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3. Matériel et méthodes

4.7. Les modes de dispersion de la régénération

Dans ce chapitre, nous allons utiliser les types de dispersion des espèces pour mieux comprendre les modifications du peuplement de la régénération. L’attribution d’un mode de dispersion pour une espèce nécessite un gros travail d’observation sur le terrain pour recenser les vecteurs possibles. De plus, pour les espèces ingérées par des animaux, des études sur l’influence de la digestion sur le potentiel de germination des graines sont nécessaires. Parallèlement, des travaux récents en forêt tropicale, et en particulier dans des fragments forestiers, ont montré l’importance des disperseurs secondaires comme vecteurs de la colonisation de nouveaux sites. Ainsi, nos choix d’attribution d’un mode de dispersion aux espèces que nous avons recensé peuvent être encore sujets à discussion et à critiques. Nous avons rappelons le, défini six modes de dispersion dans la partie 3.4.2.3. Conscient de ces biais qui limitent la portée de nos résultats, nous nous contenterons de traiter ces données de manière plus simplifiée que nous ne l’avons fait pour les données biologiques précédentes, nous limitant à y chercher des tendances.

4.7.1. Présentation des données

D’après les 53 relevés présentant un total de 14'444 individus sub-adultes, la répartition des espèces en six stratégies de dispersion des graines est présentée au Tableau 43 suivant.

Tableau 43 : Distribution des espèces et des individus des 53 relevés en fonction des six modes de dispersion.

Nous constatons que le mode de dispersion Zoo-mam (zoochorie réalisée par des mammifères) est majoritaire dans nos relevés avec 33% des espèces et plus de 40% des individus. Les autres modes de stratégies présentent une certaine homogénéité avec des valeurs allant de 10 à 16% des espèces recensées. Pour les individus les proportions sont plus accentuées avec par exemple 40% d’individus Zoo-mam contre seulement 5% d’Anémo-court (anémochorie à courte distance). Il ressort clairement que les modes de dispersion impliquant un vecteur animal dominent le peuplement de régénération.

En regroupant nos modes de dispersion en trois classes, nous obtenons 65,3% d’espèces dispersées par des animaux, 22,6% par le vent et 12,1% de barochores. Des travaux en Amérique Centrale sur les spectres de dispersion des espèces dans des fragments entourés de zones de pâturages (Martinez-Garza & Gonzalez-Montagut 1999) ont révélé une proportion similaire avec 61% pour de zoochorie.

Ce résultat montre que dans les fragments et les témoins que nous avons inventoriés, plus de 65% des espèces et plus de 75% des individus sont directement dépendants d’un vecteur animal pour assurer leur dispersion ce qui est une étape importante de leur régénération.

4.7.2. Comparaisons avec la forêt continue

Nous allons maintenant mettre en parallèle les données des 792 placeaux de 100m2 effectués dans les fragments et les massifs forestiers témoins. Le Tableau 44 et le Tableau 45 présentent les résultats des comparaisons effectuées entre les deux origines des placeaux pour les Sub-adultes. La Figure 45 représente ces comparaisons.

Tableau 44: Comparaisons du nombre d’espèces par placeau pour les six modes de dispersion entre les fragments et les témoins, pval probabilité des tests de comparaison F (variances) et t (moyennes) avec la correction de Satterthwaite appliquée.

Nombre d’espèces Fragments Tableau 45: Comparaisons du nombre d’individus par placeau pour les six modes de dispersion entre les fragments et les témoins, pval probabilité des tests de comparaison F (variances) et t (moyennes) avec la correction de Satterthwaite appliquée.

Nombre d’individus Fragments Nous observons que la majorité des variances du nombre d’espèces et d’individus des six modes de dispersion sont supérieures dans les fragments forestiers. Les nombres d’espèces observées dans les fragments, répartis entre les six modes de dispersion, sont toujours significativement plus élevés que dans les témoins. La différence la plus importante est liée au mode de dispersion ornithochore avec un accroissement dans les fragments de 177% du nombre d’espèces et de 245% du nombre d’individus.

