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Section 1. Les obstacles à la réalisation du droit à la santé

A. La criminalisation des personnes

1. Les travailleuses du sexe

En raison de la criminalisation de certaines activités reliées à la prostitution742, des pratiques policières et des décisions des juges qui sanctionnent les travailleuses du sexe, ces dernières sont plus vulnérables à la violence, aux agressions et aux risques de transmission du VIH743. Par exemple, en imposant aux travailleuses du sexe en état d’arrestation, comme condition à leur liberté, de respecter un quadrilatère - une zone géographique au sein de laquelle elles ne doivent se trouver sous aucun motif sous peine de sanction – les juges privent ces personnes des ressources de santé, de services et du soutien qui se situent dans les zones où elles travaillent normalement et qui sont souvent les seules à être véritablement accessibles et adaptées à leurs besoins744. La criminalisation accroît également la stigmatisation des travailleuses du sexe qui se manifeste dans la manière dont les soins de santé et le counselling

741 C’est notamment ce que vise à faire le mécanisme prévu à l’article 51 de la Loi sur la santé publique, LRQ

2001, c S-2.2.

742 Nous pensons aux articles 210 à 213 du Code criminel, LRC 1985, ch C-46.

743 Dans la décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario Bedford, il a été jugé que les articles 210, 212 (1)

f) et 213 (1) c) du Code criminel 2010 portent atteinte au droit à la sécurité des travailleuses du sexe prévu à l’article 7 de la Charte canadienne, Bedford v Canada, 2010 ONSC 4264. La décision a été en partie confirmée par la Cour d’appel qui a maintenu l’inconstitutionnalité des articles 210 et 212(1) f) seulement. Bedford, supra note 711. L’appel en Cour suprême du Canada a été entendu le 13 juin 2013. Voir aussi sur l’impact de l’environnement juridique sur la santé et la sécurité des travailleuses du sexe : Maria Nengue Mensah, Travail du sexe : 14 réponses à vos questions, Montréal, Stella, 2007; Glenn Betteridge, Sexe, travail, droits : réformer les lois pénales du Canada sur la prostitution, Toronto, Réseau juridique canadien sur le VIH/sida, 2005.

744 Voir le site Internet de l’organisme communautaire Stella : <http://www.chezstella.org/stella/?q=prison- actualite&PHPSESSID=d41a2feae15e52c0ec2335b40a0f2827> (consulté le 26 octobre 2011).

leurs sont offerts745. Comme le souligne Sylvie Gendron et Diane Deslauriers, les intervenants de la santé qui rencontrent des travailleuses du sexe concentrent leur attention sur les infections sexuellement transmissibles et problèmes gynécologiques associés au détriment d’une prise en compte de tous les aspects de santé physique et mentale qui sont pourtant de même importance746.

2. Les personnes utilisatrices de drogue injectable

Les personnes qui consomment des drogues sont vulnérables au risque de transmission du VIH et du virus de l’hépatite C (VHC) si elles partagent le matériel de consommation747. Elles sont aussi susceptibles de faire face à diverses complications de santé, telles les abcès, infections et surdoses, parfois mortelles. Le défaut de mettre sur pied des sites d’injection supervisée justifié sur la base de l’application et du respect du droit criminel, alors que par ailleurs, les études réalisées à Vancouver, pour documenter le centre Insite, démontrent leur pertinence et les effets positifs du point de vue de la santé des individus748, est injustifiable au plan de la santé publique et porte atteinte au droit à la santé, à la sécurité et à la vie des personnes utilisatrices de drogue injectable. La récente décision de la Cour suprême confirme d’ailleurs cette positition749. De plus, la criminalisation de la possession de drogue et les interventions policières à proximité des sites d’échanges de seringues, le cas échéant, ont pour

745 Colette Parent et Christine Bruckert, « Répondre aux besoins des travailleuses du sexe de rue : un objectif qui

passe par la décriminalisation de leurs activités de travail » (2005) 11:1 Reflets : revue d'intervention sociale et communautaire 112.

746 Sylvie Gendron et Diane Deslauriers, « La santé des travailleuses du sexe : plus qu'une question de sécurité au

travail! » (printemps 2003), en ligne : Stella <http://www.chezstella.org/stella/?q=node/168> (consulté le 26 octobre 2011).

