoir la contagion de l’organisme par un germe pathogène extérieur. Le prototype en est la rage, qui se transmet par la salive transportant le germe d’un individu à l’autre. Le modèle pasteurien (germe-maladie) doit son énorme succès aux réinterprétations irrationnelles et imaginaires qui se sont greffées sur lui. Pour Laplantine, l’adhésion populaire massive au modèle pasteurien est due à son impact – son efficacité- symbolique. Pourquoi ? Parce que les substances nocives sont d’autant plus pathogènes qu’elles sont invisibles. Elles renforcent l’idée que l’on n’est pas à l’origine de la maladie. Il s’agit non pas d’un individu malade mais d’un organe en soi accidentellement infecté. »

162 A. La cause de la maladie-Modèle exogène B. La cause de la maladie-Modèle endogène

- Thérapie soustractive

Tableau 13 : Modèles de causalité morbide opposés (adapté de Abdelmalek et Gérard, 1995, p. 93)

Le fait de rechercher les causalités de la maladie peut être aussi décrit comme une attribution.

On attribue la maladie à un facteur quelconque étant donné qu’il est souvent plus compréhensible de donner une explication à l’arrivée d’une maladie grave et on invoque donc le destin, la chance, la volonté divine ou bien encore d’autres personnes peuvent rendre responsables des facteurs tels que leurs comportements, certains aspects de leur personnalité, voire des facteurs héréditaires, ce que confirment les modèles (d’attribution) exogène et endogène. Cette démarche est plus simple, elle fait naître moins de culpabilité et est moins liée à la responsabilité, que ce soit chez le patient ou chez sa famille, vu que le fait d’attribuer la cause ou « la faute » ne les oblige pas à se prendre en main ou à s’attacher sentimentalement et psychologiquement à cette étape fatigante du processus (RAZAVI et DELVAUX, 2002).

Cette différenciation des modèles endogène et exogène ne veut que montrer qu’il est pratiquement « impossible de dénouer tous les facteurs qui interviennent » tant du côté extérieur que du côté intérieur dans les plus diverses maladies. Ce qui conduit Abdelmalek et Gérard (1995) à l’analyse d’un troisième modèle qu’ils appellent la « synthèse individuelle ». Dans ce modèle, il est facile de comprendre que « s’il est toujours possible d’incriminer un agent extérieur (la pollution, le tabac, …) cette causalité n’est pas génératrice de cancer chez tous les individus » et c’est à partir de cet ensemble de doutes par rapport à l’étiologie du cancer, que l’auteur en vient à affirmer l’importance d’une approche plus complète où l’aspect anthropologique de l’écoute du patient doit être pris en considération (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p.89).

Dans ce contexte, l’observation des causalités de la maladie et surtout du cancer, l’aspect relationnel des rapports entre professionnels de santé et patients deviennent plus évidents et plus importants : chaque patient, dans sa situation de soins particulière montrera un ensemble de

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« perceptions de la maladie, chacune étant résolument singulière d’un individu à l’autre » (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p. 90)100 ; c’est pourquoi, nous ne pouvons pas ignorer les perceptions, les sentiments et les expectatives du patient et de sa famille. Le sujet s’avère important surtout quand on fait la liaison entre les paramètres multidisciplinaires de la situation de soins oncologiques.

Pour illustrer le sujet, prenons l’exemple d’une étude faite aux Etats Unis, où la perception du cancer chez les enfants âgés de 6-12 ans montre aussi une différenciation des causalités, la plupart faisant référence aux facteurs externes ; ceci peut montrer un résultat amené soit par la structure des questions posées, soit par l’âge précoce des enfants (CHIN, SCHONFELD, O`HARE, MAYNE, SALOVEY, SHOWALTER et CICCETTI, 1998).

Souvent, questionnés sur plusieurs maladies, les enfants montrent un niveau de connaissance beaucoup plus bas des causes du cancer que des causes de maladies plus courantes à leur âge, comme la grippe, par exemple.

Pour ces enfants, la cause la plus habituelle (28%) du cancer c’est l’usage des drogues, en particulier les cigarettes, et l’action de fumer (24%) Le contact casuel ou la contamination par l’action de serrer les mains, de tousser à côté de quelqu’un, de partager un verre sont des exemples cités par 22% et la transmission de la maladie par l’utérus et par des germes restent à l’origine du cancer pour 17% des enfants (CHIN et alii., 1998)101.

Au total, à peu près la moitié des enfants s’inquiétaient d’avoir un cancer. La connaissance de la fatalité du cancer est un sujet bien connu, vu que 80% des enfants savent que le cancer est une maladie fatale. Les plus petits (6-9 ans102) sont moins concernés: malgré la compréhension de ce que le cancer peut signifier en tant que maladie grave, les enfants ne s’inquiètent pas de la possibilité de l’attraper.

100 Il est beau de comprendre l’enthousiasme des auteurs qui écrivent, dans une affirmation très réussie de l’approche complémentaire de la santé et de la maladie : « C’est sans doute là que les professions médicales et surtout paramédicales ont à tirer des leçons de l’approche anthropologique, car chaque situation de soin proposera toute une combinaison de perceptions de la maladie par les malades, chacune étant résolument singulière d’un individu à l’autre. La perception du malade par rapport à sa maladie empruntera à sa culture, ses mythes, ses fantasmes personnels : c’est cela que le malade donne à entendre, et de la qualité d’1une écoute anthropologique dépendra la pertinence d’une réponse qui ne peut oublier les significations symboliques mises en jeu. Cette réponse peut obéir à un modèle additif ou à un modèle soustractif, la dimension de la culture réintervenant dans le choix de l’un ou l’autre de ces deux modèles » (ABDELMALEK et GÉRARD, 1995, p. 90).

101 Les auteurs citent d’autres études avançant le chiffre de 40% et même de 90% des participants attribuant au tabac l’origine du cancer, mais cette étude porte sur des enfants plus jeunes et adopte une méthodologie semi-structurée au niveau des questions au lieu de listes de vrai/faux ou de questionnaires à choix multiples.

102 Des enfants américains qui restent dans le kindergarten jusqu’à la 3ème année.

164 Toujours dans ce modèle exogène, 10% des participants montrent que le mode de vie, une alimentation pauvre et le climat font partie des causes du cancer et, dans les conceptions erronées, 22% mentionnent la contagion pour répondre à la question ‘Comment attrape-t-on le cancer?’; chez les plus petits, la réponse est plus courante, mais on l’a trouvée même chez les plus grands (4ème et 5ème année : 16%) (CHIN et alii., 1998).

La connaissance de ces enfants sur le mot cancer voire sur la maladie même vient aussi des expériences personnelles, du voisinage d’une maladie grave, point vérifié et qui a été souligné par 40% des parents des enfants faisant partie de l’étude (les parents ont rapporté avoir quelqu’un de la famille, un ami et/ou un voisin atteint d’une maladie grave).

Dans le document UNIVERSITE PARIS 8- VINCENNES-SAINT-DENIS (Page 160-164)