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2. L’apprentissage avec ordinateur

2.3. Les interactions entre apprenants dans les EIAH

Certains EIAH visent à supporter un apprentissage par le biais de discussions entre apprenants. Parmi ces systèmes, nous avons considéré deux catégories. La première regroupe les systèmes dont l’objectif est précisément «!d’apprendre à interagir!», comme le système BetterBlether [Robertson et al., 1998]. Le système DIACOM ne se positionne pas dans cette catégorie, car il vise la co-construction de connaissances sur les stratégies de prise en charge de la douleur, et non pas l’apprentissage des médecins à interagir.

La deuxième catégorie concerne les systèmes favorisant les interactions effectives entre apprenants, dans le cadre d’activités collectives de résolutions de problèmes à distance. Nous nous sommes intéressés aux travaux de Baker relatives aux interactions épistémiques, définies comme des interactions verbales, en particulier explicatives et argumentatives [Baker et al., 1999]. L’objectif de ces recherches est d’étudier les conditions favorables à l’émergence de telles interactions lors d’activités de résolution de problèmes. Cette étude a été menée sur cinq ans grâce à l’élaboration de trois EIAC pour l’apprentissage des sciences!: C-CHENE, CONNECT et DAMOCLES. Ces EIAC disposent d’interfaces de communication synchrones par Internet. Les élèves doivent, à travers ces interfaces, expliquer et défendre leurs propres points de vues, points de vues par rapports auxquels ils ont un certain degré d’engagement. Ces phases d’interactions dialoguées et d’argumentation peuvent alors amener les apprenants à clarifier leur discours et leurs opinions, voir à modifier leur degré d’engagement vis à vis d’une solution. Nous présentons ici un résumé de ces recherches présentées dans [Baker et al., 2001].

® C-CHENE

Le système C-CHENE permet à des couples d’apprenants (dyades) d’apprendre à constituer des chaînes énergétiques (modèles qualitatifs de stockage, de transfert et de transformation de l’énergie) dans des situations expérimentales simples. Deux interfaces consécutives ont été conçues. L’utilisation de ces interfaces par des dyades d’apprenant a ensuite été analysée, en particulier les interactions épistémiques qu’elles pouvaient engendrer.

Suite à l’usage de la première interface, de type «!boîte de dialogue!», le bilan est plutôt nuancé. Les élèves se sont peu engagés dans les interactions épistémiques. Il semble en effet que la charge cognitive induite par l’activité de résolution de problèmes soit trop importante pour faciliter des interactions épistémiques en parallèle. Par ailleurs, il faut remarquer que quelques dyades n’ont pas interagi. Enfin certains éléments de la boîte de dialogue ont été détournés, comme le bouton

d’alerte qui a été utilisé pour permettre de notifier à l’autre qu’il passe d’une phase de dessin à une phase de discussion.

Cette constatation a permis aux auteurs de prendre conscience qu’un certain degré de contrainte dans la communication n’était pas nécessairement négatif. La seconde interface a alors été conçue comportant des boutons spécifiques de communication dédiés à des fonctions particulières. L’objectif sous-jacent de cette interface est d’aider à l’expression des points de vue et d’améliorer la gestion des interactions. Suite à l’utilisation de cette nouvelle interface par quatre dyades, il apparaît qu’un degré de contrainte sur la communication médiatisée favorise des interactions plus axées sur la réflexion, même si le degré d’interactions épistémiques reste inchangé. Ainsi, cette série de travaux relatifs à l’EIAC C-CHENE a permis de constater que la charge cognitive visant à assurer en parallèle la résolution de problème et les interactions épistémiques était trop importante. Il est alors préférable de séparer les phases de résolution de problème des phases de discussion. Enfin, un second constat important est qu’il apparaît nécessaire de choisir les partenaires d’une interaction de façon judicieuse. Cela permet d’éviter les non-interaction, voir d’en augmenter l’efficacité. La phase de recherche suivante, relative à l’EIAC CONNECT tient compte de ces conclusions.

