• Aucun résultat trouvé

Les particularités liées à la recomposition familiale parm

Chapitre 2 : Etre parent face aux institutions

2.1. La diversité des familles rencontrées : synthèse des propos recueillis

2.1.1. Les familles nombreuses et/ou recomposées

2.1.1.6. Les particularités liées à la recomposition familiale parm

Le profil des familles recomposées interrogées

Les familles recomposées rencontrées comptent toutes quatre enfants ou plus, même s’ils ne vivent pas tous au domicile des parents au moment de l’enquête (soit en raison de leur âge, ils ont pris une certaine indépendance ou naviguent librement entre le domicile de leurs deux parents, soit ils sont à la garde principale de l’autre parent). En cela elles croisent un certain nombre de thématiques, évoquées plus haut, qui semblent davantage liées au nombre d’enfants qu’à la recomposition familiale.

Les familles recomposées connaissent également des préoccupations proches de celles des familles homoparentales. Les questions du rôle du beau-parent, de l’organisation de la garde alternée, de la recherche de compatibilité avec les normes éducatives de l’ancien conjoint recoupent en effet les préoccupations des familles homoparentales, notamment lorsqu’il y a projet de coparentalité avec un autre couple ou un père homosexuel.

Cependant, le choix de centrer les entretiens sur le récit de l’arrivée du dernier-né dans la famille, pour permettre de faire des liens avec la cohorte ELFE, semble par ailleurs induire des biais dans l’entretien, où la question de la coparentalité avec le conjoint précédent apparaît peu.

La place des institutions dans la recomposition familiale

Les institutions, prises au sens large (hôpitaux, cliniques, modes de garde, PMI, écoles…) semblent jouer un rôle dans les enjeux de couples que la recomposition familiale fait ressortir à plusieurs niveaux.

Les conflits de normes éducatives entre les deux conjoints de la première union se cristallisent autour du rapport à certaines institutions

Dans le récit couvrant les expériences de sa première union, Mme P. explique ses désaccords avec son premier mari autour de l’éducation des enfants, d’abord au niveau de la crèche, où elle finit par inscrire son enfant « en cachette » de son mari :

« Mais j'ai un mari qui était grippe-sou. Il disait que toutes ces choses étaient coûteuses, il ne fallait pas les mettre à la crèche, il n'en voyait pas l'utilité : vu que j'étais à mon compte comme fleuriste, je pouvais me permettre de garder mes enfants dans la réserve. Donc moi, je

51

les mettais le matin à la crèche sans qu'il le sache […], pour l'enfant pour qu'il s'épanouisse avec une autre vie qu'en étant tout le temps dans une réserve qui faisait 20m2. Ce n'est pas la place d'un enfant. Mais pour mon mari c'était comme ça. Il fallait que ça se passe comme ça » (CO_REC_NB_RUCSup_P).

Le contentieux du couple se poursuit au niveau de l’école, très investie par la mère et dénigrée par le père :

« Pour lui l'école ce n'est pas quelque chose d'important. Si on ne travaille pas à l'école, c'est pas grave. J'ai mon fils Hugo qui quand on s'est séparés a mal vécu la séparation parce qu'il était le chouchou à la maison. Son père lui a dit : "Moi tu sais, j'ai jamais rien fait à l'école et j'ai un travail, donc si tu ne travailles pas, ce n'est pas grave" » (CO_REC_NB_RUCSup_P). Dans une autre famille, les choses vont moins se jouer dans l’affrontement que dans la fuite. Mme R. raconte comment à la naissance de ses jumelles et au cours de leur hospitalisation – marquée par le décès de l’une d’elles et un séjour en réanimation puis en service néo-natal pour la seconde pendant quatre mois –, son premier mari a été absent, la laissant seule :

« Lui n'a jamais mis les pieds. Quand ils m'ont dit ça, j'ai appelé... parce que j'ai organisé son baptême pour que la petite soit enterrée correctement, religieusement. Là j'ai appelé le papa pour qu'il vienne. Lui s'était mis un mur : " Les voir en réa, non ", donc toute seule. […] J'ai demandé le divorce en 2006 pour de multiples raisons : […] pas d'investissement auprès des enfants, ce qui m'importe le plus. » (CO_REC_NB_RUCInf_RG).

Une situation qui se répète aujourd’hui en termes de désaccord autour de la scolarisation et de la stimulation de cette enfant, scolarisée aujourd’hui en classe spécialisée (SEGPA) :

« Depuis qu'elle est rentrée en 6ème, son père a décrété qu'elle n'allait plus chez le psy. […] On n'est pas dans le même mode d'éducation avec son père. […] Mais moi je vais être plus vigilante. Je ne fais pas de différences entre elle, ses sœurs et son frère, contrairement à son père. Il lui a toujours trouvé des excuses : "La pauvre, elle ne comprend pas". Il a toujours joué sur sa prématurité. C'est regrettable quand on pense qu'il n'était pas là pendant quatre mois. Et même après. Les psychologues, c'est moi qui courais, en plus d'en gérer trois […] » (CO_REC_NB_RUCInf_RG).

