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Les membranes artificielles : aspects microscopiques

Pour reconstituer artificiellement les membranes biologiques, ou du moins la contribution passive de la bicouche lipidique, et mimer ainsi leur comportement, il suffit de mettre en solution aqueuse le m´elange de lipides souhait´e. Les lipides s’autoassemblent alors naturellement pour former diff´erentes sortes de micelles ou de bicouches. En effet, les lipides sont des mol´ecules amphiphiles (fig. 2.22(A)) qui poss`edent `a la fois une tˆete polaire hydrophile et une queue hydrophobe (les deux chaˆınes carbon´ees). Les queues s’agr`egent entre elles pour ne pas ˆetre en contact avec l’eau alors que les tˆetes, au contraire, sont tourn´ees vers l’eau. C’est la forme g´eom´etrique du lipide (et donc son nombre d’insaturations qui entraˆınent des tor-sions dans la chaˆıne carbon´ee, voir figure 2.22(A), qui conditionne le type d’autoas-semblage (fig. 2.22(B-C)) et plus particuli`erement sa courbure [Israelachvili, 1992] et [Lipowsky and Sackmann, 1995]. L’assemblage de mol´ecules cylindriques donne naissance `a une bicouche plane alors que des lipides coniques donnent une bicouche avec une courbure spontan´ee (voir §C.3.1). Les bicouches peuvent se refermer sur elles-mˆemes pour former une v´esicule (ou liposome, sorte de sph`ere close o`u le milieu interne est s´epar´e du milieu externe par la membrane fig. 2.22(B)). Les ”v´e-sicules” sont des phases m´etastables17 [Safran, 1994, Leng et al., 2003], mais elles sont beaucoup utilis´ees car leur forme sph´erique est bien adapt´ee pour mimer la formes des organites de la cellule. La courbure de la membrane est alors impos´ee par la g´eom´etrie sph´erique : pour une sph`ere de rayon R, la courbure c est donn´ee par : c=1/R. La compatibilit´e de la courbure de la v´esicule avec celle impos´ee par les lipides utilis´es d´eterminera les conditions de formation et de stabilit´e d’une v´esicule de taille donn´ee.

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ou radeaux lipidiques

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elles sont en g´en´eral pr´epar´ees en fournissant de l’´energie, mais cette propri´et´e de m´etasta-bilit´e reste encore tr`es discut´ee par exemple pour les v´esicules obtenues par formation sponta-n´ee [Leng et al., 2002]. Les v´esicules form´ees spontan´ement dans un m´elange de surfactants catio-niques/anioniques sont consid´er´ees comme stables [Kaler et al., 1989].

C. Les V´esicules G´eantes Unilamellaires : syst`eme mod`ele de membranes biologiques (C) (B) tête polaire queue hydrophobe (A)

Fig.2.22 – (A) Mod`ele compact d’un phospholipide et sa repr´esentation symbolique associ´ee. La mol´ecule amphiphile poss`ede une tˆete polaire (choline, phosphate et gly-cerol) hydrophile, et une queue hydrophobe (longue chaˆıne carbon´ee. La torsion due `a la double liaison ”cis” a ´et´e volontairement exag´er´ee, d’apr`es [Alberts et al., 1995]. (B) Les lipides cun´eiformes s’assemblent pour former des micelles. Les lipides cylin-driques forment des bicouches qui peuvent se refermer sur elles-mˆemes pour donner des v´esicules. (C) Relation entre la forme g´eom´etrique des mol´ecules amphiphiles (phospholipides, mais aussi tensio-actifs, lisolipides etc.) et la structure obtenue par l’organisation de ces mol´ecules dans un milieu aqueux. On remarque la diversit´e des formes d’auto-assemblage : le param`etre important est v/a0lc. Les phospholi-pides ont plus particuli`erement tendance `a former des bicouches lipidiques planes ou courbes. (D’apr`es [Israelachvili, 1992])

Il existe plusieurs sortes de v´esicules : celles constitu´ees d’une seule bicouche (appel´ees unilamellaires), et celles constitu´ees de plusieurs bicouches (appel´ees mul-tilamellaires ou oignons). De plus, les v´esicules unilamellaires sont class´ees par taille :

Chapitre 2. Principales caract´eristiques des constituants impliqu´es dans la formation de tubes de membrane.