® CONNECT

Le système CONNECT est un EIAC dédié à la comparaison critique de textes individuels et à la rédaction collective d’un texte. L’idée est de constituer des dyades d’apprenants qui ont un intérêt à interagir lors d’une activité de rédaction collective de texte. Ainsi, chaque apprenant commence par rédiger individuellement un texte. CONNECT se préoccupe ensuite d’analyser les contributions textuelles et d’en comparer les différences conceptuelles. Cette comparaison aboutit à la constitution de dyades d’apprenants, propices au développement d’interactions épistémiques, en favorisant les appariements qui maximisent ces différences conceptuelles. Enfin, CONNECT diminue la charge cognitive due à l’activité de résolution de problème, en proposant un séquencement des tâches de rédaction individuelle, d’interaction, puis de rédaction collective.

CONNECT a été expérimenté sur une tâche d’interprétation d’un phénomène sonore avec six dyades d’une classe de seconde. CONNECT a alors mieux réussi à promouvoir les interactions épistémiques que le système C-CHENE, notamment grâce aux principes de constitution des dyades et au séquencement des étapes de discussion et de résolution de problèmes. Le troisième système conçu par l’équipe de Baker se nomme

DAMOCLES. Il capitalise les retours d’expériences relatifs à la conception et à l’expérimentation de C-CHENE et de CONNECT.

® DAMOCLES

Le dernier système développé et étudié se nomme DAMOCLES [Quignard, 2000]. Cet EIAC est dédié à la construction de chaînes énergétiques et à l’argumentation autour de solutions composées. Le point fort de DAMOCLES est de permettre aux élèves de réfléchir à leurs propres solutions et de s’engager à leur égard, avant de procéder aux interactions. Ce principe permet d’une part au système de comparer les solutions individuelles, pour constituer les dyades. D’autre part, du fait de l’engagement qu’ils prennent vis-à-vis de leur solution, les apprenants ont une base solide de réflexion pour pouvoir défendre leurs points de vues. Ainsi, les élèves de DAMOCLES commencent par construire leur propre chaîne énergétique. DAMOCLES analyse ensuite chaque production d’élève sur la base des conceptions sous-jacentes et évalue le potentiel argumentatif de toutes les dyades possibles. Le but est de maximiser les différences pour provoquer les conflits générateurs d’argumentation. Ce système comprend notamment un algorithme de constitution des dyades sur la base de l’analyse automatique des solutions. Deux élèves sont appariés lorsqu’ils proposent des solutions les plus différentes possibles, du point de vue des conceptions, de l’application des règles et de la justesse.

Une fois les dyades constituées, les élèves sont invités à discuter de leurs approches au travers d’une interface de communication proche de celles élaborées pour C-CHENE et CONNECT. Enfin, dans une dernière phase, les élèves doivent individuellement reconstruire puis critiquer les solutions sur lesquelles ils se sont mis d’accord.

DAMOCLES a été testé avec quatre dyades. Les résultats sont similaires à ceux obtenus lors des expérimentations menées avec CONNECT, avec pourtant une très nette augmentation de la proportion d’interactions épistémiques dédiées expressément à l’argumentation.

Ces travaux de recherche sur les EIAC ont permis de mettre en exergue diverses conditions favorables à l’émergence d’interactions épistémiques lors des apprentissages. Nous en retiendrons trois. La première constitue la séparation les phases de résolution de problème des phases de discussion. Cette condition permet de diminuer la charge cognitive rendant plus favorable l’émergence des interactions. La deuxième traduit la nécessité d’une réflexion individuelle préalable de chaque apprenant sur le sujet considéré et d’un certain degré d’engagement de celui-ci vis-à-vis d’une solution. Cette condition permet que l’argumentation soit privilégiée au cours des interactions

épistémiques. La troisième privilégie une constitution adéquate des partenaires d’interactions (dyades). L’émergence d’interactions épistémiques est, en effet, favorisée par le choix judicieux de ces dyades principalement en privilégiant les différences de point de vue. La constitution de ceux-ci est facilitée par une analyse comparative des solutions individuelles vis-à-vis desquelles chaque apprenant s’est engagé dans une phase préalable. Cette comparaison a pour objectif de mettre en présence les partenaires qui présentent des désaccords majeurs.

Après avoir balayé les recherches dans les EIAH, intéressons nous maintenant à la place prise par l’apprentissage avec ordinateur dans l’enseignement de la médecine.!