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Les Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de la personne

Section 2. Le droit à la santé dans le contexte de la lutte au VIH : la soft law

A. Les Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de la personne

Les Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de la personne554 ont été rédigées à la demande de la défunte Commission des droits de l’homme555 pour guider les États et autres acteurs impliqués, dont les organismes communautaires, le cas échéant, dans les actions pertinentes à réaliser pour protéger les droits humains dans le contexte de la lutte au VIH. Ce document a été élaboré « dans le cadre d’un mécanisme consultatif et participatif impliquant des représentants gouvernementaux, des militants pour les droits humains et des personnes vivant avec le VIH/sida (PVVIH/sida) »556. L’objectif poursuivi par ces lignes directrices consiste à « aider les (É)tats à traduire les normes internationales des droits de l’homme en mesures applicables concrètement dans le contexte du VIH.»557.

Composées au total de 12 directives, ce texte englobe, au niveau substantiel, le droit à la santé ainsi que les autres droits protégés par la Charte internationale des droits de l’homme558. Il repose sur la prémisse que les violations des droits humains, sont des obstacles à lutte au VIH. Dans cette équation, tant les DESC que les DCP sont visés. Cet extrait du document est éloquent à ce sujet :

Au cours de la décennie écoulée, le rôle des droits de l’homme dans la lutte contre l’épidémie et la gestion de ses conséquences est devenu de plus en plus manifeste. Le système international de protection des droits de l’homme fixe explicitement le principe de la non-discrimination au motif du statut sérologique. Parallèlement, les conséquences du VIH ont montré combien les inégalités et vulnérabilités conduisent à une hausse des taux d’infection parmi les femmes, les enfants, les pauvres et les groupes marginalisés, d’où une attention renouvelée

<http://www.hsph.harvard.edu/pihhr/files/homepage/program_resources/HIVHR_nutshell-french.pdf> (consulté le 6 septembre 2011).

554 Supra note 241

555 Aujourd’hui remplacé par le Conseil des droits de l’homme, supra note 209.

556 Mindy Jane Roseman et Sofia Gruskin, Le VIH/sida et les droits humains en bref, supra note 553 à la p 4. 557 Ibid à la p 13.

558 La Charte internationale des droits de l’homme est un terme employé pour désigner à la fois la DUDH, le

PIDCP et le PIDESC, qui forment les fondements du système de protection des droits de l’homme à l’échelle internationale.

pour les droits économiques, sociaux et culturels. A cet égard, la dimension du droit à la santé a été revue de façon à ce qu’il intègre explicitement désormais la disponibilité et l’accessibilité à la prévention, au traitement, à l’appui et aux soins en matière de VIH, pour les adultes comme pour les enfants. Par la législation ou la jurisprudence, de nombreux pays ont reconnu à leur population le droit à un traitement contre le VIH au titre des droits fondamentaux de la personne, confirmant par là même la valeur juridique des droits économiques, sociaux et culturels.559

Ce nouveau paradigme, qui conceptualise les droits humains comme de véritables déterminants de la santé colore tout le document. Intialement introduit en santé publique par Jonathan Mann560, le courant « health and human rights » repose sur l’hypothèse fondamentale d’un lien entre les droits humains et la santé. Les domaines de la lutte au VIH et de la santé sexuelle et génésique des femmes ont largement contribué à son émergence qui s’étend maintenant à d’autres secteurs de la santé. Les travaux effectués par les chercheurs de ce mouvement ont grandement alimenté le cadre conceptuel du droit à la santé, qui lui-même, reconnaît que la réalisation du droit à la santé dépend des autres droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l’homme et, plus encore, qu’ils forment des « composantes intrinsèques du droit à la santé »561.

