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DANS LE BASSIN VERSANT DE MEJERDA

4.3 Les niveaux saisonniers de l’évapotranspiration potentielle

Partout dans le BV de la Mejerda, les totaux de l’ETP à l’échelle saisonnière se caractérisent par une grande diversité aussi bien spatiale que temporelle.

4.3.1 En automne

La figure 49a permet de saisir que les cumuls automnaux de l’ETP oscillent entre 270 et 340mm, soit un palier journalier de 3 à 3,8 mm. Les noyaux qui enregistrent les totaux élevés sont localisés globalement à la dépression de Jendouba (331,1 mm), la vallée de oued Siliana (295,3 mm) et les secteurs allant de Tala (298,1mm) à la haute vallée de oued Mallègue (environ 300 mm). À l’exception de Tala, tous ces secteurs sont des bas-fonds caractérisés, généralement, par des températures élevées et une humidité relative de l’air faible, ce qui favorise le pouvoir évaporant de l’atmosphère. En revanche, les secteurs occupés par les faibles totaux de l’ETP se situent sur les massifs de la Kroumirie, l’axe topographique qui relie l’ensemble des Jbels au Kef vers les monts de Téboursouk au sud du barrage de Sidi Salem et les sommets de la Dorsale (Jbel Berino, Jbel Serij, Jbel Bargou…). Dans ces sommets la variation est très faible dans la mesure où l’écart absolu ne dépasse pas 20 mm et l’ETP varient de 270 à 290 mm. Ces faibles valeurs sont liées à l’effet de l’altitude, car l’ETP perd son intensité avec ce facteur. C’est ainsi que le long des versants nord de la région on observe les faibles valeurs de l’ETP, parce qu’ils sont exposés aux courants humides du Nord-Ouest. À son tour, la façade littorale du B.V de la Mejerda, essentiellement, aux environs de la Lagune de Ghar Melh enregistre les ETP minimales 278,2 mm de toute la saison, ceci est dû à la proximité de la mer qui joue un rôle de rafraichisseur du pouvoir évaporant du climat.

Du reste, la grande variation spatiale des cumuls de l’ETP en automne dans les zones Nord et Nord-Ouest du B.V de la Mejerda est justifiée par l’effet du relief accidenté qui caractérise cette partie de la région. Dans cette partie de la région, l’écart moyen peut s’élever à 60 mm. De ce fait, le topo climat est très favorable à une variation importante des paramètres climatiques conditionnant l’ETP, en particulier les températures et les vents. Ainsi, lorsque la rugosité de surface augmente, le transport turbulent, le principal processeur responsable de l’échange de vapeur d’eau entre la surface évaporante et l’atmosphère, devient très actif ce qui favorise l’irrégularité de l’ETP (Zhang et al., 1999). En ce qui concerne la dégradation latitudinale de l’ETP, elle est étroitement liée aux capacités radiatives qui

114 déterminent ce gradient. En effet, l’intensité du rayonnement global a tendance de se renforcer et la durée de l’insolation prend de l’ampleur à mesure que la latitude décroit (Hachicha., 1999 ; Mjejra., 2005). De plus, l’effet de la latitude peut aussi s’étendre à l’humidité de l’air (Ben Boubaker., 2000), l’un des paramètres de calcul de l’ETP. Avec tous ces facteurs on ne peut aboutir qu’à un gradient Nord-Sud de l’ETP.

De même, le début de la manifestation des perturbations climatiques du Nord-Ouest et/ou du nord accompagnées des pluies orageuses, la baisse et la hausse des températures et des vents variables en force et en direction, sont à l’origine de la variation de l’ETP dans la mesure où cette condition perturbe le rythme du pouvoir évaporant du climat. Enfin, la plaine de la basse Mejerda se distingue par une chute des cumuls de l’ETP de 311,1 mm à Borj Amri et 278,2 mm Ghar Mellh, malgré la courte distance entre les deux stations environ 56 km à vol d’oiseaux. Cette intensité de l’ordre de 32,9 mm s’explique par l’effet de la mer qui joue un rôle modérateur du bilan thermique principal facteur de l’évapotranspiration. À propos de l’effet de la proximité de la mer Ben Boubaker (2000) écrit « en automne, les températures restent douces. La mer cède de la chaleur à un air plus frais. Mais, les contrastes terre/mer

restent peu accusés ».

