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Chapitre 2 : Etre parent face aux institutions

2.1. La diversité des familles rencontrées : synthèse des propos recueillis

2.1.2. Les familles mixtes et d’origine étrangère

2.1.2.6. La France : un pays hostile

Cette dernière forme de rapport aux institutions et aux professionnels a été très peu rencontrée dans ses formes les plus radicales. Si certains entretiens ont mentionné des difficultés à déléguer l’éducation de ses enfants ou, de manière générale, à faire confiance aux structures d’accueil et à leurs agents, peu de parents ont soutenu une position de victime. Peut-être y a-t- il ici un biais de recrutement car le fait d’accepter un entretien avec nous est en soi une forme d’exposition à laquelle on suppose que des parents très suspicieux auraient refusé de se soumettre. Mais il ne s’agit que d’une hypothèse.

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La concurrence éducative

Lorsque de l’hostilité est ressentie par certains parents, elle est d’abord une réaction à l’hostilité dont ils se jugent victimes. Cette hostilité est davantage ressentie par les familles musulmanes (mais on retrouve également ce sentiment d’oppression chez les catholiques très pratiquants rencontrés en Côte-d’Or). En effet, en dehors des clivages culturels qui peuvent apparaître et qui n’ont pas de connotation religieuse, les autres sujets de discorde sont souvent lus à la lumière de l’appartenance religieuse. Se sentant alors jugées pour ce qu’elles sont, elles décident d’employer des stratégies diverses de contournement pour parvenir, malgré la pression sociale, à maintenir leurs principes éducatifs. L’école peut être le lieu de cette confrontation entre deux cultures et la mise en danger de la légitimité de l’autorité et des principes parentaux :

« La première année, quand ma fille est partie à l’école, elle rentre avec des paroles bizarres : "Maman, j’appelle la police. J’ai le droit de faire ça". Je lui ai dit : "Qui t’a dit ça ?" Elle m’a dit : "La maîtresse, elle nous a dit qu’on a le droit de faire ça. On a le droit de faire ça". Je lui ai dit : "Moi, c’est à l’âge de 23 ans que j’ai perdu ma mère. J’ai jamais dit à ma mère : "Non, j’ai le droit de faire ça. Je fais pas ce que vous vous me dites, je fais ce que je veux". A cet âge-là je me rappelle, jamais que j’ai dit ces paroles-là. Mais eux, à l’âge de 3 ans, ma fille, elle rentre, elle me dit : "Maman, j’appelle la police. Tu vas en prison".» (SSD_ET_RUCSup_H).

Au-delà de la revendication des droits de l’enfant qui peuvent entrer en contradiction avec le discours des parents, la question de l’alimentation est centrale dès que les enfants de parents musulmans fréquentent des établissements extérieurs :

« Parce que je lui dis : "Il faut pas manger la viande à la cantine". Elle me dit : "Pourquoi je mange pas la viande ?". Je suis obligée de lui dire : "Faut pas manger parce que c’est pas bien pour ta santé". Je veux pas lui dire directement. » (SSD_ET_RUCSup_H).

La suspicion générale

Cette suspicion générale se retrouve également chez certaines familles qui ne souhaitent pas déléguer la garde de leur enfant par crainte de l’inconnu et par manque de confiance vis-à-vis des structures :

« Mes enfants, je les garde avec moi. Si je ne connais pas, je ne peux pas donner mes enfants ». (SSD_ET_NB_RUCInf_S).

« [La mère] On n’a pas de nounou, ça ne me dit rien. Si mes filles ne sont pas avec moi ou avec leur père, je n’ai pas confiance. [Le père] On a beaucoup de doutes. Nous on est comme ça. Je l’appelle tout le temps, la maman, quand je suis au travail pour lui dire : "Fais attention à la petite". On a toujours peur. [La mère] Oui je me fais trop de souci mais c’est une bonne chose d’être comme ça. Elles sont plus en sécurité. Les autres qui font garder leurs enfants, je me dis que j’aurais aimé faire ça aussi pour les enfants, pour qu’ils connaissent autre chose, d’autres enfants. Mais je ne peux pas, j’ai peur. » (CO_ET_RUCSup_BA).

Dans le cas de cette famille, la suspicion s’alimente également de son isolement social.

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Nous avons fait le choix d’analyser la situation des familles étrangères à l’aune de la question du droit. L’accès au droit est une inquiétude majorée chez les familles étrangères car elles ont, de fait, une situation administrative différente des autres familles dites françaises et cette différence peut avoir des incidences qui vont traverser toute la vie familiale. En France, la naissance de l’enfant engendre une ouverture de droits spécifiques. Elle autorise également l’exposition de la famille aux agents institutionnels. Ainsi exposées, les familles étrangères vont avoir des comportements variés vis-à-vis de leur nouvelle situation administrative et juridique. Compte tenu de nos critères de sélection de l’échantillon (avoir eu un enfant né en 2011), nous avons rencontré des parents relativement jeunes qui, pour certains d’entre eux, ont grandi et ont été scolarisés en France. Dans ces cas, la distance sociale et culturelle entre le pays d’origine et la France est moins marquée et les choix de mises en couple avec une personne d’origine étrangère ne sont problématiques, de l’avis des enquêtés, que pour les regards extérieurs. Dans d’autres situations, l’équilibre entre culture d’origine et société d’accueil se négocie quotidiennement et reste parfois une cause d’inquiétude pour des familles qui se sentent culturellement minoritaires et socialement dominées. Pour d’autres enfin, la vie en France est une lutte quotidienne pour préserver son droit à éduquer son enfant. En effet, pour les familles d’origine d’étrangère, la question de l’éducation de ses enfants semble revêtir des enjeux qui dépassent ceux de la population générale. Fréquemment, les incivilités ou les « débordements » juvéniles sont relayés dans les médias ou lors des débats parlementaires comme portant la marque d’une défaillance parentale, d’un manquement par les familles aux règles de la « bonne éducation », celle qui est supposée garantir l’ordre public (Boucher, 2011). Ce discours est apparu comme très intériorisé par les familles rencontrées mais les enjeux sont investis différemment selon que la famille se sente dominée par les institutions ou non. Cependant, on constate de manière générale, l’importance pour elles de l’application des normes éducatives de la société d’accueil. En tant qu’immigrées, leur mode éducatif est souvent, pour elles, un indicateur de leur intégration à la société française : un « bon » parent est un « bon » citoyen qui élève de futurs « bons » citoyens.