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Elsa Ramos et François de Singly (2016) ainsi que Muriel Monnard (2016), parlent des espaces de liberté des jeunes dans les interstices entre les espaces contrôlés par l’autorité des adultes. Ces interstices constituent les lieux dans lesquelles ils ont l’occasion de développer

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leurs territorialités, des lieux leur appartenant – sur le plan symbolique du moins – qu’ils s’approprient, pratiquent et auxquels ils peuvent s’identifier.

Le foyer familial comme point de départ

La territorialisation d’un espace peut se faire à plusieurs échelles différentes, allant de la plus petite à la plus grande. Pour un individu, le premier territoire personnel qu’il s’approprie est bien sûr son foyer. Il s’agit d’un chez-soi, une forme de propriété (même si l’on est seulement locataire) et en même temps, l’espace dans lequel on vit au quotidien. Kaj Noschi (1984) parle du rattachement de l’enfant à sa mère dans ses premières années de vie : « Lorsque celle-ci travaille dans la maison, on peut y voir l’enfant jouer » (NOSCHI, 1984, p. 85). Cet espace de jeu devient le premier territoire de l’enfant. « L’indépendance spatiale s’inscrit dans le pouvoir d’avoir un espace à soi et de se déplacer en toute indépendance. Les jeunes ont progressivement accès à ces deux dimensions, au moins de manière partielle, en ayant pour une grande majorité une chambre à soi » (DE SINGLY, 2002, p. 23). La chambre devient le territoire de l’adolescent, un lieu personnel et libre de toute contraintes, du moins tant que la porte est fermée et la musique pas trop forte. S’il s’agit d’un des premiers lieux territorialisés par les jeunes, depuis la fin des années 1980, avec l’avènement des jeux vidéo et la montée en force de Nintendo et Sega, les jeunes ont de plus en plus de raisons de vouloir rester reclus à l’intérieur et n’étendent leur territoire qu’à un espace numérique (MCNAMEE, 1998, p. 196). Dans une perspective de genre, il est souvent question de la relégation des femmes – et donc des jeunes filles – dans l’espace privé, à la maison. Pourtant, les jeux vidéo font dégager une tendance inverse : « Les jeunes hommes contrôlent et surveillent l’accès de leurs sœurs aux ordinateurs et jeux vidéos dans l’expression de leur identité masculine »11 (Ibid., p. 204). Cette tendance qu’observe Sara McNamee (1998) provient à la fois d’une reproduction sociale des agissements du père – c’est lui qui contrôle la télé et la zapette (Ibid., pp. 203-204) – mais aussi du fait que les consoles sont plus facilement offertes aux garçons et le plus souvent situées dans la chambre du garçon, indifféremment de l’âge de la sœur par rapport à celui de son frère (Ibid., p. 199).

11 Traduction personnelle : « Young men are controlling and policing their sister’s access to computer and video games in the expression of their masculine identity ».

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Le territoire familial de la maison dépeint des rapports de domination dans des espaces partagés, mais aussi des espaces individuels – la chambre du garçon détenant l’ordinateur ou la console – qu’il se voit dans l’obligation de partager sous ordre des parents, mais où le frère se permet donc d’exclure la sœur quand bon lui semble. Sara McNamee, citant Mica Nava (1992), insiste sur une culture du contrôle des femmes dès le plus jeune âge déjà au sein du foyer, et qui se répercute sur les pratiques de l’espace public (Ibid., 203). Sans adopter une approche uniquement genrée des pratiques de l’espace public, nous allons maintenant nous pencher sur les pratiques des jeunes une fois à l’extérieur de leur chez-soi.

L’école au centre des pratiques

En s’intéressant aux pratiques des enfants et des jeunes, les études dans le domaine de la psychologie se sont rapidement tournées vers les écoles comme terrain d’observation et de recherche, parallèlement à l’espace familial (DANIC, DEPEAU & KEERLE, 2018, pp. 130).

