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L’électrochimie dans les liquides ioniques à température ambiante

3.3 Caractérisation électrochimique des liquides ioniques

3.3.1 Les fenêtres électrochimiques des RTIL

3.3.1.2 Influence de la nature de l’électrode de travail et des RTIL

Les électrodes sont l’interface de conversion entre les énergies chimique et électrique, elles sont pour cela obligatoirement conductrices ou semi-conductrices. Leur nature intrinsèque et leur état de surface peuvent par ailleurs catalyser ou annihiler des réactions redox. Cette section se concentre ainsi sur l’impact de la nature des deux électrodes actives, i.e. la travail et la contre, sur les valeurs de potentiel de coupure obtenues dans les RTIL [C1C4Im][Tf2N], [C1C4Pyrr][Tf2N], [N1114][Tf2N] et [P66614][Tf2N].

Le choix de l’électrode de travail est généralement très important mais devient cruciale pour l’électrodéposition de métaux. En effet, c’est sur cette électrode qu’a lieu la demi-réaction correspondant à l’électrodéposition et l’adhérence du métal électrodéposé est dépendante de la nature de cette électrode.

Les électrodes de travail utilisées pour l’électrochimie des terres rares (section 1.4.3.1) sont très souvent en platine (Pt)2,6,10,12,14–17,91,118, or (Au)17,91,119, cuivre (Cu)6,8,14,15,56,62 ou encore en carbone vitreux (GC)17,18. Un dépôt de terre rare, résultat d’une électrodéposition effective et d’une adhérence correcte, a été observé pour des électrodes de travail en Au17,91, Pt12 ou Cu6,8,15,56. Notons que les mailles cristallines de ces électrodes sont cubiques faces centrées alors que l’électrode de GC est amorphe et ne présente pas de cristallinité.

Les voltampérométries cycliques enregistrées dans les quatre RTIL et pour des électrodes de travail en GC, Au et Pt ont donné lieu aux voltampérogrammes présentés sur la Figure 3.12. Notons que le profil général de ces courbes est différent d’un matériau à l’autre. Des phénomènes redox étrangers à la dégradation électrochimique des ions des RTIL semblent avoir lieu entre les bornes des fenêtres électrochimiques. L’échelle de densité de courant est d’ailleurs volontairement choisie pour que le lecteur se concentre sur les potentiels de coupure des fenêtres électrochimique et non sur ces phénomènes redox qui seront discutés dans la partie 3.3.2 de ce chapitre. Les valeurs de potentiels de coupure sont acquises sur la branche de la voltampérométrie cyclique allant de l’oxydation

Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes

à la réduction. Le Tableau 3.9 résume les potentiels de coupure obtenus dans chacun des cas.

Figure 3.12. Voltampérogrammes acquis pour la mesure

des fenêtres électrochimiques des RTIL nommés en légende avec GC, Au et Pt comme électrode de travail à 0 rpm. Contre électrode : grille de Pt. Electrode de référence Fc+/Fc. Les lignes en pointillés suivent le prolongement de l’ajustement linéaire.

Du côté de l’oxydation, les potentiels de coupure des trois RTIL [P66614][Tf2N], [C1C4Im][Tf2N] et [C1C4Pyrr][Tf2N] sont très proches. Une centaine de millivolt au maximum sépare les valeurs de Ecoupa indépendamment de la nature de l’électrode de travail. Seule la branche d’oxydation du RTIL [N1114][Tf2N] n’est pas comparable aux autres. Ses valeurs de Ecoupa sont significativement plus élevées. La présence d’une impureté ou d’une interaction spécifique entre l’anion et le cation du RTIL sont les seules explications plausibles à ce comportement singulier qui augmente légèrement le potentiel de démarrage de la réaction d’oxydation de l’anion. Dans la littérature, Hayyan et al.110 et Zhao et al98 n’ont pas observé de lien entre la nature anionique et le potentiel de coupure anodique de la fenêtre électrochimique d’un RTIL. Nous remarquons que leurs résultats sont

Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes

obtenus sans correction de la chute ohmique pour le premier et avec une QRE pour le second. Dans notre cas, la borne anodique de la fenêtre électrochimique d’un RTIL semble bien correspondre à l’oxydation de l’anion du RTIL puisque les Ecoupa

de trois RTIL, basés sur le même anion, sont superposés.

