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L’électrochimie dans les liquides ioniques à température ambiante

3.2 Les références électrochimiques

3.2.3 L’électrode de référence

3.2.3.1 Les quasi-références

Dans la littérature, des quasi-références (QRE) de nature différente ont été utilisées pour des expériences d’électrochimie en milieu liquide ionique. Beaucoup d’électrodes sont simplement constituées d’un fil de platine6,8,14,15,41–65, d’argent22,24,66–78, de palladium32,79–82, d’aluminium83, de cuivre84 ou encore de lithium25,85. D’autre quasi-références rencontrées, plus exotiques, sont composées soit d’un fil d’argent recouvert de chlorure d’argent12,86,87 ou de polypyrrole29, soit de charbon actif88,89.

L’immense problématique des quasi-références réside dans l’identification des paramètres régissant l’équilibre électrochimique qui détermine leur potentiel. Contrairement aux électrodes de référence, dont nous discuterons dans la partie 3.2.3.2, les quasi-références sont directement insérées dans le milieu réactionnel, leur potentiel est donc sensible aux variations de concentration de toutes les espèces présentes dans le milieu. Pour faciliter la comparaison entre les différents

Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes

groupes de travail, le potentiel d’une QRE est souvent mesuré par rapport au potentiel du couple Fc+/Fc6,14,29,32,42,44,56,73. Notre étude a pour but d’identifier les problématiques liées à l’utilisation de ces QRE.

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s Différentes conditions expérimentales permettent d’analyser le comportement des quasi-références. Ainsi, la nature de la QRE (platine (Pt), palladium (Pd), argent (Ag), chlorure d’argent sur argent (AgCl) et charbon actif), le liquide ionique (tous basés sur l’anion [Tf2N]-), les vitesses de balayage des voltampérométries cycliques enregistrées (10 et 100 mV s-1) et la concentration en Fc ou Fc+ sont les paramètres variables de cette étude.

Les résultats sont majoritairement présentés sur des courbes E = f(t). Les valeurs de potentiel des pics d’oxydation et de réduction du couple Fc+/Fc y sont reportées sur une plage de temps de 7,5 h.

3.2.3.1.1 Influence de la nature de l’électrode

Figure 3.6. Potentiel de pic d’oxydation (symboles pleins) et de réduction (symboles vides) du

couple redox Fc+/Fc selon la nature de la quasi-référence (légende à droite). Liquide ionique [C1C8Im][Tf2N] à 25°C. Concentration de 10 mmol L-1 en ferrocène. Vitesse de balayage 100 mV s -1.

Le RTIL [C1C8Im][Tf2N] est sélectionné pour présenter la comparaison des quasi-références de natures différentes. Les autres RTIL présentent les mêmes comportements et mènent donc aux mêmes conclusions. La Figure 3.6 montre les

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valeurs de potentiel des pics d’oxydation et de réduction du couple Fc+/Fc obtenues toutes les 30 min.

Plusieurs comportements se distinguent et méritent d’être discutés. Le premier concerne chacune des quasi-références sur la période temporelle allant de 0 à 1,5 h. Elle est caractérisée par une translation positive des potentiels de pic. Ce déplacement est sans doute dû à l’absence initiale de ferrocénium dans le milieu réactionnel : la lente diffusion du Fc+, électrogénéré, modifie progressivement les concentrations d’espèces observées par une quasi-référence et donc son équilibre. La dérive en potentiel des quasi-références sera ainsi mesurée entre 1,5 h et 7,5 h pour éviter la prise en compte de cette translation.

(1,5 h 7,5 h) dEox (mV) dEred (mV) ΔEpic (mV)

Pt 30 30 260

Pd 30 30 260

Ag 50 50 215

Charbon actif 50 25 190

AgCl 10 10 220

Tableau 3.4. Etude de la valeur moyenne de ΔEpic et de la dérive des potentiels d’oxydation dEox et de réduction dEred du couple Fc+/Fc selon la nature de la quasi-électrode de référence. Valeurs tirées de l’analyse de la Figure 3.6.