- les ”Small Unilamellar Vesicles” (SUVs) ayant un diam`etre de 40 `a 100 nm - les ”Large Unilamellar Vesicles” (LUVs) ayant un diam`etre de 100 nm `a 1 µm - les ”Giant Unilamellar Vesicles” (GUVs) ayant un diam`etre de 1 `a 100 µm Les GUVs sont les seules `a pouvoir ˆetre observ´ees par microscopie optique, c’est donc celles que nous avons utilis´ees comme membrane mod`ele. L’´epaisseur typique d’une membrane est en moyenne de 5 nm, (deux fois la longueur d’un lipide) et la surface moyenne occup´ee par un lipide est de l’ordre de 0,5 nm2.

C.2.2 Fluidit´e des membranes

Outre leurs propri´et´es d’autoassemblage et d’autofermeture, les bicouches de membranes cellulaires ont aussi une propri´et´e tr`es importante pour les fonctions cellulaires : la fluidit´e. En effet, les lipides (et les prot´eines dans une membrane bio-logique) sont capables de diffuser librement `a la surface de la membrane. La diffusion lat´erale li´ee `a l’´echange de lipides voisins (fr´equence : 107 fois par seconde) est tr`es ra-pide `a l’int´erieur d’une monocouche18 : typiquement, le coefficient de diffusion est de l’ordre du µm2/s dans des membranes en phase liquide d´esordonn´ee, ce qui signifie qu’il faut environ 1 seconde `a un lipide pour parcourir toute la longueur d’une cellule bact´erienne (d’une taille de 2 µm). Ce coefficient de diffusion a ´et´e mesur´e `a la fois dans des membranes artificielles et des membranes biologiques par des techniques de plus en plus ´evolu´ees (de la RMN [Smith and Oldfield, 1984] au suivi de mol´ecule individuelle de lipide [Saxton and Jacobson, 1997] en passant par des mesures de FRAP19 (”Fluorescence recovery after photobleaching”, [Axelrod et al., 1976]), voir la revue de Chapman [Chapman, 1975]).

Les mol´ecules peuvent aussi tourner sur elles-mˆemes avec un coefficient de diffusion rotationnelle de l’ordre de 108 s−1 [Baeriswyl, 1987], et basculer d’une couche `a l’autre (”flip-flop”). Ce ph´enom`ene est beaucoup plus lent : 10−8 s−1

[Alberts et al., 1995], mais il peut ˆetre acc´el´er´e par la pr´esence d’un certain type de prot´eines, les flippases (voir plus haut), dans la cellule. Ce mouvement de ”flip-flop” est donc plus important dans les membranes biologiques [Sprong et al., 2001]. La figure 2.23 r´esume les diff´erents mouvements d’un lipide dans une membrane.

La fluidit´e d´epend beaucoup de la composition des membranes et de la tem-p´erature [Bretscher, 1973]. En effet, une membrane constitu´ee d’un seul type de lipide peut former des phases plus ou moins ordonn´ees appel´ees Lα, Lβ ou Pβ′

[Lipowsky and Sackmann, 1995]. La figure 2.24(A) repr´esente l’exemple du dia-gramme de phase du DMPC. Typiquement, lorsque la temp´erature diminue, la mem-brane passe d’un ´etat liquide bidimensionnel (Lα) `a un ´etat de cristal liquide plus

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lorsque la temp´erature est sup´erieure `a la temp´erature de transition de phase ´etat liquide/´etat cristal liquide (voir un peu plus loin l’influence de la composition lipidique)

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Cette technique sera ´etudi´ee plus en d´etail au chapitre 4 pour mesurer le coefficient de diffusion des kin´esines attach´ees `a la surface des v´esicules dans nos exp´eriences.