En effet, l’école est le lieu où un enfant passe la majeure partie de ses journées du lundi au vendredi. Au Cycle d’Orientation, cela représente entre 32 et 33 heures en fonction de l’affiliation dans laquelle se trouve l’élève (DGEO, 2018-2019, p. 21). La géographie aussi s’intéresse aux territorialités des enfants dans les écoles. D’ailleurs, il s’agit d’un terrain qui gagne son importance à notre époque notamment à travers la thèse de doctorat de Muriel Monnard (2016), dont le titre est « Lutte des places dans la société des pairs : une ethnographie scolaire dans trois cycles d'orientation genevois ». Cependant, bien que le rapport que les jeunes ont aux couloirs et aux cours de récréation des écoles soit particulièrement intéressant, dans la présente étude, ce sera le trajet pour aller à l’école qui sera le plus mis en valeur. La ville « représente un ensemble de marqueurs spatiaux à partir duquel vont s’organiser les déplacements, ces derniers [les jeunes] pouvant être, selon les trajets et les destinations, centrifuges, centripètes ou encore tangentiels par rapport à des lieux familiers : le domicile, le centre-ville, l’établissement scolaire » (ZAFFRAN, 2003, p.

97). Dans les mobilités des jeunes, le trajet scolaire fait partie de leurs habitudes et de leurs aises en matière de spatialité, donc un élément important de leurs territorialités de quartier.

L’étude d’Anne Sgard et d’André-Frédéric Hoyaux (2006) fait bien la liaison entre l’espace scolaire – avec ses identités spatiales spécifiques – et la construction des territorialités chez

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les jeunes. Les deux géographes mettent l’accent sur « des liens, des lignes de forces reliant des points vaguement situés que seraient les lieux d’activité principaux (lieu de résidence, lycée, lieu(x) de pratique sportive, lieu(x) de chalandise) formant un itinéraire, une sorte de réseau polarisé mal articulé » (pp. 95-96). C’est ce qu’ils appellent un « territoire en archipel » ; type de territorialité qui semble bien caractériser celle des jeunes lycéens. L’école rythme la vie des jeunes et est un lieu d’ancrage des territorialités parce qu’elle est obligatoire et donc incontournable, mais le trajet pour y aller devient lui aussi un passage obligatoire, cependant plus libre. Les élèves peuvent choisir un itinéraire plutôt qu’un autre en fonction de leurs goûts et de leurs expériences, ce qui leur donne une connaissance pointue de ces différents lieux de passages – étendant leur connaissance des lieux qui leur sont géographiquement proches – et leur permet de repérer les endroits intéressants pour se regrouper après les cours, avant de rentrer chez soi. Le simple fait d’aller à l’école est déjà un apprentissage de la ville.

Le quartier comme territoire du quotidien

« La plupart des frontières urbaines sont à la fois matérielles et symboliques » (PIERONI, 2017, p. 61). L’échelle du quartier ne fait pas exception. Il existe des quartiers très refermés par le biais de murs, grillages, routes, etc. Mais le quartier, cela peut simplement être le territoire du quotidien, le lieu qu’on désigne quand on nous demande où on habite, un secteur de la ville. Dans l’article de Sgard et Hoyaux (2006), il est avancé que « l’ouverture au monde se fait prioritairement par contiguïté spatiale et sociale, celle des réseaux, des liens tissés » (p. 104). Et quoi de plus contigu à sa propre réalité que le quartier d’habitation.

Pour le géographe français Michel Lussault dans le Dictionnaire de la géographie (2013), le quartier relève aujourd’hui plus du mythe que d’une véritable réalité, étant donné qu’il est censé représenter une prétendue homogénéité, souvent au niveau social, alors qu’une proximité géographique n’est pas forcément synonyme d’identité commune (p. 833).

Cependant, le quartier peut être perçu symboliquement comme lieu d’ancrage. « Le quartier est un des outils de l’intégration signifiante de l’espace de pratiques. Cela permet de s’assurer d’un statut sécurisant de « localier » sans renoncer à la mobilité personnelle » (Ibid., p. 834). Chez Lussault, le quartier est réduit à une dimension psychologique et la forte