La différence entre les témoins et les fragments est également très significative pour les anémochores longue distance avec des hausses de 113% des espèces et de 107% des individus. Les espèces (+73%)

et individus (+140%) barochores sont également bien stimulés par la fragmentation. Les différences les plus faibles concernent les modes de dispersion anémochorie courte distance et zoochorie par les mammifères avec une augmentation allant de 31% et 2% seulement du nombre d’individus.

Figure 45: Distributions des modes de dispersion en nombre d’espèces et d’individus entre les fragments et les témoins, les * indiquent la pval des comparaisons, ns non significatif, * < à 0,05 et *** < à 0,001.

Avec cette approche globale nous pouvons déjà constater que par rapport aux témoins les fragments présentent un peuplement de régénération représentant plus d’espèces et d’individus issus de phénomène de dispersion à longue distance. Les oiseaux peuvent en effet disperser des graines sur

des distances assez importantes de la même manière que les espèces anémochores à graines légères.

Les oiseaux ont par contre la spécificité d’être attirés par les arbres isolés et les fragments forestiers alors que le dépôt des graines par le vent est un phénomène physique dépendant des épisodes climatiques.

Nous décidons, de la même manière que pour les stratégies écologiques, de comparer les proportions et non plus les valeurs brutes des six modes de dispersion afin de pondérer l’influence de la fragmentation sur le nombre d’espèces et d’individus.

Les résultats des comparaisons des variances et des moyennes sont présentés pour les espèces au Tableau 46 et pour les individus au Tableau 47, plus Figure 46.

Tableau 46: Comparaisons des proportions, exprimées en % d’espèces par placeau, pour les six modes de dispersion entre les fragments et les témoins, pval probabilité des tests de comparaison F (variances) et t (moyennes) avec la correction de Satterthwaite appliquée.

Proportions d’espèces Fragments (n = 692)

Témoins

(n = 100) pval F pval t

Anémo-court 6,24 ± 7,63 6,93 ± 9,40 0,003 0,493 Anémo-long 8,75 ± 8,93 6,46 ± 9,46 0,391 0,017 Ornitho 8,94 ± 9,13 4,89 ± 8,14 0,168 < 0,0001 Zoo-mam 43,17 ± 15,43 48,03 ± 18,64 0,016 0,007 Zoo-multiple 20,58 ± 12,60 23,73 ± 14,24 0,079 0,023

Baro 12,17 ± 10,34 9,96 ± 11,75 0,067 0,048

Tableau 47: Comparaisons des proportions, exprimées en % d’individus par placeau, pour les six modes de dispersion entre les fragments et les témoins, pval probabilité des tests de comparaison F (variances) et t (moyennes) avec la correction de Satterthwaite appliquée.

Proportions d’individus Fragments (n = 692)

Témoins

(n = 100) pval F pval t

Anémo-court 5,28 ± 7,42 5,03 ± 8,08 0,216 0,758 Anémo-long 7,46 ± 9,14 5,33 ± 8,80 0,695 0,029 Ornitho 8,01 ± 9,80 3,26 ± 5,92 < 0,0001 < 0,0001 Zoo-mam 39,92 ± 17,41 49,47 ± 23,55 < 0,0001 < 0,0001 Zoo-multiple 26,60 ± 18,50 30,15 ± 21,35 0,040 0,118

Baro 12,73 ± 13,51 6,76 ± 8,87 < 0,0001 < 0,0001

Figure 46 : Distributions des modes de dispersion en proportions d’espèces et d’individus entre les fragments et les témoins, les * indiquent la pval des comparaisons, ns non significatif, * < à 0,05 et *** < à 0,001.

Les différences observées avec les données brutes se précisent dans cette analyse en s’affranchissant du biais amené par la stimulation globale de la richesse et de la densité de la régénération dans les fragments. Les espèces zoochores (mammifère et multiple) sont moins représentées dans les fragments forestiers avec des baisses respectives de 10 et 13%. Par contre, les espèces anémochores longue distance (+ 35%), les espèces ornithochores (+ 83%) et les barochores

(+ 22%) montrent des augmentations significatives de leur richesse. Au niveau des individus, la seule baisse significative (p < 0,001) dans les fragments concerne la proportion d’individus sub-adultes zoochore-mammifère avec près de 20% de réduction. Les autres comparaisons significatives sont liées à une augmentation conséquente des individus anémochores longue distance (+ 40%), des individus ornithochores (+ 146%) et des barochores (+ 88%).

