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2. Présentation de la zone d’étude

2.3. Les facteurs humains

2.3.1. Données démographiques et histoire du peuplement

La Côte d’Ivoire est partagée en quatre principaux groupes culturels avec pour le Sud-ouest les Krou. Ce groupe se constitue des Kroumen, des Bété, des Bakwé, des Dida et des Wé qui ont chacun une langue propre. Des études (Schwartz 1993) montrent que les Wé habitaient de façon extensive la grande forêt du Sud-Ouest et du Libéria depuis au moins le 15ème siècle mais que la région était très peu peuplée jusqu’à la fin du 19ème siècle. Ce groupe Wé correspond aux Guérés et occupent la région de Taï. Les Guérés sont majoritairement arrivés dans la région au début du 20ème siècle pour peupler l’espace et favoriser sa mise en valeur par l’ouverture de la route reliant Guiglo à Tabou (Téré 2000).

Ce déplacement de population était une volonté politique des autorités coloniales françaises qui voulaient ainsi pouvoir exploiter plus facilement les richesses forestières de cette région. Actuellement les Guérés se rencontrent dans la région de Guiglo-Taï et les Oubis au Sud de Taï.

La population de la région a connu des augmentations liées d’une part à la décision politique du gouvernement de désenclaver la région du Sud-Ouest par la mise en place en 1969 d’un plan d’aménagement et d’autre part par la guerre civile Libérienne qui a conduit de nombreux réfugiés à s’installer dans la région. De plus, la forte croissance économique de la Côte d’Ivoire dans les années 70-80 soutenue par sa production de cacao et de café ont conduit des populations du Nord et du centre de la Côte d’Ivoire ainsi que du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée à migrer dans le Sud-Ouest.

Tous ces migrants attirés par le miracle économique et par les vastes étendues de forêt facilement exploitables se sont d’abord installés le long de l’axe routier Guiglo-Tabou en bordure des villages Guérés existants. Ils ont progressivement créés des campements plus éloignés au fur et à mesure que de nouveaux migrants arrivaient et que la forêt reculait. En effet, dans le droit coutumier Ivoirien la terre appartient à la main qui la met en valeur, on comprendra par là celui qui défriche la forêt pour y installer des cultures.

En 1965 la population de la sous-préfecture de Taï était estimée à 3600 habitants et en 1988 le recensement national faisait état de 30'000 habitants avec un taux de croissance annuel de 3 à 6 %, ce qui est considérable. Les prévisions pour l’année 1998 (Kientz 1992) donnent alors 48'000 habitants.

Si l’on considère les taux d’accroissements proposés on arrive pour 2007 à une fourchette comprise entre 64'000 et 85'000 personnes. Il est vraisemblable que le taux de croissance s’est réduit suite aux évènements politiques qui secouent la Côte d’Ivoire depuis 1999 et que la population actuelle est plus proche de 60 que de 80'000.

La population de notre zone d’étude est donc très cosmopolite avec une multitude d’ethnies représentées et autant de pratiques agricoles et de vision de la valeur de la forêt. Rappelons ici que mis à part pour les Guérés et les Oubis qui connaissent et vivent depuis toujours avec la forêt les autres populations, majoritairement originaires de zones plus sèches de savanes, considèrent généralement la forêt avec méfiance et n’y voient une valeur que lorsqu’elle est remplacée par des cultures vivrières ou des cultures de rentes.

2.3.2. Déforestation, activités agricoles et pression de chasse

L’afflux massif de cultivateurs dans la zone d’étude au cours des trente dernières années a, comme nous venons de la voir, entraîné une réelle explosion démographique. Ces populations ont alors progressivement mis en culture la forêt au profit du cacao et du café. Pour les cultures vivrières, les pratiques agricoles diffèrent en fonction de l’origine des cultivateurs. Les Guérés et les Oubis pratiquent, après l’ouverture de la forêt, une culture de riz pluvial sur les milieux de pente, le riz constituant la base de leur alimentation. Ce n’est que récemment que ces mêmes agriculteurs ont

commencé à utiliser les zones de bas-fond pour cette culture. Les migrants du Nord et du Centre de la Côte d’Ivoire basent plutôt leur alimentation sur le maïs, le manioc, l’igname, le taro, l’arachide et la banane plantain.