747 Nous utilisons le terme « consommation » et non « injection » car le partage du matériel de consommation par

injection et par innhalation peut entraîner des risques de transmission de l’hépatite C ou du VIH, tel par exemple une pipe souillée utilisées sur des lèvres qui comportent des plaies.

748BD Marshall et al, « Reduction in Overdose Mortality after the Opening of North America's First Medically

Supervised Safer Injecting Facility: A Retrospective Population-Based Study » (2011) 377 The Lancet 1429; Evan Wood et al, « Summary of findings from the evaluation of a pilot medically supervised safer injection facility » (2006) 175 Canadian Medical Association Journal 11. Il existe aussi de nombreuses études dans le monde allant dans le même sens. Notamment en Suisse et en Australie.

749 PHS Community Services, supra note 440. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada conclut que le

défaut du ministre de la santé fédéral d’accorder une exemption à Insite porte atteinte au droit à la sécurité et à vie des personnes utilisatrices de drogue injectable de manière non-conforme aux principes de justice fondamentale, le tout, en violation de l’article 7 de la Charte canadienne.

effet d’accroître la clandestinité et les pratiques d’injection non sécuritaires. Également, le projet loi C-10750, adopté en mars 2012 et imposant de peines minimales obligatoires pour les infractions liées au drogue, instaure un régime ayant pour effet de vulnérabiliser davantage les personnes qui souffrent de dépendance à la drogue751, en les exposant notamment à des risques accrus de transmission en prison. Et puis, tout comme pour les travailleuses du sexe, la stigmatisation associée à la dépendance à la drogue et les préjugés qui en découlent ont aussi pour effet de nuire à une prestation de soins adaptée aux besoins des personnes.

3. Les personnes vivant avec le VIH

Le VIH a 30 ans. Au cours des trois dernières décennies, la recherche a permis des avancées extrêmement significatives au plan médical. Depuis 1996, les antirétroviraux sauvent des vies. Grâce au traitement, les personnes vivant avec le VIH qui y ont accès, vivent de plus en plus longtemps752. Ainsi, pour ces personnes, un diagnostic de VIH ne signifie plus la mort. La vie avec le VIH s’apparente alors à la vie avec une maladie chronique753. Ceci n’est pas sans soulever des problématiques de santé, telle le vieillissement chez les personnes vivant avec le VIH, mais aussi, des problématiques sociales complexes. En effet, dans la mesure où les antirétroviraux permettent aux personnes vivant avec le VIH d’avoir une vie active, ces dernières travaillent, ont des loisirs, une vie amoureuse, sexuelle. Elles consultent médecins, dentistes, massothérapeutes, esthéticiennes et autres professionnels comme toute autre personne. Or, de toute évidence, et de manière contrastée par rapport à l’optimisme qui prévaut dans les sciences fondamentales, en général, la société continue d’entretenir des représentations dépassées du VIH, ce qui se traduit dans de multiples formes

750 Loi sur la sécurité des rues et des communautés LRC 2012, ch 1.

751 Voir sur cette question, Réseau juridique canadien VIH/sida, Mémoire présenté au Comité sénatorial

permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, au sujet de l’étude du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d’actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l’immunité des États, le Code criminel et d’autres lois, Ottawa, février 2012, en ligne : Réseau juridique canadien VIH/sida <http://www.aidslaw.ca/publications/interfaces/downloadFile.php?ref=1997> (consulté le 7 juin 2013).

752 Margaret May et al, « Impact of late diagnosis and treatment on life expectancy in people with HIV-1: UK

Collaborative HIV Cohort (UK CHIC) study » (2011) 343 BMJ d6016.

753 En utilisant cette nomencalture, nous ne sous-estimons en rien le poids de cette maladie, ni le fait que si les

ressources requises sont fournies, les contaminations peuvent être réduites par les efforts de prévention. Voir sur cette question Peter Piot, Le sida dans le monde, Paris, Collège de France, 2011.

