• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Etre parent face aux institutions

2.1. La diversité des familles rencontrées : synthèse des propos recueillis

2.1.1. Les familles nombreuses et/ou recomposées

2.1.1.5. Des choix affirmés

L’impression forte qui se dégage de la catégorie des familles nombreuses de milieu populaire ou d’origine étrangère particulièrement, relève plus d’une posture éducative que d’un modèle et la naturalisation de la parentalité qui leur est commune ne doit toutefois pas masquer les différences sociales. On observe donc une posture d’autorité au-delà de la sphère familiale : la responsabilité des parents se partage peu et ils entendent assumer leurs prérogatives par des choix qu’ils défendent, ce qui les amène parfois à se montrer critiques voire en conflit avec les modèles institutionnels, comme nous l’avons vu plus haut. Cette opposition à certaines des propositions éducatives publiques est au moins aussi importante que l’ancrage dans des principes et modèles forts dans la construction des choix éducatifs de ces parents.

Des avis tranchés sur les modes de garde

Lorsqu’il est inévitable, soit parce que les parents ont l’obligation de travailler tous les deux, soit qu’ils le désirent, le choix du mode de garde sera influencé par ce schéma familial. Si les taux de recours aux crèches et aux assistantes maternelles sont plus faibles pour les familles

46

nombreuses que pour les autres familles28, on observe des avis tranchés sur les modèles éducatifs des institutions de la petite enfance. La crèche peut susciter aussi bien l’adhésion que le rejet en tant qu’institution porteuse d’une norme éducative à laquelle adhèrent ou refusent d’adhérer les enquêtés. La crèche peut ainsi être considérée comme un lieu trop strict ou au contraire trop permissif. Si, par son encadrement institutionnel, elle protège des aléas des normes éducatives propres à chaque assistante maternelle…

« Les nounous, c'est bien mais elles ont leurs propres convictions personnelles et elles les appliquent, même si c'est faux. Les enfants en font les frais parfois. A la crèche, elles sont plus cadrées. La directrice est là à 100%. Quand les enfants se battent, la manière dont elles interviennent, ça reste très sain. » (CO_REC_NB_RUCSup_S).

… elle peut être aussi rejetée en raison d’un traitement des enfants jugé trop standardisé, comme par Mme B., qui revendique pourtant un cadre strict dans son éducation des enfants (voir supra) :

« Je suis souvent du même avis avec les mamans, mais par contre, par exemple j'ai deux copines qui travaillent à la crèche justement, je suis complètement en désaccord […]. Donc j'ai une amie qui est puéricultrice et l'autre qui est plus éducatrice à la crèche, mais en fait je suis contre ce fonctionnement. C'est pas du tout ma façon de..., je ne mettrai pas mes enfants en crèche. Y'en a pour qui ça va très bien, mais c'est pas du tout... Je trouve que c’est trop... Un enfant il doit manger à telle heure, il doit dormir à telle heure, il doit se réveiller à telle heure sinon vous n’êtes pas dans les clous. Moi je pense que chaque individu est différent » (CO_REC_NB_RUCSup_B).

Leur rôle socialisant pour l’enfant est un point qui peut être positif :

« [Je l’ai mis en crèche] pour que l’enfant puisse sortir d’un contexte d’adultes, qu’il puisse s’éveiller avec d’autres enfants, s’épanouir autrement par les jeux, les chants […]. La crèche ça permet à l’enfant d’être en collectivité. » (CO_REC_NB_RUCSup_P).

Les expériences sont donc très contrastées. Mme R., assistante maternelle :

« Si, j'ai fait l'expérience de la crèche quand L. était toute petite mais je n'ai pas aimé. Je l'ai amenée avec une amie et nous on faisait un atelier de cuir, on faisait des masques, c'était dans une association. Un jour, il faisait beau, elle s'était endormie dans la poussette, on les a récupérés trois heures après au même endroit, en plein cagnard, avec la couche jusque-là... On a dit : "Il faut qu'on trouve autre chose". » (CO_REC_NB_RUCInf_RG).

