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La France : le pays de mes enfants mais pas ma « façon de

Chapitre 2 : Etre parent face aux institutions

2.1. La diversité des familles rencontrées : synthèse des propos recueillis

2.1.2. Les familles mixtes et d’origine étrangère

2.1.2.5. La France : le pays de mes enfants mais pas ma « façon de

De nombreuses familles étrangères ont fait part de leur souhait de continuer à transmettre des éléments de leur culture d’origine ainsi que leurs valeurs.

« Il faut pas qu’ils oublient leur origine en fait. » (SSD_ET_NB_RUCSup_H).

Un Français d’origine camerounaise raconte le rituel associé au culte du crâne et la pratique qu’il va transmettre à son fils :

Le culte du crane ? - Mon père, son père, quand il est décédé, on enterre son père, ils

récupèrent le crane de son père et les cranes de ses aïeux. Ça va être la même chose et mon enfant, ça va être la même chose. Et après qu’est-ce qu’on en fait ? - On considère qu’ils sont toujours parmi nous. On les a chez soi enterrés en Afrique en campagne, on a une sorte de cabanon qu’on appelle « la maison des cranes » donc on a tous les cranes de nos ancêtres et, quelques fois par an, on fait à manger et on répartit un peu partout, dans la salle et autour. Et

ils les laissent ? - Ils les laissent, on considère qu’ils ne sont pas morts décédés, ils sont pas

morts et, eux aussi, ils ont besoin de manger. Et dans votre cabanon il y a combien de

générations ? - Il y a, je ne me souviens plus, il y a au moins trois ou quatre et on a des

coutumes. Lui (mon père) il est au Cameroun, c’est plus facile. Même moi, de temps en temps, je dois aller au Cameroun sur la terre de mes ancêtres, me recueillir et leur demander un peu de force pour m’accompagner dans la vie de tous les jours, leur faire comprendre que je pense à eux que je ne les ai pas oublié. Quand je vais aller au Cameroun, il faudra que je présente aussi mon enfant. Je vais amener l’enfant et le présenter aux ancêtres pour qu’ils veillent sur lui. Et ça, on fait ça dans ma culture mais, chez ma femme, on ne fait pas ça. » (HdS_ET_RUCSup_T père).

Il relève du devoir des parents de ne pas encourager ou laisser s’installer la « fiction » d’une appartenance sans équivoque à la société française. Cela passe notamment par l’apprentissage de la langue maternelle. Madame S., mère sénégalaise de quatre enfants dit à ce propos :

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« Je lui parle français, je lui parle ma langue maternelle aussi. […] C'est mandingue, mais quand je lui parle, il comprend un peu, mais ils me répondent toujours en français. » (SSD_ET_NB_RUCInf_S).

De même pour Mme C., jeune mère algérienne de quatre enfants :

« C’est important pour vous qu’à la maison ils parlent en arabe et que dehors ils parlent

français ? - C’est pas obligé, mais moi j’ai été éduquée là-bas, je suis né là-bas et j’ai grandi

là-bas. J’ai pas le cœur à parler français à la maison. La vérité. Mon mari est Arabe. Moi je suis Arabe. S’il ne parlait que le français seulement, je pourrais. Obligé, obligé je parle avec lui français. Mais lui est Arabe et moi je suis Arabe, à nos enfants nous parlons en arabe. Obligé. » (SSD_ET_NB_RUCInf_C).

Parfois, la transmission de la langue maternelle trouve d’autres justifications que celles de l’appartenance culturelle. Elle devient un moyen supplémentaire d’adaptation (le contraire d’un « handicap » social), une aptitude supplémentaire :

« Même mes enfants ici je leur apprends l’arabe. […] Il faut qu’une personne maitrise plusieurs langues. Où qu’elle aille, elle pourra vivre. » (SSD_ET_NB_RUCInf_C).

« [La mère] En fait, il faut être clair avec les enfants. Moi mon grand je voulais qu’il apprenne un petit peu l’arabe, moi je dis la vérité, parce que pour partir au bled, mes parents, ma famille ils parlent pas la langue française alors pour lui c’est très difficile, il n’arrivera pas à se faire comprendre et eux ils vont pas comprendre. [Le père] C’est pour mieux favoriser une langue. Faut pas favoriser une langue, comme l’anglais, j’ai rien contre l’anglais. Mais le fait qu’elle soit en priorité dans tous les domaines, on voit bien l’économie comment elle est. La langue arabe, c’est aussi une langue comme une autre, je vois pas pourquoi… Il y a d’autres dialectes aussi. Y’a rien à négliger, en fin de compte. Leur donner l’enseignement ou l’éducation. Si plus tard, ils ne veulent pas, au moins ils diront pas : " On m’a pas appris. " Ils ont la réponse sur le sujet. » (SSD_ET_NB_RUCSup_H).