L’observation du Tableau 3.4 permet d’observer que le platine et le palladium affichent une dérive en potentiel identique pour les potentiels de pic d’oxydation et de réduction. Ces deux électrodes étant constituées de métaux nobles électrochimiquement inertes (i.e. ne participant pas à des réactions électrochimiques), leur potentiel d’électrode est entièrement dépendant des espèces électroactives du milieu. Les dérives observées pour l’argent et le charbon actif sont légèrement supérieures à celles observées pour les métaux nobles tandis que celles constatées pour la quasi-électrode AgCl sont légèrement inférieures. Par ailleurs, le potentiel d’équilibre pris par la QRE AgCl est très certainement différent de celui des autres électrodes (Figure 3.6). Cet écart peut s’expliquer par la nature mixte de l’équilibre de cette électrode, entre le couple Cl-/AgCl/Ag et le couple Fc+/Fc. Une hypothèse de complexe mixte, par exemple entre les anions Cl

-Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes

et Tf2N-, n’est pas considérée puisque 1) le potentiel se stabilise rapidement et 2) le revêtement AgCl n’est pas altéré par l’expérience.

Une attention particulière doit être portée sur les valeurs de ΔEpic obtenues. L’écart entre les potentiels de pic attendu pour un couple monoélectronique est de 57 mV, les ΔEpic du Tableau 3.4 sont de 3 à 5 fois supérieurs à cette valeur. Le ΔEpic d’un couple d’oxydoréduction donné n’a aucune raison de varier en fonction de l’électrode de référence employée, sauf si le potentiel d’équilibre de cette électrode est modifié en temps réel par les procédures électrochimiques en cours. C’est ainsi que l’on peut avancer la conclusion suivante : l’équilibre observé par la QRE est fonction du phénomène électrochimique ayant lieu à l’électrode de travail.

3.2.3.1.2 Influence des paramètres expérimentaux sur la valeur de potentiel d’une quasi-référence

Afin d’identifier les paramètres expérimentaux influant sur l’équilibre d’une quasi-référence, différents essais ont été réalisés sur l’électrode AgCl. Les conditions et résultats de ces expériences sont consignés dans le Tableau 3.5.

Pour les essais 1, 2 et 3, le cation du liquide ionique est le paramètre variant. Le potentiel de réduction du Fc+ est quasiment similaire pour les trois essais. La solvatation d’un cation est en effet principalement réalisée par l’anion inchangé du liquide ionique et seule la deuxième sphère de solvatation est impactée par la nature du cation ce qui explique les résultats sur Ered. La solvatation de l’espèce

Essai Cation RTIL υ (mV s-1) [Fc] (mmol L-1) [Fc+] (mmol L-1) Eox (V vs. QR AgCl) Ered (V vs. QR AgCl) 𝜟𝑬 (V) 1 [C1C8Im] 100 10 0 0,44 0,20 0,24 2 [C1C4Im] 100 10 0 0,37 0,21 0,16 3 [C1C4Pyrr] 100 10 0 0,41 0,23 0,18 4 [C1C4Pyrr] 50 10 0 0,38 0,25 0,13 5 [C1C4Pyrr] 10 10 0 - - 0,12 6 [C1C4Pyrr] 10 10 10 0,075 -0,007 0,082

Tableau 3.5. Résumé des potentiels obtenus (à droite) avec la quasi-référence AgCl selon les variations expérimentales

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neutre Fc, qui est, elle, réalisée à la fois par l’anion et le cation du liquide ionique sur la première sphère peut expliquer les différences du potentiel d’oxydation observées. Il apparaît ainsi qu’une chaîne alkyle plus courte, [C1C4Im] versus [C1C8Im], et une délocalisation de la charge du cation, [C1C4Im] versus [C1C4Pyrr], permettent de diminuer la valeur du potentiel de pic d’oxydation du Fc. Une solvatation plus importante engendre l’augmentation de la taille de la couche de Helmholtz, le potentiel de l’électrode subit conséquemment une décroissance plus élevée dans cette couche, ce qui nécessite une surtension plus importante pour la réalisation d’une même réaction électrochimique. Ces paramètres propres à la nature du liquide ionique semblent n’influer que très peu sur la valeur du potentiel d’équilibre d’une QRE mais ont pour conséquence d’augmenter ou de diminuer les ΔEpic. Ce sont les phénomènes de solvatation des espèces qui semblent donc être mis en cause ici.