Du côté cathodique, c’est la réduction du cation du RTIL qui correspond à Ecoupc . Pour toutes les électrodes de travail, la tendance est la même et la stabilité suit l’ordre [P66614][Tf2N] > [N1114][Tf2N] > [C1C4Pyrr][Tf2N] > [C1C4Im][Tf2N]. Les cations de structure quaternaire ont ainsi une stabilité plus importante que les cations hétérocycliques et parmi ces derniers, la stabilité est meilleure si le cycle est saturé. L’électrode de travail en platine se distingue des autres matériaux, les Ecoupc mesurés sont plus élevés d’environ 1 V pour les différents RTIL. Ceci traduit l’action catalytique, non souhaitée ici, du Pt sur les réactions de réduction soit des cations, soit de l’eau résiduelle (section 3.3.1.3). Les potentiels standards théoriques des terres rares se situant autour de -3 V vs. Fc+/Fc, l’utilisation d’une électrode de travail en platine n’est donc pas conseillée.

Electrode GC Au Pt

Ecoupc Ecoupa ΔEW Ecoupc Ecoupa ΔEW Ecoupc Ecoupa ΔEW

[N1114][Tf2N] -2,96 2,38 5,34 -2,85 2,15 5,00 -1,92 2,23 4,15 [P66614][Tf2N] -3,46 2,02 5,48 -3,32 1,83 5,15 -2,14 1,86 4,00 [C1C4Im][Tf2N] -2,40 1,89 4,29 -2,45 1,91 4,36 -1,82 1,90 3,68 [C1C4Pyrr][Tf2N] -2,88 1,91 4,79 -2,90 1,88 4,78 -1,90 1,83 3,73

Tableau 3.9. Potentiels de coupure et fenêtre électrochimique des RTIL par analyse des voltampérométries

cycliques à 50 mV s-1 sur une électrode de travail en Au, Pt ou GC à 0 rpm. Ref Fc+/Fc. Conditions atmosphériques régulées à 25°C.

Malgré de bonnes valeurs de fenêtre électrochimique, les RTIL [P66614][Tf2N] et [N1114][Tf2N] possèdent des valeurs de viscosité à 25°C importantes (Tableau 3.1) qui rendent difficile leur utilisation comme solvant pour l’électrochimie. Un bon compromis entre une fenêtre électrochimique suffisamment large et une viscosité acceptable nous conduit à utiliser [C1C4Pyrr][Tf2N] dans la suite des mesures électrochimiques.

Céline Bonnaud / Thèse / 2017 / Université de Grenoble Alpes

Un éventuel déplacement des bornes des fenêtres électrochimiques en fonction de paramètres expérimentaux n’est pas à exclure. Pour cela, les expériences correspondant aux résultats du Tableau 3.10 ont été réalisées. Ainsi nous observons que la vitesse de balayage υ d’une voltampérométrie n’a qu’une très faible influence sur les potentiels de coupure. Seule l’électrode d’Au présente une diminution importante de Ecoupc lors de la variation de vitesse de 50 à 10 mV s-1. Cette réaction n’est malheureusement pas expliquée. La vitesse de rotation ω, appliquée sur l’électrode de travail réduit légèrement les valeurs de fenêtre électrochimique. Dans le cas de ces systèmes électrochimiques hydrodynamiques irréversibles120, le potentiel de réduction ou d’oxydation d’une espèce devient dépendant de nombreux facteurs tels que ω-1/2, ce qui peut justifier les quelques millivolts de différence entre un système stationnaire ou hydrodynamique.

υ (mV s-1)

ω (rpm)

GC Au Pt

Ecoupc Ecoupa ΔEW Ecoupc Ecoupa ΔEW Ecoupc Ecoupa ΔEW

50 0 -2,88 1,91 4,79 -2,90 1,88 4,78 -1,90 1,83 3,73

50 500 -2,72 1,91 4,63 -2,83 1,87 4,70 -1,86 1,70 3,56

10 0 -2,83 1,91 4,74 -3,19 1,95 5,14 -1,91 1,87 3,78

10 500 -2,73 1,90 4,63 -2,81 1,95 4,76 -1,84 1,77 3,61

Tableau 3.10. Potentiels de coupure et fenêtre électrochimique du RTIL [C1C4Pyrr][Tf2N] provenant de l’analyse des voltampérométries cycliques à 50 et 10 mV s-1 sur une électrode de travail en Au, Pt ou GC à 0 et 500 rpm. Ref Fc+/Fc. Conditions atmosphériques régulées à 25°C.