A l’opposé, Mme P., fleuriste à l’époque, amène son enfant à la crèche, en cachette de son mari qui refuse de payer et préfère laisser le bébé dans la réserve de la boutique. La directrice de la crèche l’a soutenue après son divorce :

« Toujours il y avait du personnel et une directrice là pour vous soutenir. Quand je suis arrivée pour M. en leur disant : " Voilà j'ai absolument besoin d'une place je viens de trouver un travail, jusqu'à présent j'étais toute seule avec mes enfants, j'ai besoin de travailler financièrement et mentalement", la directrice a vraiment bien joué. Elle m'a dit : " Justement il y a une place et même si on n'en avait pas on aurait bien trouvé une solution ". Vous avez des structures et des personnes assez compréhensives sur vos besoins. Elle a vraiment compris que c'était pour moi primordial que ma fille rentre en crèche rapidement parce que j'avais besoin de retravailler. » (CO_REC_NB_RUCSup_P).

28

47

Les points relais, à la différence des crèches, recueillent l’approbation générale de ceux qui les pratiquent. Ils sont perçus comme des lieux de ressources et d’échange, précieux et non contraignants, utiles aux parents, aux assistantes maternelles et aux enfants. La souplesse de l’organisation – changement de commune chaque semaine, roulement des activités, possibilité d’accès irrégulier – allège visiblement sensiblement la question des normes. Ils sont parfois aussi ouverts aux parents, et ceux qui s’y rendent sont contents de trouver un endroit pour socialiser les enfants et échanger avec des adultes sur l’éducation des enfants :

« Le relais en fait c’est souvent des nourrices qui y vont mais y’a des mamans qui peuvent y aller… C’est tous les vendredis matin à A., et puis y’a de la peinture, enfin des activités… Ça leur fait du bien puis nous ça nous permet de nous sortir un petit peu de chez nous aussi, donc j’aime bien … » (CO_REC_NB_RUCSup_B).

La halte-garderie semble intéressante pour les familles qui ne souhaitent pas de mode de garde trop lourd, mais leur fonctionnement rencontre l’adhésion de certaines ou en rebutent d’autres :

«Moi, ce que je reproche en revanche à la halte-garderie à Dijon hein… Ce qui n’était pas le cas à Paris… C’est que les haltes-garderies à Dijon sont réservées en priorité aux femmes qui travaillent. » (CO_NB_RUCSup_B).

« Ça se fait doucement parce qu'on a des garderies un peu partout. La garderie qu'on a là, on téléphone la veille pour savoir s'ils ont de la place, ils en ont toujours eu, pour le matin ou l'après-midi. Vous pouvez même faire des journées complètes. C'est hyper souple. Je sais qu'il y a pas mal de mamans qui travaillent à mi-temps et qui ont pu mettre leur petit. » (CO_NB_RUCSup_Des).

Certaines personnes rencontrées en Côte-d’Or insistent sur le fait que l’offre de services ne manque pas en cas de besoin, tandis que d’autres, au contraire, se sentent oubliées des services :

« Dès qu'on est à l'extérieur d'une ville, ils n'ont plus personne. Le problème, c'est qu'on est en bout de département. On est juste à la frontière départementale, donc on est des zones un peu délaissées. Il y a une crèche à 4 kilomètres, mais elle est sur un autre département. […] On est vraiment délaissés ! Enfin, il ne faut pas dire ça au maire... Au début, on voulait mettre L. à une crèche plus proche. […] Si on est un peu délaissés ici. C'est bien le côté rural mais... » (CO_REC_NB_RUCSup_S).

Des nécessaires réaménagements de la vie professionnelle

En ce qui concerne la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, le fait d’être mère de famille nombreuse induit des réorganisations de la vie professionnelle mais non nécessairement un arrêt comme le montrent les données de ELFE concernant le taux d’emploi des mères de familles nombreuses et leur intention de reprendre le travail à l’issue du congé de maternité29. Le recours au congé parental est fréquent, il est souvent suivi du choix d’une nouvelle activité jugée plus compatible avec une garde, même partielle, des enfants par la mère, comme une installation en libéral (à mi-temps ou à plein temps), ou encore par le choix du métier d’assistante maternelle qui permet alors de garder ses propres enfants tout en travaillant :

29

48

« Je travaille deux jours en tant que salariée, deux jours à faire de la gestion. Et une journée où je m'occupe des enfants. » (CO_REC_NB_RUCSup_S).

