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Section 2. Les déséquilibres normatif, institutionnel et procédural en période de conflit

A. Le déséquilibre normatif

Les articles 2 des PIDESC et du PIDCP trouvent leurs racines dans la clause parapluie initialement proposée par René Cassin alors que le projet de pacte devait inclure les DCP et les DESC129. Ces articles modulent différemment les obligations à la charge des États selon qu’elles sont rattachées aux DCP ou aux DESC. Ces différences s’expliquent par les trois préoccupations principales des États lors des négociations ayant mené à la rédaction du PIDESC : 1) La question des ressources financières requises pour mettre en œuvre les DESC; 2) le refus de s’engager à mettre en oeuvre de manière immédiate des programmes sociaux; et 3) le besoin, pour les États moins développés, de la coopération internationale pour être en mesure d’assumer leurs obligations. Le libellé de l’article 2 du PIDESC, englobe ces différents paramètres. De ce fait, l’article se trouve à inclure à la fois les obligations et les limitations alors qu’en vertu du PIDCP, les obligations et la clause limitative sont distinctes :

Article 2130

1. Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives.

128 Voir par exemple, EG Vierdag pour qui les obligations prévues au PIDESC n’ont qu’un caractère politique et

ne sont pas juridiquement contraignantes. EG Vierdag, « The Legal Nature of the Rights Granted by the International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights » (1978) 9 NethlYB Int’l L 103.

129 Ci-dessus à la p 26.

130 L’article 2 qui reprend le libellé de la clause parapluie proposée par la France en 1950 est adopté dans sa

2. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

3. Les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l'homme et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants.

C’est en raison de cet article distinctif du PIDESC qu’on a qualifié les DESC de droits programmatiques. Une lecture superficielle de cet article tend à laisser croire que les DESC n’imposent que des obligations positives, et c’est cette caractéristique qui a principalement insufflé les procédures de suivi et de mise en œuvre des DESC distinctes des DCP131. Pourtant, à sa face même le libellé du PIDCP implique lui aussi des obligations positives rattachées par exemple à la création de systèmes judiciaires impartiaux et d’accès à la justice132. Mais il ressort de la littérature que ces similitudes ont été volontairement évacuées des cadres analytiques classiques133. La différence la plus évidente entre le PIDESC et le PIDCP réside dans la progressivité associée à la réalisation des obligations. Alors que l’article 2 du PIDESC impose, pour certains aspects des DESC134, une réalisation progressive appelée à s’échelonner dans le temps, selon le cas, le libellé de l’article 2 du PIDCP impose quant à lui des obligations à réalisation exclusivement immédiate135 :

131 Or, comme nous le verrons ci-après les DESC comme les DCP imposent des obligations négatives et positives

aux États, conformément au cadre analytique développé par de nombreux auteurs qui reposent sur les obligations de respect, de protection et de mise en œuvre. Ci-dessous à la p 117.

132 Stephen Holmes et Cass R Sunstein, The Cost of Rights : Why Liberty Depends on Taxes, New York, WW

Norton &Company, 1999 aux pp 1et s.

133 BOSSUYT, Marc, « La distinction juridique entre les droits civils et politiques et les droits

économiques, sociaux et culturels », (1975) 8 Revue des droits de l’homme 783.Contra, voir un texte précurseur d’Andrée Lajoie rédigée dans la perspective du droit interne québécois mais qui demeure pertinent pour une réflexion sur les obligations positives qui émanent des DCP. Andrée Lajoie, « De l’interventionnisme judiciaire comme apport à l’émergence des droits sociaux » (1990-1991) 36 McGill LJ 1338.

134 Pour certaines diemsions seulement car d’autres sont à réalisation immédiate, telle l’obligation de prendre des

mesures et celles relatives au noyau dur des droits énumérés au PIDESC, ci-dessous à la p 109.

135 Sous réserve des articles 6, 7, 8 (para 1 et 2), 11, 15, 16 et 18 qui sont indérogeables, seul un cas exceptionnel

Article 2

1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

2. Les États parties au présent Pacte s'engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l'adoption de telles mesures d'ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.

3. Les États parties au présent Pacte s'engagent à:

a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles;

b) Garantir que l'autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l'État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel;

c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié.

À leur face même, ces deux textes reflètent l’état des compromis auxquels en sont arrivés les États, lors du processus de rédaction136. De plus, certaines dimensions des DESC ont du être laissées vagues, pour empêcher la formulation d’obligations trop contraignantes, source de conflits irréconciables. Et, en effet, le libellé de l’article 2 du PIDESC tend, par sa manière plutôt générale de moduler les obligations à la charge des États, (lesquelles sont par ailleurs contraignantes au même titre que pour les DCP) à diminuer une des composantes de la

civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 RTNU 171 à l’art 4 (entrée en vigueur : 23 mars 1976, entrée en vigueur au Canada : 19 août 1976) [PIDCP].

136 Le libellé de l’article 2 englobe la description des obligations et les zones de dérogations acceptables. Dans ce

sens, il n’est peut-être pas si éloigné du PIDCP qui prévoit, à l’article 4, une clause dérogatoire. Voir sur cette idée Matthew RC Craven, The ICESCR : A Perspective on its Development, supra note 123 à la p 27.

juridicité137 des droits prévus au texte. Mais dans la mesure où nous envisageons la légalisation du droit international sur un continuum multidimensionnel138, ce n’est pas cet élément à lui seul (qui, par ailleurs, pourrait être compensé par une jurisprudence ayant vocation à clarifier les dispositions), qui a consacré le déséquilibre entre les DESC et les DCP mais bien son adjonction à un système peu institutionnalisé, sans procédure de mise en œuvre mordante139 :

Until 1986, (the Covenant) existed only as a textual reference point subject to the speculative claims of bot hits proponents and detractors. Its terms required clarification and its system of implementation reconstructing. In short, it needed the nurture of a committed and active supervisory to be brought to life.140

Plus précisément, aucun organe conventionnel et indépendant n’est expressément chargé du rôle central de superviser la mise en œuvre du PIDESC, aucun organe n’est expréssement habilité à interpréter le texte de manière à engager les États et la procédure de rapports étatiques périodiques permet un processus de suivi général et non spécifique141.

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