4.3.2 En hiver

En hiver les cumuls de l’ETP subissent une chute remarquable dans la mesure où on enregistre les valeurs les plus faibles de toute l’année à titre d’exemple 108,9 mm à Ghar Melh et 132,4 mm à Borj Amri, un moyen journalier de l’ordre 1,2 mm et 1,5 mm. La répartition géographique de l’ETP hivernale est distinguée dans l’ensemble par le décalage des noyaux élevés dans la plaine de Jendouba progressivement pour gagner les dépressions de Siliana (figure 49b). Les valeurs de l’ETP diminuent sensiblement, suivant un axe Nord-Ouest Sud-Est à l’inverse de celui de l’automne, des versants sud de la Kroumirie vers les versants nord de la Dorsale respectivement 125,3 à Jendouba et 130,3 à Siliana. Cette saison enregistre aussi l’écart le moins élevé entre les minima et maxima des totaux de l’ETP dans la mesure où il ne dépasse pas 30 mm. Cela témoigne de la faible variation spatiale de l’ETP de cette saison dans le BV de la Mejerda. Cependant ce résultat peut cacher à son tour une diversité entre les différents secteurs de la région. En effet, la forte variation spatiale est observée dans le versant de la Dorsale au niveau de la station de Tala, où nous avons enregistré un écart de 25,3 mm (les sommets de Jbel Serij et Jbel Bargou, 105 mm contre 130,3 mm à Siliana). Vers l’ouest, dans les plateaux du Haut Tell la variation spatiale de l’ETP n’est que de 5,2 mm (Tala 120,2 mm et Kef 115 mm). Cela dit que la variation des cumuls de l’ETP est plus remarquable dans la moyenne Mejerda mais elle est négligeable dans la haute Mejerda. Ce tracé de la répartition de l’ETP est lié, en grande partie, à la durée d’insolation et l’humidité relative de l’air. En effet, la moyenne Mejerda reçoit plus d’insolation et moins d’humidité de l’air en hiver que la haute et la basse Mejerda (Mustapha Mjejra., 2005). C’est pour cette raison que le pouvoir évaporant devient plus important au milieu du B.V de la Mejerda que les parties est et ouest, dans la mesure où l’humidité élevée de la façade littorale et la fréquence des situations atmosphériques perturbées du Nord-Ouest, constituent des facteurs défavorables à l’ETP.

115 Toutefois, la convergence des noyaux forts de l’ETP, globalement, vers les bassins intra-telliens et en dehors des hautes terres de Tala, souligne que cette région représente « une limite climatique » entre le littoral et l’intérieur dans le BV de la Mejerda. Cette limite montre que l’opposition littoral/intérieur qui nous est apparue à diverses reprises, n’est pas systématique. De ce fait, les secteurs abrités au milieu du BV de la Mejerda détiennent les totaux de l’ETP les plus élevés étant donné qu’ils sont très favorables à l’évaporation puisqu’ils sont également à l’abri des situations perturbées du Nord-Ouest. Ceci confirme que plusieurs facteurs interviennent, non pas de la même ampleur, dans la spatialisation de l’ETP hivernale. C’est ainsi que les régions de l’extrême Nord-Ouest sont plus arrosées, avec une réduction des heures de l’insolation d’environ 32% par rapport à l’automne (une diminution de 600 heures à 400 heures d’insolation). Ceci pouvant avoir moins de pertes d’eau par évapotranspiration. Sur les façades littorales c’est plus tôt l’humidité relative de l’air qui détermine les faibles cumuls de l’ETP. À titre d’exemple la station de Ghar Melh enregistre une humidité relative assez élevée de l’ordre 80,4% (cf. chapitre 3 de la première partie). L’humidité relative de l’air « atténue les amplitudes thermiques, la radiation solaire et

l’évaporation » (Hammami O., 2010).

En revanche, les hautes terres de Tala, sans tenir compte de la surévaluation des valeurs par la formule de Peman-Monteith, enregistrent les records de l’ETP hivernale dans le BV de la Mejerda. Cette configuration est influencée par l’effet de facteurs radiatifs (l’effet de la radiation) et ceux aérodynamiques (vitesse de vent) Chonget al., 2005. En effet, les surfaces élevées reçoivent plus de radiation que les surfaces les plus basses, ces mêmes surfaces sont plus ventées, ce qui active l’évaporation en hiver. Ces mêmes valeurs de l’ETP s’expliquent aussi par l’effet de la latitude à mesure que les facteurs accélérant la vitesse de l’évapotranspiration ont tendance à s’intensifier (radiation solaire, les températures et humidité relative de l’air).

