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Le droit à la santé des personnes marginalisées en contexte de lutte au VIH

Section 2. Le sous développement jurisprudentiel du droit à la santé au Québec et au

C. Le droit à la santé des personnes marginalisées en contexte de lutte au VIH

En dépit des réticences du système judiciaire à l’égard de la pleine reconnaissance des DESC, notamment, dans leur dimension positive autonome, nous avons vu que les articles 7 et 15 de la Charte canadienne ainsi que les articles 1 et 10 de la Charte québécoise ont servi, jusqu’à un certain point – et de manière implicite –, de base juridique à un droit d’accès aux soins et services de santé. Cette tendance a récemment été confirmée dans le contexte de la lutte au VIH.

713 Louise Arbour, « ‘Freedom from want’ - from Charity to Entitlement », Conférence Lafontaine-Baldwin,

présentée au Capitole de Québec, 4-5 mars 2005 à la p 7, cité dans Bruce Porter et Martha Jackman, supra note 614 à la p 1.

714 Dans l’affaire PHS Community Services, supra note 440 (ci-après, Canada (procureur général) c. PHS

Services Community) relative au maintien des opérations du site d’injection supervisée Insite à Vancouver.

715 Nous sommes toutefois d’avis qu’il importe alors, pour les acteurs non gouvernementaux de mesurer d’avance

les risques associés aux stratégies de mobilisation judiciaire et de les faire connaître aux personnes avec qui ils militent. À défaut de quoi, ces derniers risquent de connaître un certain désenchantement du droit. Par exemple, la décision PHS Community Services a pu être comprise comme une certaine victoire par les acteurs en 2011 mais son interprétation restrictive et intimement liée aux spécifcités de la réalité du quartier Dowtown East-side laisse présager de nouveaux obstacles susceptibles de survenir. Il n’est pas non plus exclu de voir les autorités gouvernementales fédérales s’en saisir pour développer de nouvelles stratégies destinées à limiter l’octroi d’exemptions dans le futur. Sur la mobilisation du droit par les ONG le concept de système expérimentaliste développé par Charles F Sabel et William H Simon dans Charles F Sabel et William H Simon, « Destabilizing Rights : How Public Litigation Succeeds » (2004) 117 Harv L R 1016 qui définissent les « destabilizing rights » comme étant des « rights to disentrench an insitution that has systematically failed to meet its obligations and remained immune to traditional forces of politicial correction ». Selon les auteurs, les poursuites basées sur les droits civils sont devenues expérimentalistes en permettant aux différentes parties prenantes (stakeholders) de continuellement revoir les performances de l’État et la transparence des mesures qu’il adopte. Dans cet esprit et dans le contexte de l’interprétation de l’article 7 de la Charte canadienne, Alana Klein, « Section 7 of the Charter and the Principled Assignment of Legislative Jurisdiction » (2012) 57 S.C.L.R (2nd) 59.

Dans la décision Canada (General Attorney) c. PHS community Services716, le plus haut tribunal du pays a reconnu, sur la base de l’article 7 de la Charte canadienne, des fondements propices pour la reconnaissance d’un droit négatif aux services de santé adaptés aux besoins des personnes utilisatrices de drogue injectable. Dans le jugement, ce droit est conceptualisé de manière implicite en tant que composante du droit à la sécurité et à la vie717. La juge McLachlin s’exprime ainsi :

N’eût été l’ordonnance intérimaire du juge de première instance, cette décision aurait eu pour effet d’empêcher les consommateurs de drogues injectables d’avoir accès aux services de santé offerts par Insite, ce qui aurait mis en danger la santé et, en fait, la vie de ces éventuels clients. La décision du ministre met donc en jeu et restreint les droits garantis aux demandeurs par l’art. 7.718

Ainsi, la Cour conclut que le refus du Ministre de la santé d’accorder une exemption à Insite en vertu de l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances constitue une restriction aux droits fondamentaux des personnes utilisatrices de drogue injectable prévus à l’article 7 de la Charte. Au vu de la preuve dont disposait le Ministre pour prendre cette décision, la Cour est d’avis que cette restriction était arbitraire et disproportionnée et donc, non-conforme aux principes de justice fondamentale719. Comme le stipule la Cour, l’accès aux services de santé, et les risques qui découleraient de la privation d’un tel service, prévaut sur toute autre considération de moralité publique : « l’inaccessibilité éventuelle de services de santé et l’augmentation corrélative du risque de décès et de maladie auquel sont exposés les toxicomanes l’emportent sur tout avantage qui pourrait résulter du maintien d’une interdiction absolue de possession de drogues illégales dans les locaux d’Insite720 ».

716 PHS Community Services, supra note 440.

717 PHS Community Services, supra note 440 au para 136.

718 Ibid. Comme l’écrit la juge McLachlin : « Une loi qui crée un risque pour la santé en empêchant l’accès à des

soins porte atteinte au droit à la sécurité de la personne : Morgentaler, supra note 440 à la p 59 (le juge en chef Dickson) et pp 105-106 (le juge Beetz); Rodriguez, supra note 440 à la p 589 (le juge Sopinka); Chaoulli, supra note 440 au para 43( la juge Deschamps) et para 118-119 (la juge en chef McLachlin et le juge Major); Parker, supra note 440. Lorsque la loi crée un risque non seulement pour la santé, mais aussi pour la vie des demandeurs, l’atteinte est d’autant plus manifeste. », PHS Community Services, supra note 440 au para 93.