Dans une des familles mixtes que nous avons rencontrées, les compromis se font régulièrement, même pour les décisions majeures qui relèvent de l’observance religieuse. En effet, la famille de filiation de la mère (oncles et tantes) a souvent été méprisante et humiliante vis-à-vis de son conjoint d’origine congolaise, contrairement à sa propre mère, très compréhensive selon elle. Alors pour ne donner aucune prise aux propos racistes de ses oncles et tantes, chaque décision est débattue :

« On a toujours fait un choix commun. C’est-à-dire que moi je voulais baptiser mes enfants, mon mari il est athée, il a pas de religion, bon comme ça c’est réglé. Mais moi mon souhait, c’était de baptiser mes enfants donc on a baptisé les enfants. Lui en Afrique, on circoncit les enfants. Moi ça ne me dérange pas. […] Quand j’ai dit ça à ma mère, elle m’a dit : "Oui, c’est bien ". Même si ma mère, catholique, m’a dit : "Oui, c’est bien, c’est plus hygiénique". Donc, hop ! Je l’ai fait, mais je l’ai fait pour mon mari, je l’ai pas fait parce que ma mère elle m’avait dit. Donc je me suis dit : "Oui", après c’est un choix. […] Moi je baptise mes enfants, il accepte, donc il faut aussi faire… Donc voilà. Sinon j’ai jamais écouté les gens, je m’en fiche [rires]. » (SSD_ET_NB_RUCSup_L).

La religion occupe une place très importante47. Si Mme C. accorde beaucoup de crédit aux méthodes éducatives occidentales, elle reste néanmoins très attachée aux principes religieux

47 Cf. Les données de ELFE, partie 2.1.2.2., qui montrent l’importance de la religion dans la vie de tous les jours.

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qu’elle a reçus. Cet attachement se justifie selon elle par une transmission naturelle de ses valeurs :

« Chacun sa religion. On n’a pas à dire qu’en France, leur religion n’est pas bien. Moi par exemple, si j’avais ma mère française et mon père français, j’aurais été élevée selon leurs principes : je mangerai n’importe quoi, je ferai…, mais puisque j’ai été élevée par des parents arabes, j’ai pris la mentalité des Arabes. » (SSD_ET_NB_RUCInf_C).

D’autre part, pour rester cohérentes vis-à-vis d’elles-mêmes, certaines mères d’origine étrangère vont mettre à profit les apports de leur culture et adapter les soins à leurs enfants. Cette hybridation leur paraît tout à fait légitime et elle est justifiée par la nécessité de conserver des liens avec leurs origines culturelles :

« La culture française a des principes de développement de l’enfant : l’enfant à un certain âge, il faut lui donner tel type d’alimentation. Oui, mais en même temps il y a l’alimentation solide mais on intègre aussi ce qu’on mange nous, dans nos habitudes. C’est pour ça que je dis : "C’est un mélange entre la culture européenne et notre culture". Ben oui puisque c’est comme ça que l’enfant grandit et rentre aussi dans notre culture. Il ne faut pas qu’il perde ses origines, là où il grandit parce que s’il ne prend pas l’habitude, entre guillemets, très tôt d’avoir nos habitudes à nous, il va être un peu en décalage. Il ne saura pas réellement sa place et comment se positionner dans..., pas cette double nationalité, mais cette culture hybride. » (SSD_ET_REC_RUCSup_M).

Les conseils de maternage délivrés par les professionnels peuvent prendre différentes tonalités pour les mères étrangères rencontrées. Le rappel aux origines, lorsqu’il est choisi par la mère, est mobilisé en tant que modèle probant d’éducation réussie :

« Personnellement j’ai jamais vu ma mère compter combien fois elle donnait le sein à son bébé. Quand il pleurait ou quand elle estimait qu’il avait faim, elle le mettait au sein. […] Si elle a envie de continuer à téter, je ne suis pas à dix minutes près! Alors j’ai commencé à dire : "Non" et à lui donner plus longtemps. […] Moi j’ai vu mes frères où dans ma culture, bébé dort comme il a envie de dormir. […] J’ai vu des bébés dormir sur le ventre tout le temps, ils vont bien tout de même. […] C’est purement culturel. »(SSD_ET_NB_RUCInf_S).