Dans la nouvelle union, les hommes du ménage apparaissent comme de vrais soutiens Le père semble partager la même valeur accordée par la mère aux institutions :

« J'ai un deuxième mari qui assure » (CO_REC_NB_RUCSup_P).

« Nous, en tant que parents, on est hyper tolérant en plus ! On ne supporte pas que le milieu éducatif ne soit pas comme nous » (CO_REC_NB_RUCSup_S).

« Bon, mon mari est quelqu’un qui est très fort dans sa tête et quand il voyait que j’en arrivais là, souvent il m’épaulait, il disait : "Attends je ne vais pas aller partir travailler, je vais t’aider". […]J’assiste à certaines réunions quand j’ai des doutes, parce qu’on s’en pose des questions, au niveau de nos enfants, pour tous les âges, mais par contre on a quand même une ligne de conduite où on sait ce qu’on veut […]. Et c’est vrai, je sais que dans notre entourage des fois on est un peu montrés du doigt dans le sens où on est strict, oui on est strict, mais voilà ! On sait ce qu’on veut et on sait ce qu’on ne veut pas. On adore nos enfants, mais c’est encore nous qui dirigeons chez nous » (CO_REC_NB_RUCSup_B).

Ainsi, à travers la recomposition familiale il semble qu’il se joue un nouveau rapport à l’institution : les valeurs éducatives qu’elle véhicule et qui ont pu être source de tensions dans la première union semblent une valeur commune dans la nouvelle. Cette observation est à

52

explorer car elle contredit a priori les résultats de travaux issus de l’enquête Etude de l’histoire familiale (EHF) 1999 de l’INSEE (Lefèvre, Filhon, 2005) qui pointent que dans les familles recomposées avec enfants communs, si les décisions concernant l’éducation se prennent en commun comme dans les familles intactes, elles seraient par contre plus souvent sources de tension dans le couple (Domingo, 2009). Toutefois cette nouvelle union étant en effet encore récente dans la plupart des cas, puisque la sélection des familles s’est faite sur le critère d’un dernier-né âgé autour d’un an, on peut supposer que les conflits peuvent exister sans pour autant être encore apparents, d’autant que les pères s’expriment peu ici.

Le beau-parent : une place à construire

La place du beau-parent se pose dans ces entretiens comme une place à construire, qui se travaille, se négocie et se teste avant même d’envisager une nouvelle parentalité au sein du couple :

« Après, réunion de famille avec les enfants et moi : j'ai dit que j'envisageais d'avoir un bébé parce que lui n'en avait pas. Il avait créé un équilibre avec surtout J., il les écoutait […]. J'ai dit : " Qu'est-ce que vous en pensez de S. ? ". Je leur ai dit : "Mon choix est fait. Je vous demande une chose : pas de l'aimer ou ne pas l'aimer, les choses se feront avec le temps, juste de le respecter et je ne veux pas vous entendre dire une fois : "Tu n'as rien à me dire, tu n'es pas mon père". Notre décision est qu'on va habiter ensemble, donc il va participer à votre éducation". Hors de question de lui manquer de respect ! Ils ont adhéré et ça s'est super bien passé. » (CO_REC_NB_RUCInf_RG).

« Y’a eu beaucoup de discussions mon mari et moi au début avec les deux premiers, parce que c’est vrai que... disons que quand lui il intervenait au niveau de mon fils, j’avais tendance à mordre […] et puis lui il a eu son passage où je pouvais trop rien dire à sa fille non plus, donc on en a beaucoup discuté. » (CO_REC_NB_RUCSup_B).

Contrairement aux couples homoparentaux, la place du beau-parent n’apparaît comme un enjeu principal, au sein de la famille, que vis-à-vis des enfants. Sa place vis-à-vis des institutions et la question de la responsabilité légale n’émergent pas dans nos entretiens. On peut avancer deux hypothèses à cela :

– D’une part, l’existence dans les familles recomposées d’un deuxième parent légal (ce qui n’est pas le cas des couples d’homoparents ayant eu recours à la PMA) limite les enjeux de reconnaissance du statut du beau-parent ;

– D’autre part, le rôle moteur des mères et la place traditionnellement plus effacée des hommes dans les couples hétérosexuels autour de la petite enfance amoindrissent les enjeux de statut et de responsabilité, en revanche centraux dans des couples homoparentaux qui défendent une répartition des rôles plus égalitaire.