Pour les essais 3, 4 et 5, la vitesse de balayage de la voltampérométrie cyclique imposée à l’électrode de travail a été modifiée. Nous observons premièrement que la valeur de ΔEpic diminue en fonction de la vitesse de balayage ce qui nous indique que la solvatation n’est pas le seul phénomène influant sur cet écart. Les potentiels de pic correspondant à la vitesse de balayage de 10 mV s-1 sont si instables qu’aucune valeur n’a pu être consignée dans le Tableau 3.5. La Figure 3.7 permet de se rendre compte de ces variations de potentiel. L’affirmation exprimée plus haut selon laquelle le potentiel d’une quasi-référence est dépendant de la procédure électrochimique en cours à l’électrode de travail se confirme à nouveau ici. De fortes vitesses de balayage ne font que très faiblement varier la stabilité du potentiel de la QRE. En effet, les espèces électrogénérées ne diffusent que très légèrement dans le milieu réactionnel. Elles restent à proximité de l’électrode de travail et sont alors directement impliquées dans la réaction redox inverse. La concentration des espèces électroactives vue par la QRE n’est alors que faiblement modifiée, ce qui donne l’impression d’un potentiel stable. Au contraire, avec une faible vitesse de balayage comme celle de 10 mV s-1, le Fc+ généré électrochimiquement par l’oxydation du Fc diffuse dans la solution et modifie l’équilibre global de la QRE. Au fur et à mesure que la concentration en Fc+ du milieu réactionnel augmente, le potentiel pris par la QRE se rapproche de plus en

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plus de la valeur du potentiel standard du couple Fc+/Fc, i.e. les concentrations entre Fc et Fc+ sont de plus en plus proches de leurs valeurs d’équilibre, ce qui explique cette lente diminution des valeurs de potentiel de pic du couple sur l’électrode de travail.

Figure 3.7. Potentiel de pic d’oxydation (symboles pleins) et de réduction (symboles vides) du couple redox

Fc+/Fc selon la vitesse de balayage (légende à droite). Liquide ionique [C1C4Pyrr][Tf2N] à 25°C. Quasi-référence AgCl. Concentration de 10 mmol L-1 en ferrocène.

Pour le dernier essai, le numéro 6, la même concentration des deux espèces du couple Fc+/Fc est introduite dans le milieu réactionnel. La vitesse de la voltampérométrie cyclique réalisée sur l’électrode de travail est fixée à 10 mV s-1. La stabilité des potentiels de pic est alors similaire à celles observées pou r de grandes vitesses de balayage. La concentration des espèces électroactives vue par la QRE n’évolue pas. Dans ce cas, aucune translation des potentiels de pic n’est observée entre 0 et 1,5 h ce qui confirme que c’est bien l’absence initiale de Fc+ qui engendre ce phénomène. Le ΔEpic obtenu est de 82 mV. Il se rapproche nettement de la valeur théorique d’une réaction réversible. Ainsi la valeur de ΔEpic

dépend des différences de concentration des espèces puisqu’elles modifient l’équilibre de la QRE pendant le temps de la manipulation.

Par conséquent lorsque la concentration globale des espèces électroactives ne varie pas, la QRE se comporte comme une vraie référence, son potentiel d’équilibre est stable et n’est pas impacté par la réaction redox de l’électrode de travail.

Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes

3.2.3.1.3 Conclusion sur les quasi-références

De façon générale, l’utilisation d’une quasi-référence comme électrode de référence n’est pas souhaitable. Le potentiel de cette électrode est dépendant de tous les facteurs environnementaux influant sur la concentration des espèces électroactives présentes dans le milieu réactionnel. Lors d’une expérience d’électrochimie classique ces variations sont donc inévitables. Tout l’intérêt d’une électrode de référence réside dans la stabilité de son potentiel d’équilibre, il n’est clairement pas nécessaire d’ajouter une électrode si c’est une QRE puisqu’un montage électrochimique à deux électrodes donnerait des résultats similaires. Ces raisons excluent totalement l’utilisation d’une QRE comme système de référence pour le potentiel de l’électrode de travail.