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Section 1. Le cadre juridique du droit à la santé en droit international

A. La nature des obligations et le noyau dur du droit à la santé

3. Les obligations à réalisation progressive

Dès la satisfaction du noyau dur d’un droit, tout État est tenu d’allouer le maximum de ses ressources disponibles aux fins de réaliser ses obligations « à réalisation progressive »496. La progressivité est un concept qu’on a relié aux DESC dans le but de reconnaître que les États moins riches pouvaient bénéficier d’un certain temps après la ratification du traité pour mettre en œuvre les programmes et politiques impliquant des dépenses publiques. Cela étant, elle ne permet en aucun cas de repousser indéfiniment l’adoption de mesures qui sont nécessaires aux fins de la jouissance des DESC par les individus. La notion de progressivité implique au contraire l’obligation de mettre en œuvre les mesures requises graduellement, de

491 Ibid au para 44c). 492 Ibid au para 44d). 493 Ibid au para 44e).

494 Brigit Toebes, « The Right to Health » dans Asbjorn Eide, Catarina Krause et Allan Rosas, dir, Economic,

Social and Cultural Rights : A Textbook, 2e éd, Londres, Martinus Nijhoff, 2001, 169 à la p 177.

495 Ibid à la p176.

manière croissante, étape par étape497. En ce sens, elle force l’État à améliorer constamment la jouissance des DESC498 et commande de s’abstenir d’adopter des mesures régressives499.

Cette souplesse que le PIDESC reconnaît dans la mise en oeuvre des DESC, et en particulier dans le droit à la santé, voit ses contours délimités par les ressources disponibles de l’État. En effet, selon le par. 2(1) du PIDESC, chaque État « s’engage à agir » « au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits ». Au plan du suivi-évaluation, cette exigence pose des problèmes méthodologiques importants. Comment déterminer les ressources disponibles ? Comment évaluer si l’État a véritablement affecté toutes les ressources disponibles ? C’est pour répondre à ces questions cruciales du point de vue de l’effectivité des DESC, que des approches basées sur les indicateurs de suivi sont de plus en en plus développées dans la littérature500. À cette fin, ils intègrent des indicateurs qui mesurent les progrès réalisés en termes de résultats et qui requiert une collecte de données sophistiquées. Et puisque les DESC imposent aussi des obligations de moyens, certains indicateurs sont conceptualisés pour collecter des informations relatives aux processus utilisés, aux choix effectués par les dirigeants qui doivent intégrer les principes fondamentaux, tels la participation des personnes concernées, la non-discrimination et l’attention prioritaire aux personnes vulnérables et marginalisées. Dans tous les cas, les données recueillies doivent être ventilées sur la base des motifs de discrimination prohibés dans le but de faire ressortir les

497 Manisuli Ssenyonjo, « Economic Social and Cultural Rights » dans Mashood A Baderin et Manisuli

Ssenyonjo, dir, International Human Rights Law. Six Decades since the UDHR and Beyond, Burlington, Ashgate, 2010, 49 à la p 58.

498 Observation générale no 14, supra note 373 au para 31; Manisuli Ssenyonjo, ibid.

499 Ibid au para 32. Voir sur la question des mesures régressives, Raphael Sodini, Le comité des droits

économiques, sociaux et culturels, Paris, Montchrestien, 2000 aux pp 113 et s.

500 Le texte de Robert E Robertson qui suggère de recourir à des indicateurs de conformité, même s’il remonte à

1994, est toujours pertinent. Robert E Robertson, « Measuring State Compliance with the Obligation to Devote the « Maximum Available Resources » to Realizing Economic, Social and Cultural Rights » (1994) 16 Hum Rts Q 693. Sur les avantages des méthodes de suivi-évaluation basées sur les indicateurs, voir Judith V Welling, supra note 405. Sur l’implication possible des organisations non gouvernementales dans le suivi des obligations progressives, voir Leonard S Rubenstein, supra note 424; Eitan Felner, « A Toolkit to Monitor the Realization of ESCR », supra note 405. C’est aussi pour palier les difficultés méthodologiques engendrées par le concept de réalisation progressive qu’Audrey R Chapman a proposé, en 1996, une approche des DESC basé sur la violation des obligations « violation approach » qui paraissait alors plus réalistement réalisable. Voir Audrey R Chapman, « ‘A Violation Approach’ for Monitoring the ICESCR », supra note 206; Clair Apodaca, supra note 405.

