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Chapitre 2 : Etre parent face aux institutions

2.1. La diversité des familles rencontrées : synthèse des propos recueillis

2.1.3. Les familles homoparentales

2.1.3.2. Comment se répartissent les rôles parentaux au sein

Des tensions et conflits d’intérêts entre couples homosexuels hommes et femmes

Ces divergences sont en partie déterminées par la forte asymétrie de leur légitimité respective. Les intérêts et valeurs portés par les hommes et les femmes sont contradictoires, les hommes se vivant comme injustement dominés dans les projets parentaux du fait de leur dépendance biologique dans la procréation.

Une critique du matriarcat chez les couples de pères homosexuels

Les hommes ont souvent le sentiment d’être instrumentalisés, dans les projets de coparentalité, par des couples de lesbiennes qui veulent un père pour « l’équilibre, le confort ou pour pouvoir "cocher la case père" ». Ils revendiquent un investissement 50 / 50 rarement accepté par les femmes qui demandent souvent une répartition d’un tiers / deux tiers (RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_8).

Plusieurs critiquent de façon acerbe le maternage féminin, les angoisses « déplacées, exacerbées » des mères qui s’accompagnent d’une coupable désinvolture des pères. Un homme interrogé convoque ainsi l’image du branchement d’un port USB pour illustrer le lien excessif de la mère à l’enfant (RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_10). Plusieurs hommes homosexuels se considèrent ainsi mieux placés dans la fonction parentale que les parents hétérosexuels : ni désinvolte ni excessivement maternant. Ils considèrent dans la même logique qu’un poids trop lourd pèse sur les femmes en France (qui n’existerait pas aux USA), du fait que les hommes ne sont pas assez associés à la grossesse. Pour un couple d’hommes, cette dissymétrie expliquerait même le nombre élevé de dépressions post-partum en France (RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_10).

En définitive, les couples interrogés critiquent fortement la répartition déséquilibrée des rôles parentaux entre hommes et femmes, qu’ils comptent rétablir de façon plus égalitaire dans leur nouveau mode parental.

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Une répartition socialement genrée des compétences parentales dont souffrent à la fois les pères et les mères homosexuels

Pour les pères, il s’agit de rôles sociaux traditionnels en passe de disparaître. Les interviewés décrivent ainsi les préjugés dont ils font l’objet :

− Des pères soupçonnés de ne pas savoir détecter les maladies par manque d’instinct maternel. Un père médecin expose ainsi l’attaque dont il a fait l’objet par la chef de service d’un grand hôpital pour enfant :

« Je ne dirai rien parce que vous êtes médecin et que vous pouvez subvenir aux besoins de

l’enfant et compenser par ce côté médical l’absence d’instinct maternel qui lui, est indispensable pour dépister des choses qui n’iraient pas chez le nourrisson. ». (RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_8) ;

− Des pères soupçonnés de ne savoir ni soigner ni câliner. L’un deux évoque une voisine qui :

« S’inquiète de savoir si on couvre assez la petite, comme si le pouponnage était différent et qu’on ne savait pas faire alors que, nous, on est très câlins avec elle. » (Conjoint du père biologique, RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_8) ;

− La dénonciation de l’inégalité entre hommes et femmes face à la « capacité parentale » :

« En France, ne pas avoir de père ce n’est pas trop grave, la maman va s’en sortir mais alors par contre dans une famille s’il n’y a pas de maman, mon dieu quelle catastrophe, le père ne va pas pouvoir s’en sortir et ça va être un gamin fusillé. […] Les mauvaises familles sont composées d’une seule maman puis les très mauvaises familles sont composées d’un seul papa. » (RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_10).

Ces préjugés d’incapacité parentale masculine sont contrebalancés par d’autres préjugés d’incapacité concernant cette fois les femmes. Elles sont accusées pour leur part d’être incapables d’autorité si bien qu’elles s’estiment d’autant plus fortement soumises à « l’injonction à la réussite » dans leur fonction éducative. Cette injonction est ressentie différemment par les couples hommes et femmes selon les attendus sur les rôles parentaux.

Un couple de femmes témoigne ainsi :

« On va nous dire : "Bien sûr, il n’y a pas d’hommes, c’est pour ça que ça ne va pas". C’est cette injonction à la réussite qui fait qu’on a voulu s’informer sur ce qui se fait de mieux. » (RP_Homop_Femmes_CSPPI_7).