4.7.3. Analyse en modèle additifs généralisés (GAM)

Dans cette partie nous analysons nos données avec des modèles additifs généralisés, partie 3.5.7.

Nous utilisons les données des 692 placeaux des fragments forestiers décrits par le nombre d’individus des six modes de dispersion des Sub-adultes. De la même manière que pour les stratégies écologiques, partie 4.6.6, nous avons limité les analyses aux nombres d’individus car les analyses avec les espèces ont renvoyé des résultats (non présentés) similaires.

Nous avons partagé les représentations graphiques en deux groupes ; (i) les anémochores avec les ornithochores et, (ii) les zoochores avec les barochores. La Figure 47 suivante présente les contributions des facteurs de l’isolation retenus pour les variables Anémo-court, Anémo-long et Ornitho.

Nous constatons que les modes de dispersion anémochores sont très dépendants du facteur Shape Index. Pour l’abondance des individus anémochores courte distance cette variable explique la grande majorité des variations observés. Le degré de contact avec la matrice extra-forestière est donc très important pour estimer le dépôt de graines par le vent.

Pour les ornithochores le Coût de déplacement, la Distance aux massifs et la Surface des fragments sont les facteurs les plus pertinents.

Pour ces trois stratégies aériennes la le facteur Durée d’isolation est peu importante.

Figure 47 : Contributions des facteurs retenus par les modèles additifs généralisés pour les abondance d’individus Anémo-court, Anémo-long et Ornithochore, validation des modèles et distributions des résidus.

La Figure 48 suivante présente les contributions des facteurs de l’isolation retenus pour les variables Zoo-mam, Zoo-multiple et Baro.

Les facteurs Surface des fragments et Shape Index sont les plus explicatifs des trois modes de dispersion. Pour les Zoochores multiples et les barochores il est intéressant de noter que le facteur Coût de déplacement est également très influent. De la même manière que précédemment le facteur de Durée d’isolation apparaît peu relié aux modes de dispersion. La distribution des résidus est assez homogène pour ces trois modes de dispersion et les modèles sélectionnés sont bien représentatifs des variations des abondances (r entre 0,41 et 0,51)

Figure 48 : Contributions des facteurs retenus par les modèles additifs généralisés pour les abondance d’individus Zoo-mam, Zoo-multiple et Barochore, validation des modèles et distributions des résidus.

Pour les modes de dispersion aériens (anémochorie et ornithochorie) la Figure 49 représente les évolutions graphiques des facteurs sélectionnés.

Pour les anémochores, plus le Shape Index est élevé et plus l’abondance dans les placeaux est élevée. L’intervalle de confiance du modèle est relativement réduit, pour ces deux variables et ce facteur, ce qui indique une relation très fiable des prédictions. Pour les trois variables les fragments de faible surface sont ceux qui ont les plus fortes abondances, cette tendance est constante avec toutes les variables de densité analysées jusqu’à présent.

Figure 49 : Influences des facteurs de l’isolation sélectionnés. En abscisse les valeurs des facteurs, en ordonnées la variation expliquée, en pointillés l’intervalle de confiance à 95%.

La Figure 50 présente les évolutions des variables, zoochores et barochores, en fonction des facteurs retenus par les GAM.

Figure 50 : Influences des facteurs de l’isolation sélectionnés. En abscisse les valeurs des facteurs, en ordonnées la variation expliquée, en pointillés l’intervalle de confiance à 95%.

Pour les Barochores le facteur Shape Index entraîne une réduction des effectifs. Les fragments avec une forte proportion de zone de contact avec la matrice extra-forestière présentent une réduction de ce mode de dispersion. Ce mode de dispersion est par contre plus représenté dans les fragments de grande surface.

4.7.4. Discussion

Nos analyses mettent clairement en évidence l’influence de la fragmentation sur le spectre de dispersion des graines. La régénération des fragments se caractérise par une augmentation des espèces et des individus issus d’une dispersion à longue distance et conjointement à une réduction des stratégies de dispersion à plus courte distance, particulièrement celles mettant en jeu des mammifères comme vecteurs. La régénération dans les fragments est également caractérisée par une augmentation des espèces et des individus barochores.

