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Section 1. Le silence des chartes canadienne et québécoise en matière de droit à la santé

A. La Charte canadienne des droits et libertés

La Charte des droits et libertés a été intégrée à la Constitution canadienne en 1982, lors du rapatriement de la Constitution qui a permis d’établir l’indépendance du système juridique canadien par rapport à la couronne britannique613. À l’époque, la culture juridique canadienne était influencée par le mouvement américain de défense des droits civiques et par l’édification du système international de protection des droits de l’homme dans lequel le Canada était directement impliqué614. L’impulsion en faveur de la Charte a été donnée par Pierre Elliott Trudeau alors qu’il était premier ministre et qu’il défendait le projet d’une « société juste »615. Sur la question de l’intégration des DESC à la Charte, le Comité conjoint spécial du Sénat et de la Chambre des communes chargé de la rédaction du texte était favorable et suggérait une référence explicite aux DESC à l’article 36 de la Charte616. Sous réserve de certains droits culturels617, il fût plutôt décidé, conformément aux positions des experts en droits humains et des groupes de pression, de définir les droits, notamment le droit à l’égalité, de manière suffisamment large pour y englober les DESC618. « The Charter could then be applied to require governments to take positive action to adress the needs of vulnerable groups, to remedy systemic inequality, and to maintain and improve social programs on which the enjoyment of equality and other Charter rights depends »619.

613 David Wiseman, supra note 464 à la p 175.

614 Bruce Porter et Martha Jackman, Internatinonal Human Rights and Strategies to Address Homelessness and

Poverty in Canada : Making the Connection, Ottawa, University of Ottawa Institute for Population Health/Social

Rights Advocacy Centre, 2011 à la p 2, en ligne : Université d’Ottawa

<http://www.commonlaw.uottawa.ca/index.php?option=com_content&task=view&Itemid=286&id=1145&lang= fr> (consulté le 18 avril 2012). Pour plus de détails sur l’impact de ce contexte sur la culture juridique de cette époque, voir Bruce Porter, « Expectations of Equality », (2006) 33 Sup Ct L Rev 23 aux pp 23-35.

615 Pierre Elliott Trudeau, « Des valeurs d'une société juste», dans Thomas S Axworthy et Pierre Elliot Trudeau,

dir, Les années Trudeau : La recherche d'une société juste, Montréal, Le Jour, 1990, 381 à la p 382.

616 Special joint committee of the Senate and the House of Commons on the Constitution of Canada, Minutes of

Proceedings and Evidence, 32e parl, vol 49 (30 janvier 1981) à la p 65, cité dans Bruce Porter et Martha Jackman,

supra note 614 à la p 3.

617 David Wiseman, supra note 464 à la p 186. Sur la protection des droits culturels en vertu de la Charte

canadienne, voir David Robitaille, « Les droits sociaux et culturels constitutionnels et quasi constitutionnels au Canada : une construction inachevée » dans Marc Verdussen, dir, Les droits culturels et sociaux des plus défavorisés, Bruylant, Bruxelles, 2009, 85 [« Les droits sociaux et culturels constitutionnels et quasi constitutionnels au Canada].

618 Bruce Porter et Martha Jackman, supra note 614 à la p 3. 619 Ibid à la p 2.

Dans cette perspective, l’article 15 de la Charte d’adord désigné sous le vocable de droit à la non-discrimination, fut renommé « droit à l’égalité » pour rendre compte de son champ d’application large620. Cet article prévoit que la loi « ne fait exception de personne et s'applique également à tous »621 et que « tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendemment de toute discrimination notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques »622. L’emploi de ces termes, « was intended to ensure that equality rights applied to social benefit programs, such as welfare and unemployment insurance, and that positive obligations of governements toward disadvantaged groups were constitutionnaly recognised and affirmed »623. De plus, le Canada fût le premier de toutes les démocraties constitutionnelles du monde à intégrer dans la liste des motifs prohibés de discrimination les déficiences mentales ou physiques624.

L’article 7 de la Charte, qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité et l’interdiction d’y porter atteinte si ce n’est en conformité avec les principes de justice fondamentale, fut aussi rédigé avec ce souci de permettre une ouverture vers les valeurs rattachées aux droits économiques et sociaux625.

En résumé, la Charte canadienne n’inclut de manière expresse aucun DESC. Au strict plan formel, et comparativement à des pays qui intègrent explicitement les DESC dans leur

620 Canada, The Sub-Committee on Equality Rights of the Standing Committee on Justice and Legal Affairs,

Written Submissions, Submission of the Canadian Bar Association, cité dans Bruce Porter, « Twenty years of equality rights: Reclaiming Expectations » (2005) 23 Windsor YB Access Just 145, n 83 [Reclaiming Expectations].

621 Charte canadienne des droits et libertés, supra note 440 à l’art 15. 622 Ibid.

623 Bruce Porter et Martha Jackman, supra note 614 à la p 3; Bruce Porter, « Expectations of Equality », supra

note 614 à la p 23.

624 Ibid, qui renvoie plus généralement sur cette question à Yvonne Peters, « From Charity to Equality :

Canadians with Disabilities Take Their Rightful Place in Canada’s Constitution » dans Deborah Stienstra, Aileen Wight-Felske et Colleen Watters, dir, Making Equality : History of Advocacy and Persons with Disabilities in Canada, Concord (Ont), Captus Press, 2003, 119; M David Lepofsky, « A Report Card on the Charter’s Guarantee of Equality to persons with Disabilities after 10 years : What Progress? What Prospects? » (1998) 7 NJCL 263. En vertu de la Charte québécoise et des lois provinciales de protection des droits de l’homme, le motif de handicap englobe l’infection, même asymptomatique au VIH. Voir Hamel c Malaxos, (1994) RJQ 173, 20 CCLT (2e) 272 (CQ civ (div pet cré)).

625 Bruce Porter et Martha Jackman, supra note 614 à la p 4. La décision Canada c PHS Community Services,

Constitution, telle notamment l’Afrique du Sud, les DESC, en tant que droits fondamentaux de la personne, ne jouissent d’aucune reconnaissance en droit constitutionnel canadien. L’historique du processus de rédaction de la Charte nous permet toutefois de voir dans ses dispositions626, et en particulier les articles 7 et 15, des points d’ancrage juridique pouvant, par la voie de l’interprétation des tribunaux, donner effet aux DESC. Nous y reviendrons627.

Cela étant, l’absence de tout énoncé performatif spécifique aux DESC, et en particulier au droit à la santé, dans la Charte a certainement un impact, aux plans instrumental et symbolique, sur la connaissance, la reconnaissance et les représentations collectives des DESC en tant que droits fondamentaux. Comme le précise Christine Fauré, l’acte performatif est un «acte de langage qui, par sa seule énonciation, transforme une situation donnée »628. Privé de ce caractère autoréférentiel, les DESC souffrent au Canada d’un silence qui les maintient dans la marginalité. Sur ce point, la Charte canadienne s’est éloignée, de la Charte des droits et libertés de la personne déjà en vigueur au moment de sa création et qui contenait tout un chapitre réservé aux droits économiques et sociaux.

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