de stigmatisation, de discrimination, insidieuse ou affichée754. Cette stigmatisation et discrimination sociale et/ou institutionnelle qui se ressent en emploi, dans l’accès aux soins755 et aux services et dans les rapports interpersonnels sont exacerbées par un environnement juridique qui, en dépit de la position d’ONUSIDA dénonçant l’utilisation arbitraire du droit criminel en matière d’exposition au VIH756, continue de criminaliser l’exposition au risque de transmission du VIH en l’absence de dévoilement. Or, cette criminalisation, susceptible de s’appliquer à des situations où le risque de transmission est peu significatif, voire inexistant757 peut avoir pour effet de nuire aux efforts de prévention et de dépistage758. De plus, cette criminalisation, qui s’applique sans tenir compte des contextes sociaux empêchant les personnes vivant avec le VIH de dévoiler leur statut sérologique759, a un impact sur la relation entre les professionnels de la santé et les personnes vivant avec le VIH760. Les professionnels de la santé sont confus quant au droit applicable761, qui est en effet peu clair à certains

754 Les multiples campagnes de sensibilisation de la COCQ-Sida visent à s’attaquer à cette stigmatisation. Nous

pensons notamment à la plus récente, «Si j’étais séropositif ». Voir en ligne : COCQ-Sida <http://www.cocqsida.com>.

755 Voir la récente enquête réalisée par la COCQ-sida sur l’accès aux soins dentaires des personnes vivant avec le

VIH au Québec qui met à jour diverses formes de discrimination. Stéphanie Claivaz-Loranger, Riyas Fadel et Mélina Bernier, dir, Accès aux soins dentaires pour les PVVIH, COCQ-sida, en ligne : COCQ-Sida <http://www.cocqsida.com/assets/files/2.dossiers/Vers%20un%20acces%20aux%20soins%20dentaires%20sans %20discrimination%20pour%20les%20PVVIH_mai%202012.pdf>.

756 Richard Elliott, Criminal Law, Public Health and HIV Transmission : A Policy Options Paper, Genève,

ONUSIDA, 2002.

757 Le récent jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mabior impose maintenant aux PVVIH de

dévoiler leur statut sérologique avant d’avoir un rapport sexuel impliquant une « possibilité réaliste de transmission du VIH » à défaut de quoi, un individu peut être poursuivi pour agression sexuelle grave. Ce nouveau test élaboré par la Cour, maintient de nombreuses questions irrésolues. Néanmoins, « (à) l’heure actuelle, le seul acte sexuel que la Cour ait reconnu comme n’impliquant pas de possibilité réaliste de transmission du VIH est la pénétration vaginale lorsque (1) un condom est utilisé; ET (2) que la charge virale de la personne séropositive est faible ou indétectable ». Réseau juridique canadien VIH/sida, La non-divulgation du VIH et le droit criminel : analyse de deux récentes décisions de la Cour suprême du Canada, Toronto, 2012, en ligne : <http://www.aidslaw.ca/publications/publicationsdocFR.php?ref=1330> (consulté le 3 juin 2013). Mabior, supra note 711.

758 Il s’agit de la position défendue par tous les organismes de personnes vivant avec le VIH, organismes

communautaires, associations et organisations non gouvernementales impliqués dans la lutte au VIH. Voir aussi Eric Mykhalovskiy et Glenn J Betteridge, HIV Non-Disclosure and the Criminal Law: Establishing Policy Options for Ontario, Toronto, Catie, 2011 à la p 50 (ci-après « HIV Non-Disclosure and the Criminal Law »).

759 Ibid à la p 49.

760 Voir sur le rôle des infirmières dans le contexte de l’application du droit criminel, Marilou Gagnon, « Toward

a Critical Response to HIV Criminalization: Remarks on Advocacy and Social Justice » (2011) 23:1 JAFA 11 à la p 11. L’auteure remercie la professeur Gagnon qui a aceepté de lui transmettre une copie du texte avant sa publication.

égards762. Cette confusion et la crainte des poursuites (de leurs patients et certainement d’eux- mêmes) peut induire les professionnels à conseiller l’adoption de pratiques qui vont au delà des standards imposés par le droit763 et peut porter atteinte au climat de confiance nécessaire à un counselling de qualité, fondamental dans la réduction des prises de risques764. Par exemple, Mikhlavoskiy et Betteridge rapportent : « A physician echoed her concerns, noting the likelihood that some of his patients do not seek out needed support because of concerns about the legal consequences of being open about the limits of their own disclosure »765. Pour toutes ces raisons, il semble clair que la criminalisation de l’exposition au VIH en cas de non dévoilement du statut sérologique est un mauvais choix en termes de politique publique, un choix qui stigmatise, vulnérabilise, marginalise les personnes, au détriment des efforts de santé publique, et qui complexifie l’accès aux soins et services adaptés aux besoins.

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