Classiquement, la mise en culture de la forêt s’effectue en plusieurs étapes. Une première consiste à couper tous les petits arbres ainsi que les lianes présents et les entasser à sécher au pied des plus grands arbres. Ce stade peut durer quelques mois à quelques années car il est également une manière de montrer que cette portion de forêt est déjà appropriée à une famille et ainsi éviter un éventuel conflit foncier avec une autre personne. En saison sèche les agriculteurs allument des feux aux pieds des grands arbres, avec les branchages précédemment coupées, ce qui a pour effet de brûler l’écorce de la partie inférieure du tronc et de condamner ces individus à une mort sur pied. Les premières cultures installées sont les vivrières que nous avons citées auparavant, agrémentées entre autres de tomates, d’aubergines et de piments.

La région du sud-ouest de la Côte d’Ivoire est marquée par la forte présence de cultures de rente.

La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de Cacao et le troisième pour le café. Dans la chronologie de mise en culture des boutures de café et de cacao sont plantées avec les ressources vivrières la première année. Aux environs de la troisième année, les cultures vivrières sont abandonnées et ne subsistent alors que les troncs morts des arbres de forêt (feuilles et branches sont tombées) qui surplombent les cultures de rente. L’exploitant agricole déplace alors ses cultures vivrières à une autre parcelle en défrichant une nouvelle portion de forêt.

A cette déforestation agricole, relativement récente mais très gourmande en surfaces, se superpose depuis plus d’un demi siècle des activités d’exploitation forestière par les scieries et de production de charbon qui existent dans la région (Zagné-Guiglo). L’axe Guiglo-Tabou avait d’ailleurs été réalisé par les coloniaux pour permettre une plus facile exploitation des essences précieuses. Ces pratiques ont un effet très marqué dans l’évolution du paysage car elles créent des voies de passage à travers la forêt. Ces voies vont ensuite être utilisées par les agriculteurs pour pénétrer de nouveaux espaces. Les essences les plus recherchées sont maintenant rares dans le domaine rural (nous pouvons citer par exemple : les Celtis spp., les Entandrophragma spp., les Guarea spp., les Khaya spp., les Milicia spp., les Pouteria spp., les Terminalia spp., Lophira alata, Lovoa trichilioides, Nesogordonia papaverifera, Nauclea diderrichii, Tieghemella heckelii, Triplochiton scleroxylon…). Ces essences sont souvent de très grands arbres qui entraînent dans leur chute lors de l’abattage un grand nombre de plus petits individus ce qui crée souvent de vastes trouées dans la forêt auxquels s’ajoutent des chemins ouverts par les bulldozers et les parcs de triage. La raréfaction de ces essences dans le milieu naturel a conduit les scieries à exploiter d’autres espèces, non plus pour les grumes et le sciage mais pour le laminage avec par exemple l’exploitation du fromager Ceiba pentandra. Si le PNT est théoriquement exempt d’exploitation forestière, le domaine rural et donc les fragments forestiers sont exploitables ainsi que les Forêts Classées du Cavally et de la Goin-Débé qui sont gérées par la SODEFOR.

D’après des sources locales, l’absence d’autorité gouvernementale dans la région suite aux troubles politiques de ces dernières années a entraîné une exploitation massive et anarchique de ces forêts classées avec une quantité très importante de bois exploités.

Dans la région Guiglo-Taï la plantation industrielle de l’hévéa s’est développée depuis une vingtaine d’année sous l’impulsion de la Compagnie Hévéicole du Cavally (CHC). Cette activité initialement installée dans l’Ouest de notre zone d’étude s’est progressivement étendue sous l’effet de la chute des cours du café et du cacao et de nombreux planteurs remplacent maintenant leurs parcelles ou leurs jachères par de l’hévéa.

Photo 5 : Plantation industrielle d’hévéa dans l’Ouest de la zone d’étude (CHC), remarquer l’absence de végétation naturelle dans le sous-bois.

Globalement, la mise en culture puis l’abandon des parcelles lorsque le sol est trop appauvri a entraîné une forte augmentation des zones de jachères et de forêt secondaires voire, dans certaines conditions, conduit au remplacement de la végétation par des étendues de plantes envahissantes telles que Chromolaena odorata (Gautier 1992). Avant l’avènement des cultures de rente dans la région les cultivateurs suivaient un cycle cultural avec une période de 7 à 15 années de mise en jachère. Les jachères les plus anciennes évoluaient alors en forêt secondaire. Actuellement, le manque d’espaces nouveaux à mettre en culture a entraîné une réduction de la durée de jachère. Certains exploitants agricoles ont d’ailleurs converti les jeunes jachères en plantation industrielle d’hévéa car les clones d’hévéa arrivent à s’y implanter.