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Figure 49: Les totaux saisonniers de l’ETP dans le BV de la Mejerda (2000-2011), (a) automne, (b) hiver, (c) printemps et (d) été.

117 4.3.3 Au printemps

Avec l’entrée du printemps un accroissement général de la demande évaporative se fait constater dans le BV de la Mejerda (figure 49c). Les pixels d’égales valeurs de l’ETP varient entre 300 et 380 mm, 3,3 à 4,1 mm par jour avec un écart absolu entre les valeurs maximales et minimales de l’ordre de 80 mm. Ces pixels prennent les allures suivantes :

Les ETP élevées s’installent dans les régions abritées de la Mejerda et les hautes terres de Tala. Dans les régions abritées elles englobent, essentiellement, les stations de Jendouba et Siliana où les valeurs varient de 356,7 à 359,7 mm. Cette répartition peut être liée à des flux chauds, en général, d’origine saharienne et parfois du Nord. Ces vents, en descendant, les versants accentuent la chaleur et la sècheresse. En outre, pendant le mois de mai ces stations sont situées à l’abri du vent de Sirocco44 qui se caractérise, globalement, par une demande évaporative importante, une faible humidité relative de l’air et des températures élevées ce qui augmente les quantités de l’évapotranspiration. Quant aux hautes terres de Tala l’ETP varie entre 360 mm et 380 mm. Ces fortes pertes en eau sont en rapport avec l’effet de la continentalité dans la mesure où le pouvoir évaporant de l’atmosphère augmente en même temps qu’on se dirige vers le sud-ouest de la région.

Les faibles ETP règnent, comme d’habitude, sur les massifs de la Kroumirie, l’ensemble des collines allant du Kef vers les monts de Teboursouk et le delta de la Mejerda. Dans ces secteurs les valeurs diminuent rapidement pour atteindre 310 à 320 mm. Une telle répartition spatiale est corrélée avec l’effet de la mer, qui tend à adoucir les températures, et ce pour le delta. Quant à la situation dans les secteurs montagnards situés au Nord-Ouest du BV de la Mejerda, elle est liée, plutôt, à la fréquence des types de temps perturbés et la position en latitude.

La variation spatiale de l’ETP est nettement marquée dans l’ensemble du Haut Tell où la topographie est accidentée. En effet, les écarts entre les minima et les maxima peuvent atteindre 70 mm au printemps. Ce schéma est lié à l’effet de la rugosité des surfaces. Elle constitue un facteur déterminant de la variation spatiale du climat, même à courte distance (Ben Boubaker., 2000 ; Musy et al., 2014). Par ailleurs la faible variation de l’ETP est observée au delta de la Mejerda où les écarts entre les faibles et les fortes valeurs ne dépassent pas 30 mm (Borj Amir 331,8 mm et Cherfech 359,5 mm). La situation dans le Haut Tell et le delta de la Mejerda témoigne nettement la configuration de l’opposition littoral/intérieur.

Il est à signaler que la configuration des pixels d’égales valeurs de l’ETP est fort significative. Elle met en valeur un contraste caractéristique de la spatialisation du climat Tunisien. En effet, les deux grands axes montagnards sub-parallèles, la Kroumirie au nord et la Dorsale au sud, constituent le facteur, du premier degré, topo-climatique de la représentation des traits essentiels de la spatialisation de l’ETP dans le BV de la Mejerda. À

44 Le Sirocco : « vent soufflant sur le sud de la Méditerranée occidentale. C’est un vent de secteur sud, relativement faible, très chaud et sec ». Gérard Beltrando et Laure Chémery (in Larousse climat., 1995).

Le Sirocco est vent très chaud et très sec. Il est le plus fréquent et le plus persistant en Tunisie. Il se caractérise par des températures extrêmes varient entre 42° et 49,5° et une chute de l’humidité relative où le minimum absolu par temps de sirocco est de 9% à Tala, Jendouba… (Henia et al., 1997).

118 l’échelle locale l’effet du site parait jouer un rôle décisif pour complété le schéma régionale de l’ETP dans la région étudiée.