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mobilité est une façon de vivre librement qui caractérise nos sociétés occidentales contemporaines. Il présente la définition « traditionnelle » du quartier, énoncée plus haut, comme synonyme d’enfermement et de ségrégation sociale à l’image des ghettos français ou des gated communities, quartiers enfermant une population privilégiée en quête de sécurité. À l’inverse, le géographe suisse Bertrand Lévy (2001) revalorise le quartier, notamment dans le contexte genevois, à travers une vision pratique et écologique de la proximité. La « qualité d’autonomie territoriale d’un quartier est fondamentale, car elle permet à ses habitants de limiter leurs déplacements hors de leur quartier pour se procurer biens ou services manquants, avec les avantages écologiques que ce comportement procure (limitation des déplacements, donc baisse des nuisances) » (LÉVY B., 2001, p. 3). Cette idée d’autonomie du quartier permettrait donc aux habitants un accès rapide à certains services. On peut imaginer par exemple la présence de commerces, d’écoles, de structures socioculturelles, de lieux de rencontre etc. dans le quartier, ce qui peut être utile principalement à l’ère du « tout, tout de suite ». Ce n’est donc pas parce que nos pratiques de mobilité sont très marquées à notre époque que le quartier n’existe plus ou qu’il tendrait à perdre de sa pertinence. De plus, en Suisse et spécifiquement à Genève, l’urbanisme et l’administration fonctionnent beaucoup avec la notion de quartier. En urbanisme, l’usage de plans directeurs de quartier est courant, pour pouvoir aménager l’espace de manière cohérente entre le bâti et la population habitant dans le secteur ; et d’un point de vue administratif, les quartiers permettent par exemple un découpage électoral. L’usage du quartier, comme une interprétation de la ville par le haut12, est donc systématique, mais c’est une vision par le peuple local qui nous intéresse ici. « Les individus qui vivent dans un quartier, ou qui simplement le pratiquent, s’inscrivent dans des réseaux de relations sociales plus ou moins territorialisées qui débordent largement l’échelle du quartier » (AUTHIER, BACQUÉ & GUÉRIN-PACE, 2007, p. 11). C’est ce qui est souligné dans un ouvrage dédié au quartier, édité par le sociologue Jean-Yves Authier, la sociologue Marie-Hélène Bacqué et la géographe France Guérin-Pace en 2007. Dans la présente recherche, il est question de savoir à quel point les jeunes territorialisent leur quartier, pour venir y confronter la planification effectuée par l’urbanisme. Il relève donc de déterminer une potentielle identité de quartier, via un rattachement à celui-ci.

12 Perçu et imposé par les institutions et plus spécifiquement l’État.

24 2.4 L’identité de quartier

L’identité est un élément complexe et multiple variant entre chaque individu. Le géographe suisse Bernard Debarbieux (2006) clarifie la notion d’identité en géographie en dégageant quarte types distincts : l’identité numérique, l’identité sociale, l’identité personnelle et l’identité collective.

La première – l’identité numérique – relève d’une identité intrinsèque, bien plus utilisée en géographie vidalienne et déterministe, où le lieu détermine l’identité des individus13. La deuxième renvoie à l’image que les autres ont d’une personne, par rapport à la façon dont est désigné un individu ou un groupe : « par exemple leur statut professionnel (les professeurs, les ouvriers), familial (les mères), sexuel (les femmes), générationnel (les jeunes), ou encore un caractère morphologique (les noirs) » (DEBARBIEUX, 2006, p. 341). En géographie, l’identité sociale est utilisée pour qualifier un lieu en fonction de sa population, comme le type de quartier (populaire, bobo, gay, gentrifié, etc.) ou à l’inverse qualifier le peuple en fonction de son environnement (les métropolitains, les campagnards, etc.) (Ibid., p. 342). Le troisième type d’identité est celui qui qualifie comment l’individu s’identifie lui-même. Enfin,

« l’identité collective désigne le sentiment et la volonté partagés par plusieurs individus d’appartenir à un même groupe » (Ibid., p. 342). Pour Debarbieux, ces différentes facettes de l’identité ne sont pas à interpréter séparément. Chacune est constructive d’une réalité, bien que l’auteur privilégie une approche par l’auto-identification des personnes et collectivités (donc avec l’association de l’identité personnelle et collective) qui, pour le cas des identités locales, consistent, « par la pensée symbolique et par les actes, à configurer des entités géographiques pérennes ou pensées comme telles ; elles sont alors « enracinées » et exploitent un registre de temporalité longue » (Ibid., p. 352). Le discours et la pratique des lieux construisent donc l’identité du quartier, par exemple.