719 Ibid au para 136. 720 Ibid.

Cette reconnaissance est importante au plan de la lutte au VIH. Elle pose en effet la question fondamentale de la réconciliation des valeurs morales et idéologiques et des besoins des personnes marginalisées corroborés par les études scientifiques. Dans la problématique de l’accès aux soins et services de santé adaptés aux besoins réels des personnes, cette question est centrale. En effet, comme nous l’avons vu, les violations du droit à la santé des personnes vulnérables au VIH, sont souvent intimement reliées aux préjugés, aux stigmates et à la discrimination, formalisés dans des lois, politiques, programmes ou dans les actions des acteurs de la santé ou de la sécurité publique. Or, en rattachant une approche de réduction des méfaits721 au contenu substantiel de l’article 7 de la Charte canadienne, la Cour offre un précédent important pour les personnes marginalisées privées d’accès aux services sociaux et de santé722. Ce précédent met en lumière deux points essentiels dans la problématique de l’accès à des soins adaptés aux besoins des personnes marginalisées.

Premièrement, l’importance de soumettre, dans ce type d’affaire, une preuve scientifique, des données probantes qui ancrent les représentations dans des réalités factuelles et non des débats moraux et idéologiques723. Deuxièmement, le besoin de réactiver la conscience de la responsabilité collective à l’égard des personnes marginalisées. À cet égard, il nous semble indéniable que la contribution des intervenants de la Cour – nombreux dans ce cas-ci – contribue à faire pénétrer ces éléments dans le système juridique.

Malgré ces aspects positifs pour la lutte au VIH, il importe de souligner que dans cette affaire, les juges ont opté pour le véhicule juridique le plus restrictif pour donner effet au droit à la santé. Plutôt en effet de déclarer les articles 4 (1) et 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances724 inconstitutionnels et inopérants, comme l’avait fait le juge Pitfield en première instance725, la Cour fut d’avis que c’était l’exercice du pouvoir

721 Même si la Cour se garde de le reconnaître formellement c’est ce qu’elle fait concrètement. Voir PHS

Community Services, supra note 440 au para 105.

722 Tout en avançant ceci, nous sommes aussi consciente des limites de ce jugement, voir supra note 715.

723 Les arguments du Canada en faveur du non renouvellement de l’exemption sont d’ordres moraux et ne

tiennent pas compte des données probantes qui documentent les succès d’Insite qui prévient les infections, la transmission du VIH et du VHC et qui élimine les surdoses mortelles sans aucun accroissement de la criminalité. PHS Community Services, supra note 440 aux para 98-102.

724 Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LRC 1996, ch 19. 725 PHS Community Services, supra note 440 au para 153.

discrétionnaire du ministre qui portait atteinte aux droits garantis à l’article 7 de la Charte. Ce faisant, elle a maintenu l’application des articles 4(1) et 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances à Insite et, dans un sens, a laissé la reconnaissance du droit d’accès aux soins et services de santé à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre fédéral de la santé726. À cette fin, elle a établit 5 facteurs qui doivent être pris en compte par le ministre dans l’exercice de sa discrétion. Au plan du droit à la santé, ces facteurs suscitent réflexion. En effet, il existe un risque de voir ces facteurs détournés en conditions par le ministre de la santé fédéral, ce qui aurait pour effet, dans un sens, de rendre l’accès aux soins et services conditionnels à des facteurs exogènes, ce qui ne serait pas sans soulever de nombreuses critiques au plan du droit à la santé 727.

Au terme de cette brève analyse, il importe de reconnaître que les tribunaux canadiens ne reconnaissent, en droit constitutionnel, aucun droit à la santé autonome dont les caractéristiques s’apparenteraient au droit posé dans le cadre juridique intégré. Cela étant, certaines dimensions du droit à la santé - la non-discrimination dans l’accès aux soins et l’obligation de respecter le droit d’accès aux soins et services, en s’abstenant d’agir de manière contraire à sa jouissance, sont protégées par les articles 7 et les articles 15 de la Charte canadienne. Toutefois, sous l’un ou l’autre de ces articles, l’intégration du droit à la santé en droit canadien demeure partielle. En particulier, seule la question de l’accès aux services de santé est prise en compte, laissant sans réponse l’épineuse question de l’accès aux facteurs déterminants de la santé. Cette intégration partielle et la justiciabilité à la carte qui en découle constituent un frein à la mise en œuvre du droit à la santé à l’échelle nationale et est contraire aux prescriptions du PIDESC et de l’Observation générale no. 14.

726 La Cour a délimité 5 facteurs destinés à encadrer l’exercice de ce pouvoir.

727 Le projet de loi C-65 déposé par le gouvernement fédéral le 6 juin 2013 démontre en effet que ce risque

devient réel. Voir Réseau juridique canadien VIH/sida, Coalition canadienne des politiques sur les drogues et Pivot, communiqué, « Un projet de loi du gouvernement nuira à des services vitaux de santé et engendrera plus de décès et de maladies » (6 juin 2013), en ligne : Réseau juridique canadien VIH/sida <http://www.aidslaw.ca/publications/interfaces/downloadFile.php?ref=2138> (consulté le 7 juin 2013).

Chapitre 3. La mise en œuvre du droit à la santé des personnes

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