inégalités dans la répartition des biens et services en santé501. Ces méthodes qui présentent des avantages certains au plan de l’évaluation de la réalisation progressive, ne sont toutefois pas sans critiques502 et posent également des défis méthodologiques.

Dans la mesure où la réalisation progressive est tributaire des ressources disponibles, il faut admettre que la pénurie de telles ressources puisse justifier, le cas échéant, la stagnation503 dans la mise en œuvre d’un droit. À cet égard, il est certainement utile de préciser que la performance des États en terme de réalisation des DESC dépend parfois davantage des priorités fixées par les politiques publiques et de la manière dont les ressources existantes sont allouées, que de l’augmentation des dépenses504. Audrey R. Chapman démontre d’ailleurs avec éloquence, en s’appuyant sur les résultats d’une étude de l’Organisation mondiale de la santé505 qu’il n’y a pas toujours de corrélation directe entre les ressources étatiques et les résultats en santé ou dans l’équité dans l’accès aux soins de santé506. Il est aussi utile de mentionner que le concept de ressources disponibles englobe beaucoup plus que les stricts deniers publics. Il s’agit plutôt des ressources disponibles dans la société dans sa globalité « those that are available within the society as a whole, from the private sector as well as the public »507. Ainsi, la responsabilité de l’État consiste à mobiliser l’ensemble des ressources disponibles et non nécessairement à les fournir lui-même.

501 Report of the Special Rapporteur on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable standard

of physical and mental health, Paul Hunt, Doc off CDH NU, 4e sess, Doc NU A/HRC/4/28 (2007) aux para 90– 92.

502 La critique principale repose sur la crainte de voir le travail d’évaluation de la mise en œuvre des DESC

devenir une tâche complexe aux technicalités si grandes (manipulations de variables et de statistiques) que seuls certains experts pourront s’y colleter. Ce phénomène pourrait contribuer à la dépolitisation des enjeux sociaux. Voir Bernard Duhaime, « L’OÉA et le Protocole de San Salvador », supra note 271 aux pp 382 et s; AnnJanette Rosga et Margaret L Satterthwaite, « The Trust in Indicators : Measuring Human Rights » (2009) 27:2 Berkeley J Int’l L 253; Keith Hoskin, « The `Awful Idea of Accountability': Inscribing People into the Measurement of Objects », dans Rolland Munro and Jan Mouritsen, dir, Accountability: Power, Ethos and the Technologies of Managing, Londres, International Thomson Business Press, 1996, 265; Sally Engle Merry supra note 419; Vincent Greason et Lucie Lamarche supra note 419.

503 Observation générale no 14, supra note 373 au para 47.

504 Audrey R Chapman, « ‘A Violation Approach’ for Monitoring the ICESCR », supra note 206 à la p 196. 505 Jose Luis Bobadilla et al, « Design, content and financing of an essential national package of health services »

in Christopher JL Murray and Allan D Lopez, dir, Global Comparative Assessments in the Health Sector: Disease Burden, Expenditures and Intervention Packages, Genève, Organisation mondiale de la santé, 1994, 171.

506 Virginia Leary, The Right to Health Working Paper Prepared for the Day of General Discussion on the Right

to Health, Doc off CES NU, 9e sess, Doc NU E/C.12/1993/WP20 (1993).

Et pour dépasser la liaison exclusive que certains ont voulu cristallser entre obligations à réalisation progressive et DESC, le recours à la typologie des obligations est particuièrement pertinent.

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