Le rôle du père des enfants de la première union

La place prise par le père des enfants issus d’une première union dans l’organisation familiale recomposée est assez peu évoquée, de même que celle de la mère dans l’unique cas où le père du couple actuel a un enfant d’une première union à la garde de sa mère. On peut toutefois noter que lorsque les enfants du premier lit sont assez grands pour exprimer leurs choix, les modes de partage sont plutôt souples, même si les rapports entre ex-conjoints ont été conflictuels et malgré les décisions judicaires qui fixent les temps de garde. De ce point de vue, les familles semblent libres de s’auto-déterminer et semblent peu dépendantes des décisions institutionnelles :

53

« J’ai un fils qui habite Lyon. Officiellement c’est moi qui ai la garde. Enfin il n’y a pas eu de jugement. C’est tout à l’amiable. » (CO_REC_NB_RUCSup_S).

« J. vit avec M. chez leur père. Donc je l’ai un week-end sur deux et la moitié des vacances. Mais elles viennent quand elles veulent donc automatiquement, elles viennent assez souvent. […] Ils sont très libres. » (CO_REC_NB_RUCInf_RG).

« [Quand je suis partie] sachant que mon fils était malheureux sans être dans la maison où il est né, je l’ai laissé partir. Il avait 12 ans. C’était très difficile à accepter pour moi et mes autres enfants qu’il reparte avec son père mais bon. Aujourd’hui, on le voit souvent. Dès qu’il veut. Avec mon mari actuel ils vont au match de foot. » (CO_REC_NB_RUCSUP_P).

Conclusion

Les situations sociales variées des familles déterminent parfois des rapports et des attentes spécifiques aux institutions pour les familles recomposées. L’institution peut ainsi jouer un rôle étayant de protection et de repère éducatif, par exemple dans le cas de cette mère séparée qui aurait eu besoin de l’approbation d’une assistante sociale lors de sa rupture pour être confortée dans sa capacité à s’occuper seule de ses enfants, et qui a fortement apprécié le regard rassurant des institutrices sur le bien-être de ses enfants. A contrario, certaines familles se trouvent dans des rapports de force particuliers avec les institutions, notamment lorsque la protection de l’enfance intervient. Ainsi, une famille suivie par les services sociaux dans le cadre d’une mesure éducative (CO_REC_NB_RUCInf_ASE_P) estime que cette intervention ne lui est d’aucune aide et se résume à un contrôle intrusif et oppressant qui fait planer sur la famille une menace permanente. La mesure éducative, ayant été prise à la suite du placement de l’aîné des enfants, né d’une première union de la mère, entretient l’agressivité du père à l’égard de son beau-fils voire de sa femme.

Les institutions sont aussi parfois au cœur des enjeux de couples. Plusieurs entretiens avec les familles recomposées témoignent de conflits entre anciens conjoints sur le recours aux institutions (jugé bénéfique par l’un, inutile, coûteux ou envahissant par l’autre). Plusieurs femmes ayant quitté leur conjoint évoquent aussi leurs besoins accrus vis-à-vis des institutions, qui assurent un rôle de soutien stratégique lors de la séparation.

Toutefois, il ressort des entretiens avec les familles nombreuses et/ou recomposées (particulièrement celles de milieu populaire ou d’origine étrangère), la tonalité générale d’une mise à distance des institutions, perçues comme utiles mais dont il convient de contrôler l’intervention dans les familles. Cette distance découle d’une naturalisation de l’expérience parentale, qui va parfois conduire à des rapports de concurrence avec certaines institutions, notamment pour les couples disposant d’un schéma éducatif solide : certains parents d’origine étrangère ou mixte et/ou de milieu populaire, et les familles catholiques pratiquantes en sont des exemples frappants.

Le savoir naturel des parents, en l’occurrence celui de la mère, entre ainsi parfois en conflit avec le savoir professionnel. C’est souvent le cas dans les interactions avec l’univers médical en cas de pathologie grave. Plusieurs familles évoquent des épisodes traumatisants liés à la prise en charge médicale de leurs enfants en bas âge dont il ressort souvent un sentiment partagé d’abandon, de manque de transparence, voire de culpabilisation des parents par les professionnels (médecins ou infirmiers). La perception d’une absence de dialogue et de prise en compte des angoisses des familles au sein de l’hôpital nourrit ainsi les représentations négatives d’un univers très cloisonné et peu aidant. Ceci contraste avec une appréciation majoritairement positive du suivi pédiatrique ordinaire. On peut penser que la prégnance de

54

ces épisodes traumatisants dans nos entretiens est due au fait que les familles nombreuses ou recomposées, ayant plus d’enfants, ont plus de risques d’être confrontées, à un moment ou un autre, à un problème médical grave pour l’un d’entre eux.