L’exploitation intense de la forêt Ivoirienne depuis plus d’un siècle fait que l’immense majorité des surfaces forestières présentent des signes de l’activité humaine. Anciennes traces de pistes forestières, trouées anciennes, restes de souches, marques de l’exploitation du latex des Funtumia (antérieures à l’avènement de l’hévéa)… témoignent à l’heure actuelle des dégradations passées. Dans son introduction à la Flore du Banco, J. De Koning (1983) cite cet exemple : au cours de son voyage en Côte d’Ivoire en 1909 Auguste Chevalier avait déjà observé que la forêt primitive devenait de plus en plus rare, il écrivait alors « C’est une erreur très accréditée chez beaucoup de coloniaux de la Côte d’Ivoire de croire que la forêt est inépuisable […] Dès que l’homme pratique des trouées dans la forêt, l’équilibre est détruit […] Les espaces où la forêt primitive a disparu sont réoccupées par une forêt bien moins riche en espèces d’arbres, et tiennent déjà une très grande place qu’il n’est pas exagéré d’évaluer à la moitié de l’étendue totale de la forêt ».

Avant de terminer cette partie il est nécessaire de signaler que, conjointement à la forte pression que subit la forêt, s’ajoute un phénomène intense de chasse des animaux sauvages. Ces animaux qui jouent un rôle fondamental dans la dynamique de la végétation sont menacés par le braconnage (la chasse est interdite en Côte d’Ivoire). L’élevage étant très peu développé dans la région une très

grande part des besoins en protéines animales sont fournies par la viande dite de brousse. Cette source de nourriture en provenance des grandes forêts classées, du Libéria et du PNT est moins chère que la viande d’élevage (Bousquet 1978 ; Caspary et al. 2001). Au niveau national, on estime qu’il a été consommé pour 77 milliards de francs CFA (environ 175 millions de CHF) de viande de brousse pour la seule année 1996 ce qui représentait 120'000 tonnes de gibier (Caspary 1999a ; Caspary 1999b).

Des travaux menés dans le PNT montrent l’intensité de ce braconnage et les conséquences qu’il peut avoir sur les populations animales et secondairement sur la végétation (Refisch & Koné 2001 ; Refisch & Koné 2005).

2.3.3. Travaux scientifiques, institutions et projets de conservation dans la zone d’étude

Notre zone d’étude a été le cadre de nombreux travaux de recherche depuis plusieurs décennies.

Ces activités se sont pour la plupart concentrées dans le PNT avec à l’heure actuelle plus de 1'000 publications et rapports. L’étude des primates et particulièrement du comportement du Chimpanzé est pour ainsi dire le fer de lance de ces travaux. Les études botaniques majeures sont attribuables aux ingénieurs forestiers français, aux chercheurs de l’ORSTOM et aux botanistes ivoiriens, néerlandais et genevois. Le PNT est un site de recherche privilégié par son statut et sa situation. Il couvre, avec la réserve de Faune du N’Zo (au nord du Parc), une superficie de 540'000 ha et représente à lui seul plus de 50 % des zones forestières ouest africaines placées sous haute protection. Déclaré Réserve de la Biosphère en 1978 il a ensuite été élevé au rang de Patrimoine Culturel Universel par l’Unesco en 1982 dans le cadre du programme MAB (Man and the Biosphère). Il recouvre environ un quart de la surface forestière Ivoirienne encore existante et abrite 93 % des espèces de mammifères de la zone forestière Ouest Africaine.

De nombreux instituts et organisations sont impliqués dans ces recherches tels que la Coopération Technique Allemande (GTZ), le WWF, le Ministère Ivoirien de l’Agriculture et des Ressources Animales, le Ministère Ivoirien de la Construction et de l'Environnement, la Direction Ivoirienne de la Protection de la Nature, la Direction Ivoirienne de la Recherche, la fondation Tropenbos, le CSRS, les CJBG, la Wild Chimpanzee Foundation, Conservation International, la Coopération financière Allemande (KFW). Il existe également depuis 1993 un projet autonome de conservation du PNT appelé PACPNT qui gère de multiples projets visant à réduire les dégradations anthropiques dans le Parc. Ce projet, financé par plusieurs organisations, vise à coordonner les projets d’aménagement des zones périphériques du PNT et à favoriser la sensibilisation des populations riveraines à la conservation des espèces et des milieux.