4.3.4 En été

En été, l’ETP est importante puisqu’elle représente environ 50% du total annuel. Les cumuls de l’ETP varient, globalement, de 550 à 690 mm, soit 6 mm à 7,5 mm par jour et l’écart entre les maxima et les minima s’élevé à 140 mm dans l’ensemble du BV de la Mejerda. Cet écart est le plus élevé de toutes les saisons, en fait, il croît en parallèle avec l’augmentation des cumuls de l’ETP, pour atteindre son maximum en été. Cela s’explique par le fait que les facteurs radiatifs sont très actifs (radiation solaire, insolation, température) pour accélérer le rythme de l’évapotranspiration. Durant l’été, la chute des niveaux de l’ETP des environs de Tala où le sol est à nu vers les secteurs de la Kroumirie où la végétation est assez dense, devient très prononcée (figure 49d). Parce que l’albédo des surfaces conditionne la part du rayonnement absorbé par la végétation, à titre d’exemple « le fait de passer d’un albédo de 0,05 (forêt sombre) à un albédo de 0,3 (sol sec) augmente l’ETP calculée selon la

formule de Penman d’environ 20% pour un mois de juillet à Paris » (Cosandey et al., 2012).

Cette considération est similaire au BV de la Mejerda, puisqu’on passe des forêts relativement denses au nord vers des sols secs et nus au sud.

Les ETP estivales enregistrent une hausse remarquable par rapport à celles observées au printemps. Par exemple cette hausse dépasse 300 mm à Jendouba et Siliana. À cet effet, la vallée de la Mejerda au niveau de Jendouba enregistre le maximum de l’ETP 684,6 mm. Par la suite l’ETP diminue sensiblement vers la côte pour atteindre 586,1 mm à Ghar Melh. Plus au sud, en particulier, dans les terres telliennes et la rive droite de la moyenne Mejerda les valeurs de l’ETP varient entre 678,3 mm à Tala et 669,6 à Siliana. La variation spatiale de l’ETP est beaucoup plus considérable dans les limites nord du BV de la Mejerda que dans ses limites Sud. Enfin l’opposition littoral/intérieur est plus nette, surtout entre Tala et Ghar Melh, dans la mesure où on enregistre un écart entre ces deux stations de 92,2 mm. Sur la figure 49d on remarque que les monts de Teboursouk et les environs du barrage de Sidi Salem interviennent comme obstacle pour faire glisser l’axe des fortes ETP (Jendouba-Borj Amri) un peu plus vers le sud, c’est-à-dire vers les piémonts de la Dorsale. C’est ainsi que l’effet de barrage comme modérateur des températures et la recharge de l’atmosphère par la vapeur d’eau pouvant entrainer une diminution de l’ETP. En outre, l’effet de l’altitude explique la faible ETP sur les sommets des montagnes.

Toutefois, la forte ETP est en rapport avec plusieurs facteurs radiatifs atmosphériques. En effet, la fraction du rayonnement solaire atteint son maximum (55% à Béja et 57% à Tala), les durées d’insolation son très longues, rapprochent de la durée théorique du jour (10,5h à Béja et 11,3 à Tala) et de la température maximale moyenne du mois d’août peut atteindre 36°C dans les bassins-intra telliens. « Dans ces conditions le

pouvoir évaporant du climat est maximal » (Henia L, sous Dir., 2008). De plus, 65% des

jours de l’été sont marqués par la fréquence des situations non perturbées (Henia L ., 1977). Dans le même ordre d’idée, la masse d’air continental saharien, qui règne sur la Tunisie durant l’été en représentant 40,4 % de l’effectif total des jours, traduit l’effet du Sirocco sur les bassins inter-telliens et par conséquent des températures très élevées ( Melki T., 1996). La

119 conjugaison de ces facteurs résulte d’une demande évaporative exceptionnelle et par conséquent des totaux de l’ETP énormes. Aussi, le gradient latitudinal de l’ETP mérite d’être expliqué. En été, la partie nord du B.V de la Mejerda est sous l’influence des vents frais du secteur Nord-Ouest qui contribuent à diminuer le pouvoir évaporant du climat (Bousnia A., 2001). En revanche, la fréquence du Sirocco en été sur les versants nord de la Dorsale, engendre une accélération d’évaporation dont on enregistre, à titre d’exemple, plus que 19 jours de Sirocco à Siliana (Al Manach publication de l’INM., 2002).

En somme, à l’échelle saisonnière les nuances de la répartition spatiale de l’ETP soulignent d’une part l’opposition Nord/Sud et littoral/intérieur des cumuls de l’ETP et d’autre part l’ampleur des facteurs radiatifs, atmosphériques et topographiques. L’échelle annuelle, quant à elle, figure une répartition caractéristique de l’ETP avec un noyau alentour de la vallée Mejerda au niveau de Jendouba. Dans cette optique, nous pouvons souligner que la répartition géographique de l’ETP est donc plutôt liée aux conditions climatiques locales qu’aux conditions régionales.