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L’électrochimie dans les liquides ioniques à température ambiante

3.2 Les références électrochimiques

3.2.2 Compensation de la chute ohmique

Nous avons précédemment abordé la notion et l’origine de la chute ohmique dans la section 2.2.2 du chapitre II. Dans les systèmes aqueux, cette chute ohmique est généralement de l’ordre de quelques ohms. Pour les faibles courants employés à l’échelle du laboratoire, elle a donc une influence négligeable sur les valeurs de potentiel. Dans les RTIL, qui présentent de faibles valeurs de conductivité, la résistance interne affiche des valeurs beaucoup plus élevées, théoriquement comprises entre 10² et 104 Ω21. Dans ces conditions la chute ohmique ne peut être négligée. Elle est pourtant loin d’être systématiquement considérée. Une prise de conscience collective est néanmoins en train de naitre. Des chercheurs reconnus21,28,29 recommandent désormais d’appliquer la correction du potentiel lié à la chute ohmique, et un petit nombre de publications l’appliquant ont récemment vu le jour15,16,23,27,30–33.

Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes P ci si on s ex p ér im en ta le

s Les valeurs de résistance interne des RTIL sont mesurées par impédance électrochimique autour du potentiel d’abandon Eocv (10 mV d’amplitude). Une variation de fréquence de 100 kHz à 0,1 kHz a été arbitrairement choisie.

Une électrode de travail en carbone vitreux (GC), une contre électrode en platine (Pt) et une électrode de référence Fc+/Fc/Pt (détails section 3.2.3) constituent la chaîne électrochimique utilisée. La température de travail est de 25°C (fixée par thermorégulation) et les conditions environnementales similaires à celles de la pièce.

3.2.2.1 Mesures et valeurs de résistance interne dans les liquides ioniques

La Figure 3.4 présente un diagramme de Nyquist typique obtenu par impédance électrochimique, entre l’électrode de travail et l’électrode de référence. La résistance interne est observée sur ce graphique comme le point d’intersection entre l’axe des abscisses (partie réelle) et la courbe d’impédance.

Figure 3.4. Spectre d’impédance électrochimique réalisé entre 100 kHz et 0,1 Hz pour le RTIL

[P66614][Tf2N] à 25°C. Mise en évidence de la mesure de la résistance interne dans l’encadré.

Les valeurs de résistance interne obtenues pour les cinq liquides ioniques principaux (basés sur l’anion [Tf2N]-) sont présentées dans le Tableau 3.3. Comme

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prévu par Ohno21, ces valeurs sont considérablement plus élevées que pour des solvants aqueux et concordent avec celles obtenues dans la littérature25.

RTIL 𝐑𝐢𝐧𝐭 (𝛀) σ19 (𝐒 𝐜𝐦−𝟏) [P66614][Tf2N] 8090 - [N1114][Tf2N] 377 0,14 [C1C4Pyrr][Tf2N] 290 0,29 [C1C4Im][Tf2N] 372 0,39 [C1C8Im][Tf2N] 1401 -

Tableau 3.3. Valeurs de résistance interne des liquides ioniques principaux, mesurées dans des conditions

similaires ie électrode de travail en GC, électrode de référence Fc+/Fc/Pt à 25°C dans le RTIL pur. Les valeurs de conductivité à 25°C du Tableau 3.1 sont à nouveau présentées pour alimenter la discussion.

L’analogie avec les principes d’électricité classique indique que les valeurs de conductivité ionique et de résistance interne sont corrélées selon l’(3.2 suivante :

Rint = L

S σ (3.2)

Avec L la distance entre les électrodes (m) S la surface d’électrode (m²)

Nous remarquons pourtant que pour les trois RTIL dont les valeurs de résistance interne et de conductivité sont présentes dans le Tableau 3.3, le coefficient de proportionnalité les reliant n’est pas constant. L’encombrement stérique des électrodes dans la cellule ainsi que les éventuelles fluctuations de conductivité (présence d’eau, température, etc.) d’un RTIL sont des grandeurs prises en compte lors de la mesure de Rint.