Les hommes interrogés confirment cette inégalité :

« Les femmes ont plus d’injonction à la réussite éducative ; nous, c’est le quotidien qu’éventuellement on ne saurait pas faire, le quotidien pratico-pratique. C’est ça qui est normalement réservé à la femme ; la femme c’est la toilette et le ménage. Les gens ne se posent pas de questions sur nos capacités éducatives en tant qu’hommes. C’est plus difficile pour les couples de femmes sans père. » (Prov_Homop_Hommes_CSPPlus_11). A cet égard, on peut formuler l’hypothèse que l’accent mis, aujourd’hui, en termes d’éducation, sur la capacité à l’autorité, vient renforcer le discrédit à l’égard des couples féminins et le crédit fait aux couples d’hommes.

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Des associations représentatives concurrentes entre hommes et femmes

Le conflit violent entre les positions des hommes et celles des femmes a mené à la scission de l’association APGL (Association des Parents Gays et Lesbiens). L’essentiel du conflit portait sur la GPA, les féministes lesbiennes considérant ce mode de procréation comme une instrumentalisation du corps de la femme. Après la scission, les féministes lesbiennes sont restées et une partie des hommes sont partis fonder l’ADFH (Associations des Familles Homoparentales), si bien qu’aujourd’hui, l’APGL regroupe 80% de femmes et l’ADFH 80% d’hommes.

Un consensus : le parent non biologique hérite du rôle du « tiers séparateur » indépendamment de son sexe

Le rôle de « tiers séparateur »49 est toujours présenté comme nécessaire et bénéfique. La différence des rôles (l’un assure la fonction de maternage, l’autre celle de tiers séparateur) remplace la différence des sexes. C’est selon cette même idée que plusieurs couples expliquent :

« On a aussi notre Œdipe. C’est comme si nous étions les parents de deux enfants comme les autres avec un Œdipe et un tiers séparateur. » (RP_Homop_Femmes_CSPPI_7). Les pères homosexuels pensent qu’il faut aussi un tiers séparateur, même s’il ne s’agit pas de la même personne pour chaque enfant d’une même fratrie. Il faut un care giver (figure de protection) et un tiers séparateur (qui assure la distance nécessaire), peu importe le sexe. Le partage des rôles est ainsi fondamental mais il peut « tourner » dans le couple. Les choix des dénominations traduisent en partie, mais pas systématiquement, la décision de maintenir une distinction entre le « premier » parent, le biologique et le second : « Maman A. et Maman V. » ; « Maman et Nana » ; « Maman et Mamita » ; « Papa et Baba », « Papa et Daddy », « Papa et Papon ».

Cependant, la répartition des rôles dans le couple est plus ou moins bien vécue. Il existe parfois des rivalités fortes autour de l’attachement physique à l’enfant, notamment dans les couples de femmes. Certaines femmes évoquent leur grande difficulté à s’accommoder de ce rôle « imposé » de « défusionnant », traditionnellement dévolu aux hommes, et considéré comme plus dur à accepter lorsqu’on est une femme. Des mères non biologiques font ainsi part de leurs fortes jalousies vis-à-vis de l’allaitement de conjointes.

« C’est un problème spécifique des femmes et dont on ne peut parler. Les pères ne savent pas en parler et on est seules dans ce cas ». Une conjointe dit même allaiter sans lait « Juste pour la succion ». Elle témoigne de sa frustration personnelle et de sa difficulté à se situer devant l’enfant : « Qui voit que j’ai des seins et qui ne comprend pas pourquoi je ne l’allaite pas. » (RP_Homop_Femmes_CSPPlus_3).

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Ce terme, issu de la psychanalyse (Freud, Lacan), est passé dans le langage courant de ces familles, de même qu’il est vulgarisé par les différentes revues et magazines grand public de psychologie.

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On repère à ce sujet des conflits sur la définition du bon parent. Certaines considèrent que le bon parent ne doit pas allaiter pour laisser sa place à l’autre50.

On peut penser que la généralisation de ces nouveaux modèles parentaux va transformer à terme les pratiques et les modèles des couples hétérosexuels. Les couples de femmes interrogées témoignent de l’envie qu’elles suscitent chez leurs amies ou collègues femmes hétérosexuelles, qui mesurent, à leur contact, l’inégalité de la répartition des tâches dans leur propre couple. Les couples de pères, de leur côté, disent bousculer la relativement plus faible implication paternelle dans les soins quotidiens donnés aux enfants. L’un deux observe :

« On le voit avec le couple avec qui on est en garde partagée : le père me dit : "Tu le gardes, là ? Comment tu fais ?". Il se sentait incapable de ça. Du coup, ça lui fait une motivation. » (RP_Homop_Hommes_CSPPlusPlus_8).

Dans la mesure où la différence sexuelle ne servirait plus d’assise à la répartition des rôles, on peut supposer que les couples homosexuels seraient précurseurs de changements dans la conception des rôles parentaux et conjugaux et qu’ils ouvriraient la voie à une reconsidération de ces rôles selon de nouveaux critères.