« Comme je trouve que c’est quand même super de pouvoir travailler et puis s’occuper des enfants en même temps, je crois que je me mettrai à mon compte pour pouvoir gérer les deux et j’aimerais bien même instaurer peut-être un coin …, pour coiffer les enfants mais avec un coin jeux, un coin pour qu’ils puissent y passer du temps avec les mamans, des fois le temps de se faire coiffer aussi. » (CO_REC_NB_RUCSup_B).

« J'ai arrêté de travailler comme fleuriste quand je suis tombée enceinte de ma cinquième. […] Quand j'ai appris que j'étais enceinte de M., j’avais mon magasin de fleurs, une maison à charge, cinq enfants, j'ai dit : "Je ne peux plus". Donc soit on prend une employée au magasin soit on vend. On a vendu le magasin. Je suis restée à la maison […]. Et comment avez-vous

décidé de devenir assistante maternelle ? - C'est grâce à mon actuel mari. Il m'a dit : "Tu

aimes le contact avec les enfants et ça permet d'être à la maison pour les tiens", parce qu'ils ont beaucoup souffert que je les mette en garderie. C'était un bon compromis pour faire quelque chose que j'aime, être avec des enfants et profiter de mes enfants et de ma maison. » (CO_REC_NB_RUCSup_P).

Ce sont parfois les contraintes de la vie professionnelle qui conduisent à faire ce choix : « Non je suis en congé parental voilà jusqu’aux trois ans de la petite […]. J’ai arrêté peu de temps après la naissance de la petite. J’étais au chômage, je cherchais du travail. A chaque fois les entretiens, c’était pas…, c’était aux heures de sorties d’écoles. Moi je pouvais jamais et du coup quand J. est né je me suis mis en congé parental directement. » (CO_REC_NB_ RUCInf_ASE_P).

« J’ai arrêté de travailler… J’étais enceinte de mon troisième. Et j’ai eu la possibilité, au lieu de démissionner, d’être licenciée économiquement. » (CO_NB_RUCSup_B).

« Du coup, j'ai pris un congé parental pour m'occuper de mes enfants en priorité. » (CO_REC_NB_RUCSup_B).

Cela dit, ces choix entraînent parfois des complications :

« Moi j'ai pris un congé parental. Trois ans après, vous reprenez votre poste où vous l'avez laissé. Je pensais que c'était comme ça. Bah non ! Mon agrément était bon jusqu'en 2011. Quand j'ai accouché de N., j'ai envoyé un courrier pour dire que je prolongeais mon congé parental et les prévenir que j'envisageais de reprendre mon activité. Je reçois un courrier avec une visite d'assistante sociale, je ne comprenais pas. Je faisais juste une demande de renouvellement. Elle m'a dit qu'il faut que je refasse ma formation de 120 heures. Alors que j'ai déjà fait 60 heures. Tout ça parce que j’ai attendu 6 mois. Moi je pensais que le congé parental stoppait tout. Mais c'est comme si j'avais travaillé pendant trois ans. » (CO_REC_NB_RUCInf_RG).

L’école privée souvent plébiscitée

Les postures défensives voire hostiles face à un certain modèle éducatif institutionnel s’observent également vis-à-vis de l’école. L’enquête s’est déroulée au moment des débats suscités par l’introduction de la question du genre à l’école, ce qui n’a pas manqué de susciter, parmi les familles rencontrées ici, de vives critiques à l’égard de l’école en général, sans épargner l’école privée. Les parents parmi ceux de familles nombreuses et/ou recomposées qui font le choix de l’école privée ne sont pas seulement des parents qui ont des convictions religieuses fortes, pratiquants, mais ce sont ceux-là qui sont souvent déçus par l’école, même privée, car encore trop proche du modèle dominant, jugé trop généraliste et trop laxiste. En Seine-Saint-Denis, question de profil ou question d’offre, le choix du public et du privé se pose peu :