Dans cette perspective, il est aisé de tisser des liens entre chacune des directives et la réalisation du droit à la santé. Elles présentent en effet toutes un lien, direct ou indirect, avec l’accès aux soins, aux traitements, au programme de prévention et de soutien adaptés, acceptables et de qualité562 ou avec les facteurs structurels qui ont un impact sur la vulnérabilité au VIH. Par exemple, la directive 1 prévoit que les États doivent adopter « un cadre national efficace assurant une approche coordonnée, participative, transparente (…) qui intègrent tous les acteurs du secteur public compétents pour les programmes et les politiques concernant le VIH ». De plus, dans le cadre de cette approche participative, des organes

559 Directives internationales sur le VIH/sida et les droits de la personne, supra note 241 à la p. 6.

560 Il s’agit du courant désigné en langue anglaise « health and human rights ». Les travaux réalisés par le

François Xavier Bagnoud Center de l’Université Harvard contribuent à documenter et à développer ce nouveau paradigme. Voir en ligne : François Xavier Bagnoud Center <http://www.fxbcenter.org/> (consulté le 31 août 2011).

561 Observation générale no 14, supra note 373 au para 3. 562 Ibid au para 12.

consultatifs doivent être créés qui seront composés de groupes professionnels, religieux, communautaires, des personnes vivant avec le VIH, etc563. Cette directive réaffirme l’obligation d’adopter une stratégie d’action, qui, comme nous l’avons vu, est rattachée au noyau dur du droit à la santé et qui est à réalisation immédiate et intègre dans sa réalisation, un principe transversal fondamental du droit à la santé; celui de la participation des personnes concernées564. La Directive 5 concerne l’adoption de lois antidiscriminatoires et autres lois qui protègent les groupes vulnérables, les personnes vivant avec le VIH et les personnes souffrant d’un handicap, contre la discrimination dans le secteur public et privé. Elle donne effet au principe de non-discrimination qui impose des obligations à réalisation immédiate aux États565. La Directive 7 est à l’effet que chaque État doit créer et soutenir des services d’assistance juridique dans le but de permettre aux personnes vivant avec le VIH d’accéder aux recours judiciaires ou administratifs le cas échéant. Cette obligation permet de donner effet à une composante primordiale du droit à la santé qui consiste à prévoir des voies de recours effectifs en cas de violation566. La Directive 8 vise à susciter des actions destinées à créer un environnement incitatif et habilitant pour les personnes vulnérables, en impliquant les personnes concernées. Cette obligation concrétise les actions requises afin d’éliminer les obstacles qui nuisent à l’accès aux soins, aux traitements, aux programmes de prévention et de soutien, et aux facteurs déterminants de la santé et pour donner effet à l’obligation de créer des services de santé adaptés et acceptables pour les personnes concernées567. Les Directives 10 et 11 quant à elles réitèrent l’importance des mécanismes de reddition compte et d’imputabilité. La Directive 10 envisage des modes de mise en œuvre plus informels qui peuvent, en raison de leur proximité avec les acteurs, entraîner des effets sur le terrain. Elle prévoit que la création de mécanismes destinés à la mise en œuvre concrète des droits de l’homme dans le contexte du VIH, et notamment du droit à la santé, par l’élaboration de normes et codes de conduite par les acteurs publics et privés engagés dans la lutte au VIH568 devrait être encouragée par l’État. La Directive 11, quant à elle, vise à ce que des données relatives au

563 International Guidelines, supra note 241 au para 13. 564 Observation générale no 14, supra note 373 au para 54. 565 Ibid aux para 18-19.

566 Ibid au para 59.

567 Ibid aux para 12 a), 12 c).

VIH soient incorporées dans le système de suivi et d’évaluation des droits humains, et en particulier, du droit à la santé et que les programmes et plans d’action en la matière intègrent les données ainsi obtenues569. Dans la perspective des Directives internationales, le suivi n’est pas qu’une procédure réservée aux experts, mais bien un processus qui intègre aussi la participation des personnes concernées :

Le suivi est un moyen indispensable de collecter des données, de formuler et revoir les politiques, et d’établir un ordre de priorité pour les changements à opérer ainsi que des repères pour mesurer les résultats obtenus. Le suivi devrait être tout à la fois positif et négatif, c’est-à-dire rendre compte des pratiques valables et offrir ainsi des modèles dont on puisse s’inspirer ailleurs tout en mettant en évidence les atteintes aux droits de l’homme. Le secteur non gouvernemental peut être très utile pour surveiller ces atteintes s’il est doté des moyens voulus car il entretient souvent des relations plus étroites avec les communautés touchées570.