Dans l’urbanisme la notion d’identité peut être très importante, notamment lors de la création de plans directeurs de quartier par exemple. L’urbaniste suisse Cédric van der Poel explique dans le cadre de la réalisation d’un bâtiment dédié à la recherche à Neuchâtel, le plan de quartier est conçu comme capital à la création d’une identité locale. « [L’espace public]

13 Bernard Debarbieux (2006) donne l’exemple du Tableau de la géographie de la France par le géographe Paul Vidal de la Blache en 1903. La France vidalienne est une France intemporelle avec des caractéristiques fixes qui vont à leurs tours définir les français, dans l’ensemble du peuple de France (p. 343).

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acquiert une certaine autonomie, mais forme avec le nouveau bâtiment un couple cohérent à l'identité forte, au service des utilisateurs du site, des habitants du quartier et, plus largement, du rayonnement international de la ville et du canton » (VAN DER POEL, 2014, p. 24).

Autrement dit, le renouvellement urbain va de pair avec un renforcement, voire une évolution des identités locales à la fois à l’échelle du quartier, mais aussi à celui du canton pour le cas de Neuchâtel. La géographe française France Guérin-Pace (2007) vient nuancer l’idée d’une identité forte de quartier à travers l’étude Histoire de vie (INSEE, 2003) à laquelle elle a participé. Cette étude quantitative regroupe 6’142 personnes vivant en France en milieu urbain et s’intéresse à l’attachement de ses individus à leur quartier. Les résultats montrent que la région (en termes de région française, donc à une échelle large) est un niveau d’appartenance plus fort chez la population interrogée que l’échelle du quartier (GUÉRIN-PACE, 2007, p. 152). Cependant, le quartier n’est pas une échelle négligeable pour comprendre les différents phénomènes d’appartenance et d’attachement au lieu. De plus, il s’agit d’une étude française et donc la situation pourrait différer pour un cas suisse. Elle note que « lorsqu’un sentiment positif ou négatif se développe en relation avec le quartier, il crée un sentiment d’appartenance exacerbé à cette échelle, qui peut ou non être mobilisé comme facteur de construction identitaire » (Ibid., p. 162). Autrement dit, l’identité de quartier et l’attachement au quartier est intimement liée au vécu des individus (identité personnelle), mais cela n’exclut pas qu’un groupe d’individus s’identifie de façon similaire à un même quartier (identité collective).

Une construction de l’identité spatiale chez les jeunes

Dans le livre du psychologue Kaj Noschis (1984), Signification affective du quartier, une section sur la « Place de jeu » (pp. 82-93), développe le rapport de l’enfant à son quartier. Il ne parle pas spécifiquement de jeunes où d’adolescents, mais de plusieurs étapes de l’enfance, allant de l’attachement à la mère dans les premières années de vie à l’expérimentation individuelle, ou accompagnée de pairs, de l’espace public. Noschi estime que le quartier est spécialement important pour l’enfant, car il est constitutif de son identité et de son apprentissage de la ville, en insistant particulièrement sur le trajet scolaire comme moment développant les habitudes et les affects de l’enfant. « L’enfant apprend vite à connaitre les arrêts intéressants sur son chemin, à savoir où habite le chien qui aboie, où se trouve le

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magasin de friandises, le cours d’eau qu’on traverse, le chantier, la ruelle où « ça sent mauvais », où sont les flaques d’eau quand il pleut, l’endroit où il y a beaucoup de va-et-vient, l’atelier du cordonnier, la boulangerie » (NOSCHI, 1984, p. 87). Le quartier est vécu avant tout à travers les sens de la vue, de l’ouïe, du toucher et de l’odorat permettant de ressentir l’environnement nous entourant. La thèse de Noschi est donc qu’à travers ces expériences et ressentis, liées à une routine, l’attachement au quartier est une étape incontournable du développement de l’enfant lui permettant de construire ses repères, d’autant plus quand ses expériences sont vécues dans l’autonomie de l’autorité parentale.