49

« Aujourd’hui, je pense qu’il y a un écart qui se fait de manière très importante au niveau des valeurs et de ce qui est enseigné dans l’école. Nous, aujourd’hui, on a mis nos enfants dans une école privée. C’est un choix sur lequel on ne reviendra absolument pas parce que, dans ce qui est enseigné aujourd’hui dans l’école publique, nous, on n’est absolument pas d’accord avec ce qui est fait aujourd’hui. Donc on tient à l’école privée. » (CO_NB_RUCSup_B). « Ils ont décidé de prendre en main l’éducation de nos enfants. C’est vraiment leur plus grand souhait parce qu’ils parlent même de mettre l’école à 2 ans maintenant. Donc, ils ont vraiment décidé de…, que l’Etat laïque devait…, devait se charger de l’éducation de nos enfants de A à Z. Et nous, parents, on n’a plus notre mot à dire. […] Aujourd’hui, l’Ecole catholique n’est plus pour les catholiques. […] Non, les familles catholiques, en général, elles vont ailleurs. Maintenant, elles vont dans du hors-contrat. » (CO_NB_RUCSup_Des).

D’autres familles semblent finalement avoir recours à l’école privée moins pour des valeurs et des enseignements que pour assurer à leur enfant un environnement supposé plus sûr, plus propice au travail, réputé avoir un meilleur niveau scolaire :

« Les profs nous le disent, ceux qui viennent des collèges privés de centre-ville ou de campagne, ils auront les mêmes notes au départ, mais au bout de six mois, bling !, on voit des différences de niveau assez fortes. On fera en sorte que les deux derniers n'aillent pas dans le collège de secteur mais en collège privé sur Dijon. » (CO_NB_RUCSup_C).

Les rapports avec la CAF

Les avis quant aux relations avec la CAF, sont globalement positifs. Toutefois, certaines familles se montrent partagées en raison de la prise en compte difficile dans des délais rapides de certaines spécificités liées au statut d’emploi ou au changement de situation familiale. Plusieurs familles se plaignent ainsi du blocage de leurs prestations suite à la transformation de leur situation. C’est moins le contact avec la CAF qui semble poser problème que la qualité et la rapidité des réponses :

« [La mère] J'ai eu des problèmes avec la CAF, beaucoup. J'ai vraiment vu l'évolution. Pour le premier qui a 20 ans, quand on téléphonait à la CAF, je prenais un livre, je laissais sonner et j'attendais que quelqu'un veuille bien décrocher. Ça, ça a changé, aujourd'hui on a quand même un interlocuteur, il y a le site Internet. Mais ma situation a été plus compliquée parce que je me suis séparée puis remise avec quelqu'un, J., qui avait une société et qui était en même temps salarié. Moi j'étais salariée et ça pour eux, ça a été hyper compliqué. Ce qui fait que je n'ai pas touché l'allocation quand on est enceinte. Je ne l'ai jamais touchée. Alloc familiales, pareil et j'ai touché tout ça, L. avait déjà 14 mois. Parce qu'ils n'arrivaient pas à calculer. » (CO_REC_NB_RUCSup_S).

Par ailleurs, certaines réponses sont vécues comme des injustices. Ainsi, la mère d’un couple franco-congolais a subi, pendant la première année de son congé parental, un contrôle qu’elle juge injustifié30. Quant à Madame El A, elle juge injuste le remboursement d’un trop perçu qui lui est demandé31.

« Ben j’ai été travailler pendant je ne sais pas combien de jours et puis la CAF m’est tombée dessus derrière, ils m’ont ôté le double de ce que j’avais gagné alors que mon mari ne travaillait pas. » (CO_ET_NB_RUCInf_ElA).

30 Cf. Le quatrième chapitre, partie 4.2.1.1. 31

50

Ou encore, à propos des démarches pour obtenir un congé parental :

« C’est pas rapide parce qu’il y a 3 mois de retard à la CAF. Mais il y a aucune difficulté. » (CO_NB_RUCSup_B).

La CAF est surtout perçue comme payeur de prestations :

« Avec la CAF, on n' a pas beaucoup de rapport avec eux. On reçoit des allocs, ça va peut-être un peu changer... Mais sinon, je n'ai jamais eu trop l'occasion de me déplacer, de faire la queue. Je sais que c'est héroïque pour certaines copines mais nous, c'est nickel. Le fait d'avoir un enfant handicapé, on a certaines prestations de compensation, pour les vacances, je suis épatée de voir tout ce qui peut exister. » (CO_NB_RUCSup_Des).

2.1.1.6. Les particularités liées à la recomposition familiale parmi les familles