Lorsque les naissances se déroulent sans complications, les équilibres ont bien tendance à s’inverser et plusieurs femmes revendiquent leur savoir naturel de mère de famille nombreuse et sont fières de la reconnaissance qu’elles obtiennent de la part des professionnels du soin. Certaines se placent ainsi en position haute, notamment vis-à-vis des jeunes générations de soignants. Cette posture s’accompagne assez logiquement d’un discours sur la question de l’autorité. De nombreuses mères interrogées affirment être seules en charge d’un rôle d’autorité que délaisseraient les institutions (crèches ou écoles), mais aussi les autres parents, voire le conjoint. L’autorité revendiquée auprès des enfants se traduit également dans le rapport aux institutions éducatives à travers des choix construits et défendus.

Concernant le mode de garde par exemple, la famille est souvent perçue comme le meilleur mode de garde et ce sont alors les femmes qui aménagent leur activité professionnelle (changement de statut, d’horaire, voire de secteur d’activité) pour avoir plus de temps auprès de l’enfant. Elles sont également nombreuses à opter pour un congé parental. Toutefois, certaines femmes semblent moins assurées dans ces choix, qui sont parfois décidés pour des raisons matérielles (difficulté à trouver le mode de garde adapté qui conduit ainsi certains parents à laisser perdurer une situation de chômage), culturelles ou par la pression du milieu social. La tendance observée du surinvestissement des mères, par rapport aux pères, paraît constante d’une union à l’autre. Lui fait écho à une matrifocalité des institutions de la petite enfance (Castelain-Meunier, 2004). Les postures d’autorité coexistent souvent avec des critiques portées sur la rigidité des services d’accueil, leur standardisation, leur manque d’attention vis-à-vis de la spécificité de l’enfant. On peut ainsi faire l’hypothèse que cette représentation traduit autant l’effort mobilisé pour défendre ses propres convictions dans les choix éducatifs, qu’une dénonciation d’un modèle réellement appréhendé.

De même, le rapport à l’école est empreint d’exigences multiples : garantir la réussite des enfants et permettre le prolongement des valeurs de la famille. Si les exigences scolaires semblent relativement satisfaites, notamment pour les parents qui ont fait le choix de l’enseignement privé, celui-ci ne garantit pas l’adéquation avec les valeurs revendiquées par certaines familles qui défendent le plus explicitement leur modèle. A ce sujet, les familles catholiques pratiquantes se montrent particulièrement critiques sur les écoles privées, y compris catholiques, désormais assujetties, selon elles, au modèle dominant qui ne leur correspond pas et à la tutelle de l’Etat dans les affaires privées de la famille dont elles cherchent à s’affranchir.

Enfin, les rapports avec la CAF semblent relativement satisfaisants pour les familles de cet échantillon. Cependant, plusieurs entretiens font émerger un problème de réactivité de la CAF dans le calcul des allocations. Les changements de situations d’emploi (changement de statut, complexification des modes de revenus) ou de situation familiale (après une séparation) ont entraîné pour plusieurs familles l’arrêt des versements. Ainsi, le contact avec les personnels CAF est jugé plutôt bon et agréable, mais l’efficacité administrative est parfois mise en cause. Plusieurs familles disent s’être retrouvées dans des situations financières extrêmement problématiques à la suite des lenteurs de traitement de leur dossier. La multiplication des situations d’emploi complexes et changeantes dues à la tension du marché du travail laissent penser que les familles en difficulté du fait de la confusion de leur situation administrative ne font pas exception. La CAF reste majoritairement perçue comme organisme payeur de

55

prestations légales et peu de familles se réfèrent à d’autres actions : quelques rares parents ont déclaré lire le magazine de la CAF, ou ont parlé de réunions d’information pour les parents par exemple, mais sans toutefois s’y être rendus.

Pour les personnes vivant en Côte-d’Or, on note une relativement bonne couverture des besoins sauf en zone rurale limitrophe. La plupart des familles rencontrées, même en zone rurale, considèrent que l’offre de service d’accueil et d’appui pour la petite enfance est riche et complète. Les relais d’assistante maternelle sont particulièrement salués comme des lieux d’ouverture et d’échange précieux. Plusieurs femmes ont fait référence à un suivi à domicile en sortie de maternité qu’elles ont jugé appréciable. Seules les familles situées en limite de département, en Côte-d’Or, souffrent d’isolement institutionnel. Les familles de la Seine- Saint-Denis peuvent rencontrer également des difficultés d’accès à certains services : selon l’organisation de leur commune, certains services sont en effet transférés à la commune voisine, ou sont proposées dans des zones parfois difficilement accessibles en transport commun. Les offres de mode de garde semblent également insuffisantes, alors que cela ne semble pas être le cas en Côte-d’Or.

2.1.2.

Les familles mixtes et d’origine étrangère