Des droits, certes, mais trop de laxisme éducatif

L’éducation de nos parents : « avant »

Les familles étrangères peuvent choisir de puiser dans leur histoire personnelle des références éducatives. Il arrive que l’éducation qu’un parent a reçue soit parfois idéalisée au point de constituer un modèle. Dans le cas de cette mère de quatre enfants mariée à un Congolais, née Française de parents français et élevée en France, sa propre mère apparaît comme un modèle d’éducation :

« Je vais dire que c’est plus en fonction de ma mère, comment elle nous a élevés, que j’élève mes enfants aussi, voilà. […] Déjà d’une, moi ma mère, elle a toujours tout fait pour nous. C’est-à-dire que même quand j’ai commencé à fréquenter mon mari, elle continuait à faire notre chambre, elle continuait à nous faire à manger, vraiment elle se comportait comme une maman modèle, c’est vrai qu’il y a des choses bien et des choses pas bien, puisque quand moi après, j’ai eu ma vie à moi, j’ai eu du mal à faire les choses moi-même […] [rires]. » (SSD_ET_NB_RUCSup_L).

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Si elle a conscience des limites de l’éducation qu’elle a reçue, Mme L. garde un souvenir ému de l’éducation de sa mère et du soutien qu’elle lui a prodigué en tant que jeune adulte. Cette référence est peut-être idéalisée compte tenu du décès très récent de sa mère (moins de deux mois au moment de l’entretien) et de sa douleur manifeste pendant l’entretien.

L’éducation au pays : « ailleurs »

Dans le cas des familles d’immigration récente, souvent le « avant » se confond avec le « ailleurs » et l’éducation reçue au pays lorsqu’ils étaient auprès de leurs parents est également idéalisée. Il arrive que, pour certains éléments, les différences culturelles soient en la faveur d’un pays. Ce sera ce dernier qui fera alors office de référence. Pour ces parents, francophones et catholiques, nés dans un pays étranger et venus en Europe jeunes adultes, l’éducation qu’ils ont reçue enfants, est la seule référence valable pour l’éducation de leur fille. Ils en feront part à plusieurs reprises au cours de l’entretien :

« [le père] Le modèle c’est comme on a été élevé nous-mêmes. […] [la mère] Dès qu’elle voit quelques saletés, quelques poussières, elle essuie avec le Sopalin, la table. Donc je dis : "Ah là, ça c’est ce que moi je voulais vraiment. Je veux que ma fille soit comme ça. Comme moi". Moi j’ai grandi comme ça. Alors elle aussi elle doit suivre ce que j’ai fait. […][le père] Nous en tant qu’enfant du côté de notre famille, c’est ce qui a été fait pour nous que nous souhaitons transmettre. » (SSD_ET_RUCSup_B).

Ainsi on observe que pour une même personne, les opinions peuvent être totalement contradictoires selon le champ considéré : avoir une opinion très favorable à propos des droits obtenus en France et à propos de la qualité de vie et une opinion très défavorable à cause de l’éducation jugée trop licencieuse. Selon certains parents, les différences éducatives (trop laxistes en France selon eux) ont des incidences négatives très précoces sur le comportement des jeunes :

« C’est vrai que chez nous, ici, c’est vraiment trop différent […]. Si on voit les ados [rires]. Déjà, peut-être une fille de dix-douze ans, la maman peut dire : " Ma chérie tu me fais ça, dès que tu termines à manger, tu fais la vaisselle, tu ranges la cuisine et après tu vas faire tes devoirs et après tu t’occupes, tu fais ce que tu veux". Elle peut répondre directement : "Ah non, maman, je suis fatiguée, moi. J’ai autre chose à faire. J’ai des amis à voir, je dois aller voir tel, je dois aller voir tel". Tu vois des réponses comme ça. Quand je suis arrivée en Europe, j’ai dit : " Ouh là ! Moi ici ! Non, non, non !". Si j’ai un enfant ici alors je vais prier mon Dieu : " Seigneur, aide-moi ! ". Parce que là, cette éducation, j’aimerais pas vraiment l’avoir dans ma maison. » (SSD_ET_RUCSup_B).