La raréfaction voir la disparition des moyens et grands mammifères dans les fragments forestiers est un fait largement établi (Ceballos & Ehrlich 2002 ; Chiarello 1999 ; Chiarello 2000 ; Cuarón 2000

; Goosem 1997 ; Michalski et al. 2007 ; Oates et al. 2000). Ces disparitions sont le résultat des activités de braconnage et de la réduction des espaces naturels. Les fragments de petite taille (moins de 100 ha) sont en général privés des mammifères supérieurs de la chaîne alimentaire. L’absence de ces éléments dans l’écosystème forestier a pour conséquence de modifier fortement la pluie de graines. Des recherches dans la zone d’étude ont montré l’intensité des activités de braconnage (Bshary 2001 ; Caspary et al. 2001 ; Koné 2004 ; Refisch & Koné 2001 ; Refisch & Koné 2005) sur les populations de singes et d’ongulés forestiers. Selon Bshary (2001), les braconniers abattent dans le PNT entre 11 et 21 singes par km2 et par année, ce qui est très élevé et constitue d’après Koné (2004) entre 3,7 et 7% de la population de singes du Parc. D’autres travaux en Afrique de l’Est (Chapman &

Onderdonk 1998 ; Chapman & Peres 2001) ont démontré l’interaction des populations de primates avec le maintien des espèces végétales zoochores. D’ailleurs, durant le travail de terrain nous n’avons observé des singes que dans deux fragments forestiers alors que pour chaque relevé et visite dans les grands massifs primaires nous avons vu ou entendu la présence de groupes de singes (Colobes, Cercopithèques, Chimpanzés) et constaté de nombreuses traces d’ongulés. De nombreux travaux sur le rôle des grands mammifères et sur les effets du braconnage (Cramer et al. 2007 ; Howe 1984 ; Roldán & Simonetti 2001 ; Stoner et al. 2007 ; Wang et al. 2007 ; Wright et al. 2000 ; Wright &

Duber 2001) mettent en évidence les changements dans les modalités de dispersion des graines dans les forêts, ou fragments, privés de ces disperseurs. Des auteurs (Beckman & Muller-Landau 2007) ont constaté jusqu’à 43% de réduction de dispersion pour une espèce à grosse graine, donc dépendante d’un vecteur animal de taille suffisante, dans les zones fréquentées par les braconniers alors que les espèces à petites graines demeuraient dispersées de la même manière. La disparition quasi systématique des populations de singes et d’ongulés dans les fragments forestiers du Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire explique alors la réduction de la dispersion des graines zoochores (mammifère et multiple). La fragmentation forestière réduit significativement la dispersion des espèces zoochores-mammifère (Cramer et al. 2007) et peut également entraîner une augmentation de la mortalité des juvéniles.

Les études sur la fragmentation et les populations d’oiseaux sont nombreuses et montrent que (i) les espèces les plus mobiles supportent mieux la fragmentation (Lens et al. 2002) (ii) les oiseaux de forêts sont plus nombreux dans les grands fragments (Sodhi 2002) (iii) les oiseaux généralistes sont plus nombreux dans les fragments que dans les grands massifs (Beier et al. 2002) car ils sont favorisés par la matrice extra-fragments. Ces changements entraînent une réduction de la dispersion des espèces ayant une relation de dépendance très étroite avec une seule espèce d’oiseaux, mais favorisent les espèces végétales plus généralistes présentant des graines attractives pour une large palette d’oiseaux.

Les espèces d’arbres à graines généralistes sont en général des espèces pionnières ou héliophiles, ce qui corrobore nos résultats de la partie 4.6 sur l’augmentation des espèces et individus issus de ces stratégies écologiques. Les travaux de Beier et al. (2002) ont de plus montré que de nombreuses espèces d’oiseaux ne répondaient pas à l’isolation spatiale des fragments par rapport aux massifs en dessous de 25 km de distance ce qui souligne la mobilité des oiseaux et ainsi de leur possibilité de