Et de manière plus directement ciblée sur l’accès aux soins, traitements, programme de prévention et de soutien, la directive 6, révisée en 2002 pour réaffirmer qu’il s’agit d’un droit fondamental571, prévoit que :

(l)es (É)tats devraient promulguer des lois régissant la fourniture des biens et services et des informations liés au VIH de façon à assurer un large accès à des mesures et services préventifs de qualité, à des informations adéquates sur la prévention et le traitement du VIH et à des médicaments sûrs et efficaces d’un prix raisonnable.

Les (É)tats devraient également prendre les mesures voulues pour garantir à toutes les personnes, sur une base durable et équitable, la disponibilité et l’accès à des biens et services et des informations pour la prévention, le traitement, les soins et l’appui relatifs au VIH, et notamment aux traitements antirétroviraux et autres médicaments sûrs et efficaces, et aux moyens diagnostiques et technologies associées pour les soins préventifs, curatifs et palliatifs du VIH et des infections opportunistes et affections associées.

Les (É)tats devraient adopter ces mesures aux niveaux national et international, en portant une attention particulière aux personnes et populations vulnérables572

569 Ibid à la p 60. 570 Ibid à la p 62. 571 Ibid à la p 4.

Il s’agit là d’une manifestation explicite de la volonté de donner effet, in concreto, au droit à la santé, tel qu’il est défini dans l’Observation générale no. 14, dans ses dimensions à réalisation progressive et immédiate. Le par. 28 des Directives internationales l’exprime clairement :

L’accès universel à la prévention, au traitement, aux soins et à l’appui relatifs au VIH est un critère impératif du respect et de l’exercice des droits de l’homme au regard de la santé, notamment le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint. L’accès universel sera mis en place progressivement au fil du temps. Toutefois, les (É)tats ont l’obligation immédiate de prendre des mesures et d’avancer aussi rapidement et efficacement que possible vers la mise en place d’un accès pour tous aux services de prévention, de traitement, de soins et d’appui relatifs au VIH, tant au niveau national qu’international. Entre autres choses, cette action nécessite que soient définis des jalons et des cibles permettant de mesurer les progrès accomplis573.

On comprend du texte que l’accès universel aux soins, traitements, programme de prévention et de soutien puisse être une obligation à réalisation progressive, à l’échelle internationale – ce qui n’empêche pas qu’elle puisse s’imposer de manière immédiate aux pays disposant des ressources disponibles – et, que par ailleurs, l’inaction ne soit pas une option pour les acteurs concernés. On comprend aussi que l’adoption de jalons et de cibles destinés à mesurer les progrès accomplis et les actions à déployer en vue de l’accès universel doit se réaliser dans l’immédiat.

Si l’on reprend la typologie d’obligations employée dans l’Observation générale no. 14, pour analyser les Directives, l’obligation de respecter le droit à la santé dans le contexte de la lutte au VIH implique pour l’État de s’abstenir d’adopter ou de maintenir en vigueur des lois et pratiques qui contribuent à créer un environnement stigmatisant et discriminant pour les personnes vivant avec le VIH ou pour les personnes vulnérables au VIH ou qui posent toute autre forme d’obstacle à l’accès. On entend par là, les lois ou pratiques qui discriminent de manière directe, indirecte et systémique dans l’accès aux soins, traitements, programmes de prévention et de soutien et aux facteurs déterminants de la santé.

L’obligation de protection implique que l’État adopte les lois requises pour empêcher toute discrimination, stigmatisation à l’égard des personnes vivant avec le VIH ou vulnérables au VIH et toute autre forme de barrière dans l’accès aux soins, traitements, programme de prévention et de soutien ainsi qu’aux facteurs déterminants de la santé, de la part des acteurs privés. Conformément aux prescriptions du PIDESC, les obligations de respect et de protection, dans la mesure où elles sont liées à l’interdiction de discrimination sont toutes deux à réalisation immédiate574.