La valeur d’une résistance interne est donc soumise à la nature du milieu électrolytique mais également à des paramètres expérimentaux propres aux conditions d’expérience. Cette mesure n’étant pas destinée au calcul de la conductivité mais à la compensation du potentiel de l’électrode de travail, il est donc intéressant de noter que ces dépendances seront prises en compte dans la correction du potentiel réalisée par la suite.

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3.2.2.2 Correction du potentiel de travail

En ce qui concerne la correction du potentiel de l’électrode de travail, deux méthodes différentes sont possibles. L’une est dite dynamique, elle est gérée en temps réel par le potentiostat, tandis que l’autre est dite statique et est réalisée par l’expérimentateur après l’acquisition.

Ces deux méthodes consistent toute deux en l’application de l’équation 3.3 sur le potentiel pris ou donné par le potentiostat.

Epot = E reel+ Rint I (3.3)

Contrairement à la compensation statique, la compensation dynamique a l’avantage de corriger non seulement les valeurs de potentiel appliqué mais également les valeurs de vitesse de balayage imposées lors de voltampérométries. Il est important d’être conscient qu’en l’absence de compensation, la valeur de la vitesse de balayage est impactée au moment de l’apparition d’un courant, donc au cours des phénomènes d’oxydoréduction d’intérêt.

La Figure 3.5 présente l’effet des corrections sur les voltampérogrammes du couple redox de référence Fc+/Fc. Ces courbes sont présentées en densité de courant massique (corrigée par la masse de Fc initialement introduite) pour une meilleure comparaison.

La valeur de potentiel des pics d’oxydation et de réduction du couple Fc+/Fc est effectivement impactée par l’application des deux méthodes de compensation. En particulier, l’écart entre les pics d’oxydation et de réduction, noté ΔEpic, est réduit puisque la valeur de E1/2 est similaire pour les trois cas. En effet, ΔEpic est de 146 mV sans correction, de 100 mV avec une correction dynamique et de 95 mV avec une correction statique. Malgré l’application d’une compensation de la chute ohmique, les valeurs de ΔEpic obtenues restent relativement éloignées de la valeur théorique de 57 mV attendue pour une réaction réversible et monoélectronique à la température de 25 °C (cf section 2.3.1). Nous verrons dans la suite de ce chapitre que la solvatation des espèces est probablement responsable de cet écart.

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Globalement, la différence obtenue par l’application de l’une ou l’autre méthode de correction est minime. De très légères variations de potentiel sont obtenues entre la méthode statique et dynamique. Pourtant, avec la correction statique la vitesse de balayage subit des variations. Au plus fort du courant, elle est de 72 mV s-1 au lieu des 100 mV s-1 demandé, ce qui ne semble pas affecter le voltampérogramme obtenu.

3.2.2.3 Quelle correction adopter ?

Notre potentiostat permet une correction dynamique du potentiel mais cette fonction est applicable seulement pour des expériences de courte durée car une seule mesure de Rint est réalisée. En effet, les RTIL utilisés sont très hygroscopiques. Lorsqu’ils sont en contact avec une atmosphère pouvant être humide, ils se chargent en eau au cours de l’expérience, ce qui modifie leur conductivité et engendre alors une surcompensation du potentiel. Malgré l’utilisation d’une cellule étanche, la quantité d’air piégée dans la cellule lors de la fermeture s’est avérée plusieurs fois suffisante à l’apparition d’une

Figure 3.5. Effet de la correction sur les voltampérogrammes du couple redox Fc+/Fc. Dans [C1C8Im][Tf2N] à 25°C avec une vitesse de balayage de 100mV s-1. Référence Fc+/Fc.

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surcompensation du potentiel. C’est donc une correction statique du potentiel qui sera réalisée tout au long de la suite de ce travail.