Pour le pédopsychiatre Jean-Louis Le Run (2006), ce qui caractérise spécialement l’adolescence est l’aspiration de se sentir appartenir à une bande : « De la simple bande de copains fluctuant au gré des attirances au « gang » délinquant très organisé, les formes que peut revêtir la bande sont multiples. […] Elle joue un rôle dans la construction psycho-affective de l’adolescent en ce qui concerne son identité, sa socialisation et sa maturation affective » (pp. 59-60). C’est donc avant tout dans la relation entre pairs que se crée l’identité des jeunes, et se sont dans les pratiques, qu’ont ces jeunes entre eux, que se créent leurs territorialités. « C’est en général collectivement, plutôt que seul, dans la protection et l’assurance que donne la bande, que l’adolescent va découvrir et explorer de nouveaux espaces, sans ses parents » (Ibid., p. 61). Les spécialistes en Early Childhood Studies Donna Koller et Meredith Farley (2019) critiquent le fait que la littérature a grandement tendance à s’arrêter sur l’attachement des enfants aux personnes et très peu à leur attachement aux lieux.

Elles se basent sur la théorie de Louise Chawla (1992) disant que les « lieux sont déclinés en trois formes d’accomplissement : la sécurité et le sentiment d’appartenance, l’affiliation sociale, et l’expression créative et l’exploration »14 (KOLLER & FARLEY, 2019, p. 492).

Cette perspective rejoint celle de Le Run, comme quoi la bande permet d’assurer un sentiment de sécurité dans différents espaces. « L’adolescent urbain déambule aussi, mais en petit groupe. Il teste ainsi son individualisation dans un dialogue avec ses copains. Il apprend à se connaître en relation avec autrui » (RAMOS & DE SINGLY, 2016, p. 66). Et par la même occasion, forger son identité spatiale à travers la mobilité – et immobilité – qu’il expérimente avec ses pairs.

14 Traduction personnelle : « […] places are delineated by three forms of fulfillment: security and belonging, social affiliation, and creative expression and exploration ».

27 L’identité de quartier chez les jeunes

Les études sur la jeunesse et son rapport au quartier ont une grande tendance à s’orienter sur une jeunesse marginalisée, de milieu populaire et surtout violente. Une simple recherche sur Google Scholar, associant « jeunesse » et « quartier », fait ressortir des dizaines d’articles sur ce biais d’analyse ; à noter malgré tout qu’il s’agit d’études essentiellement françaises datant des années 1990 et 2000. Associer « Youth » et « neighborhood » pour faire la même expérience avec la littérature anglophone, débouche sur des articles beaucoup plus diversifiés.

Le sociologue français Mustafa Poyraz (2003) fait une différenciation de classe sociale entre les jeunes de la rue et les autres qui semblent être les « invisibles » de l’espace public, puisque leurs activités sont encadrées dans des espaces institutionnalisés (POYRAS, 2003, p. 121). En langue française, il est donc facile d’associer le jeune du quartier à une sorte de délinquant. Il s’agit d’un essentialisme marginalisant et discriminateur qui obstrue une lecture d’analyse d’une jeunesse qui est en réalité bien plus hétéroclite. C’est le point de vue du sociologue français Marwan Mohammed (2011) qui va dans ce sens en insistant sur le fait que la société n’a plus de frontières de classes aussi nettes qu’autrefois et parle d’un processus de

« moyennisation ». « Chaque groupe emprunte aux autres et complique la distinction des registres normatifs (famille, école, pairs, territoire, communautés, médias, cultures de masse) » (MOHAMMED, 2011, p. 29). Il y a un métissage des cultures, donc un véritable arc-en-ciel des identités à la fois individuelles et collectives. L’étude de Mohammed, comme beaucoup d’autres, porte sur des jeunes de quartiers défavorisés, non en tant que groupe compact, mais comme un éventail de ce qu’il appelle les « délires », à l’image du discours de ses enquêtés. « Chaque « pôle normatif » [les délires] repose à la fois sur un pilier culturel (préférences musicales, vestimentaire, festives…), éthique (valeurs morales, objectifs sociaux, idéologie, représentations, type d’inscription sociale), symbolique (postures corporelles, type de communication sociale, circuit de valorisation et d’accès à la reconnaissance), temporel (emploi du temps, rapport au présent et à l’avenir) et matériel (opportunités de consommation, régime d’échanges de bien et de service) » (Ibid., p. 31). Il n’existe donc pas une seule identité de quartier chez les jeunes. Leur identité passe à travers le groupe d’amis et leurs différentes activités. Le quartier devient donc un lieu qu’ils s’approprient en fonction de leur mode de vie.

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En raison du capital de mobilité plutôt réduit d’une population jeune, le quartier est donc un

En raison du capital de mobilité plutôt réduit d’une population jeune, le quartier est donc un