Finalement, l’obligation de mise en œuvre impose l’adoption de mesures particulières pour permettre l’accès aux modes de prévention (tels notamment les préservatifs, les lubrifiants, le matériel d’injection stérile, les tests de dépistage accompagnée de conseils pré et post test, la prophylaxie post-exposition)575, un approvisionnement en sang sûr576, un accès aux mesures de précautions universelles577, un accès libre et éclairé aux traitements antirétroviraux, autres médicaments nécessaires (pour le traitement du VIH et autres maladies opportunistes et autres affections578) et tests cliniques579, un accès aux vaccins et microbicides sûrs et efficaces, lorsqu’ils seront créés. Elle englobe aussi les mesures destinées à permettre l’accès à une bonne alimentation, un soutien social, spirituel et psychologique, des services de soins au niveau de la famille, de la communauté ou à domicile et, une planification qui orchestre le déploiement de ces biens et services et qui prévoit le suivi-évaluation, le tout en collaboration avec les organisations non gouvernementales580, dans le but de permettre la participation des personnes vulnérables ou vivant avec le VIH. Leur contribution est essentielle. Elle contribue notamment à faire en sorte que les biens et services soient adaptés, accessibles et acceptables pour elles-mêmes.

574 PIDESC, supra note 148 à l’art 2 (2); Observation générale no 14, supra note 373 aux para 18, 30. 575 International Guidelines, supra note 241 au para 144.

576 Ibid. 577 Ibid.

578 Ibid à la p 38. 579 Ibid à la p 199. 580 Ibid à la p 38.

De manière transversale, il ressort du texte des Directives que la non-discrimination et la participation des personnes marginalisées et vulnérables au VIH est une composante essentielle de la réalisation du droit à la santé dans le contexte de la lutte au VIH. En effet, à l’égard de ces populations, les barrières dans l’accès aux soins, aux traitements, aux programmes de prévention et de soutien et aux facteurs déterminants de la santé, sont très souvent reliés à des choix moraux et politiques et résultent de discrimination indirecte et systémique. Ainsi, tout obstacle à l’accès aux soins, traitements, programmes de prévention et de soutien résultant de la discrimination à l’égard de ces personnes constitue une violation de leur droit à la santé à l’égard de laquelle l’État a le devoir de remédier. Dans cette perspective, l’État a certes l’obligation d’adopter des lois anti-discriminatoires, mais ses obligations sont beaucoup plus larges. Elles englobent en effet une foule de mesures positives destinées à mettre fin à la discrimination, telles à titre d’exemple, la formation, l’information, l’éducation581.

On affirme aussi clairement dans le texte le rôle des organisations non gouvernementales582 dans la mise en œuvre des Directives internationales. Plus précisément, la section II porte sur leur diffusion et mise en œuvre par les différents acteurs concernés. Elle consacre une pleine sous section aux organisations non gouvernementales, aux mêmes titres que les États et les acteurs du système onusiens et organismes régionaux. On y encourage les partenariats avec les ONG de défense des droits humains et on reconnaît que leur contribution inclut la surveillance de l’application des Directives, mais englobe aussi d’autres activités, telles l’éducation et l’identification de meilleures pratiques et l’incorporation des Directives

581 Ibid à la p 56, directive 9.

582 La note 34 des Directives définit largement les organisations non gouvernementales : « Notamment les

organisations d’entraide et d’action contre le sida, les organisations communautaires, les réseaux régionaux et nationaux s’occupant de questions d’éthique, de droit et de droits de l’homme dans le contexte du VIH et les réseaux de personnes vivant avec le VIH. Ces réseaux comprennent non seulement des organisations non gouvernementales et des organisations d’entraide et d’action contre le sida mais aussi des membres de certaines professions (juristes, agents de santé publique, assistants sociaux, par exemple), des personnes vivant avec le VIH, des universitaires, des instituts de recherche et des personnes concernées. Les réseaux jouent un rôle important dans l’évolution des attitudes et la protection des droits de l’homme ». Ibid à la p 74.

dans leur propre plan d’action583. On voit donc aisément que les organisations non gouvernementales ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre du droit à la santé.

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