Au-delà de l’insolence des adolescents, ce qui perturbe ces familles, c’est également tout l’environnement social qui n’est pas propice à dispenser l’éducation de son choix, car malgré leurs efforts les parents semblent « contredits » par ce qui les entoure, notamment les programmes télévisés, pas du tout adaptés selon eux aux petits :

« Moi y’a un truc aussi par rapport à l’éducation, la télé surtout. […] La télé d’ici, (soupir) on la met, mais c’est pas éducatif. Ils mettent des films à des heures pas pour enfants. Et les enfants d’ici sont tellement éveillés comme elle, elle là, elle est petite, mais elle est tellement éveillée qu’elle sait tout ce qui se passe à la télé. Moi je dis, s’il y a des séries, des films, elle, elle regarde pas ça. » (SSD_ET_RUCSup_B).

La question des châtiments corporels

« Ici, il faut pas taper. Il faut parler […] Je vais passer ma vie à parler, à parler jusqu'à quand ? » (SSD_ET_RUCInf_S).

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Par comparaison avec l’inefficacité des services sociaux, certains parents jugent culpabilisant le zèle dont font preuve les institutions à propos des méthodes éducatives. Par exemple, l’interdiction de frapper les enfants n’a pas de sens pour eux. Cette interdiction déstabilise les familles et cette intrusion empêche d’élever correctement les enfants. C’est le cas de cette mère ivoirienne de six enfants :

« Ce qui nous fatigue, ici, c’est l’interdit de taper les enfants. Si tu tapes ton enfant, l’enfant va aller voir l’assistante sociale, tu auras des problèmes. Si tu engueules les enfants, ils vont aller dire à l’assistante sociale, tu auras des problèmes. Pourquoi ? C’est ton enfant. Si l’enfant fait un truc, est-ce que tu vas prendre l’enfant, aller le mettre dehors, le taper ? Si l’enfant fait une bêtise, tu le punis, même tu peux même lui donner des fessées, moi je fais ça souvent et après je lui dis : "Vas-y ! Va dire à l’assistante sociale." Un jour, celle-là [elle montre une de ses

filles présente] elle me dit : "Moi, je dis à l’assistante sociale et puis ils vont te mettre en

prison et moi je vais devenir quoi ? " On dit : "Parce qu’elles sont nées ici, donc on n’a pas le droit de l’insulter, on n’a pas le droit de le taper ". Donc qu’est-ce qu’on a le droit ? Donc c’est pour ça que l’enfant va faire des bêtises, on va le laisser comme ça et après ça devient de plus en plus. Et après l’enfant va grandir avec ça, c’est fini. » (SSD_ET_NB_REC_RUCInf_K). La notion de lassitude revient souvient lorsqu’il s’agit de qualifier le sentiment de ces parents et leur désarroi face à ce qu’ils interprètent comme un ordre absolu :

« Mais ici il faut toujours parler. […] C’est fatiguant, c'est fatiguant, le fait que je suis toute seule, de parler c'est fatiguant. J'ai l'habitude de taper, faut pas taper. Déjà, j'ai toujours envie d'aller, je me retiens, ça me fatigue quoi, pour moi ça me retarde mais c'est logique, c'est normal, je peux pas faire autrement, je suis obligée. […] Le fait que les enfants sont nés sur le territoire français, ils ont dit : "Le règlement c'est ça". » (SSD_ET_RUCInf_S).

Ces châtiments corporels sont motivés par la volonté des familles d’être exemplaires, d’où le caractère particulièrement paradoxal de cette interdiction La situation d’immigration les oblige, selon elles, à ne donner prise à aucune critique :

« Mais quand les enfants ont une bonne éducation, toi-même, tu es content. Tu es fière de toi. C’est important même c’est très important que l’enfant soit bien éduqué. […] Surtout on est venu ici en France… Si tu vois tous les immigrés : on vient, c’est pour venir chercher de l’argent. […] Pour venir manger, travailler, manger. Et toi tu viens dans ce pays, c’est même pas ton pays, tu te crois plus supérieur. […] Il faut être sérieux et mets-toi dans la tête que tu es venu pour travailler, pas venu pour faire des bêtises. Et il faut être fier de ça et donner une bonne éducation à tes enfants. » (SSD_ET_NB_REC_RUCInf_K).

Mais pour les familles d’immigration récente, les rapports avec les institutions et leurs agents, leurs injonctions formulées ou même tacites génèrent parfois des contradictions, des tensions plus importantes.