C. Les V´esicules G´eantes Unilamellaires : syst`eme mod`ele de membranes biologiques

Fig. 2.23 – Principaux degr´es de libert´e d’un lipide dans une bicouche. (a) diffusion lat´erale ; (b) diffusion rotationnelle ; (c) flip-flop ; mouvements de chaˆınes alipha-tiques ; (e) mouvement des tˆetes polaires ; (f) mouvement de vibration hors du plan de la membrane, d’apr`es [Lipowsky and Sackmann, 1995].

rigide (et plus ordonn´e) `a partir d’une temp´erature de transition pr´ecise et caract´e-ristique. Cette transition de phase intervient `a des temp´eratures d’autant plus basses que les lipides sont courts (donc avec moins d’interactions stabilisantes entre eux) et insatur´es (donc plus difficile `a ordonner dans une phase cristalline). Le coefficient de diffusion des lipides dans des membranes dans l’´etat de cristal liquide chute de fa¸con dramatique jusqu’`a des valeurs de 10−3µm2/s, [Shechter, 1993].

Un diagramme de phase riche a aussi ´et´e observ´e dans des v´esicules compos´ees de plusieurs lipides et riches en SM ou en cholest´erol (voir les structures fig. 2.21). En effet, la SM a une temp´erature de transition de phase assez ´elev´ee (40 `a 50˚C) par rapport aux PCs avec insaturations ou courtes chaˆınes, en phase fluide `a temp´era-ture ambiante (voir annexe C.1) ; elle a donc tendance `a rendre les membranes moins fluides et mˆeme `a s’organiser en phases cristallines quand elle est seule. Le cholest´erol quant `a lui s’ins`ere entre les lipides de la membrane et modifie les interactions entre les tˆetes des SM, ce qui contribue `a la formation d’une phase `a la structure probable-ment hexatique (liquide ordonn´e). Le cholest´erol change aussi les mouveprobable-ments des chaˆınes de PC, contribuant `a rigidifier les membranes de DOPC. Il diminue aussi largement la perm´eabilit´e des bicouches `a l’eau. Le diagramme de phase de la figure 2.24(B) issu de [Kahya et al., 2003] montre par exemple l’´evolution du coefficient de diffusion de lipides dans des v´esicules en fonction de la composition ternaire de celles-ci (SM, DOPC, cholest´erol) ; ces coefficelles-cients ont ´et´e mesur´es par FCS20. On observe

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Fluorescence Correlation Spectroscopy. La FCS utilise un montage de microscopie confocale pour collecter la luminescence de fluorophores se d´epla¸cant dans un volume d’excitation d’une fraction de femtolitre (1fl = 1µm3

). En traversant al´eatoirement ce volume, les fluorophores donnent naissance `a des fluctuations de l’intensit´e lumineuse que l’on d´etecte avec des photo-d´etecteurs fonctionnant en r´egime de comptage de photons. L’analyse des fluctuations `a l’aide d’un corr´elateur permet d’extraire des informations sur la diffusion, la concentration mol´eculaire et d’´eventuelles associations.

Chapitre 2. Principales caract´eristiques des constituants impliqu´es dans la formation de tubes de membrane.

Fig.2.24 – (A) Diagramme de phase du DMPC dans l’eau (`a gauche), avec, repr´esen-t´ee sch´ematiquement, l’organisation des lipides dans chaque type de phase (`a droite) (d’apr`es [Seifert, 1997]). (B) Diagramme de phase ternaire SM/DOPC/cholest´erol `a 25˚C, construit sur la base d’images de microscopie confocale et de donn´ees FCS. La r´egion en gris repr´esente les compositions o`u une s´eparation de phases est observ´ee. Les cercles noirs repr´esentent les v´esicules homog`enes, les cercles avec des briques des phases gel pure et les autres cercles repr´esentent la coexistence entre phases plus complexes. Le nombre entre parenth`eses donne le coefficient de diffusion en µm2/s (d’apr`es [Kahya et al., 2003]).

que ce coefficient de diffusion diminue beaucoup pour des v´esicules riches en SM ou cholest´erol par rapport au coefficient des v´esicules de PCs purs. Nous utiliserons dans la suite les propri´et´es de ces v´esicules plus rigides (voir ch.4 et 5). Les v´esicules contenant de la SM et du cholest´erol sont tr`es ´etudi´ees actuellement parce qu’elles permettent de mimer la pr´esence de ”rafts” (pr´esent´es dans le paragraphe C.1.3) dans les membranes biologiques (fig. 2.25) [Baumgart et al., 2003, Roux et al., 2005a].

C.3 Caract´eristiques macroscopiques des v´esicules `a l’´