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LES HABILETÉS NUMÉRIQUES DANS DES POPULATIONS

Dans le document N 76/77 A.N.A.E. (Page 114-117)

dans les apprentissages numériques

LES HABILETÉS NUMÉRIQUES DANS DES POPULATIONS

AVEC DÉFICITS VERBAUX

Les études se sont attachées plus particulièrement à trois populations : les enfants dysphasiques, les enfants souf-frant de troubles spécifiques du langage (SLI : Specific Language Impairment) et les enfants sourds.

Chez l’enfant porteur d’une dysphasie de développement, les très rares travaux sur leurs difficultés dans les acquisi-tions arithmétiques décrivent plus des limitaacquisi-tions de per-formances que des désordres dans les mécanismes d’acquisition ou dans les compétences [23]. Dans une étude portant sur des enfants dysphasiques de 8 ans, Camos et collaborateurs [8] ont évalué les performances de ces enfants grâce à des épreuves de production et leurs compétences grâce à des épreuves de jugement. Au niveau des compétences, les enfants dysphasiques ont des résul-tats similaires à ceux d’enfants d’un groupe contrôle de même âge. La seule difficulté des enfants dysphasiques se situe au niveau de la longueur de leur chaîne numérique verbale, laquelle est restreinte par rapport à celle des enfants de leur groupe contrôle et même à celle des enfants

d’un second groupe contrôle qui ont en moyenne deux ans de moins (i.e. enfants de 6 ans). Contrairement à ce que Camos et collaborateurs[6, 7]avaient observé chez de jeu-nes enfants sans déficit, l’énonciation de la chaîne numé-rique lors du dénombrement n’aide pas les enfants dyspha-siques à produire la chaîne verbale plus correctement ni plus rapidement. Lors du dénombrement, ils font même plus d’erreurs (probablement dues à la nécessaire gestion en parallèle de deux habiletés, énonciation et pointage) tout en conservant des temps sensiblement identiques (en fait, très légèrement inférieurs). Girard (cité par [23]) retrouve cette faiblesse dans l’énonciation de la chaîne numérique chez des enfants dysphasiques de CP, CE1, CM1 et 6e, les enfants les plus âgés ayant cependant moins de difficultés que les plus jeunes. Il montre également que les difficultés des enfants dysphasiques ne se limitent pas à l’énonciation des mots-nombres mais qu’elles affectent aussi les résolutions d’opérations et de problèmes [23].

Les enfants avec des troubles spécifiques du langage pré-sentent également un retard dans l’acquisition de la chaîne numérique verbale [13, 14, 15]. Par exemple, des enfants de 4 ou 5 ans ne peuvent produire une chaîne correcte au-delà de 10. La taille moyenne de la chaîne numérique pour les enfants de 6 ou 7 ans est de 42 (i.e.énonciation sans erreur et sans aide jusqu’à 42) alors que les enfants sans déficit de même âge peuvent aller jusqu’à 85 [14]. En ce qui concerne les connaissances conceptuelles sous-tendant le dénombrement, les enfants avec troubles spécifiques du langage ont une bonne compréhension à la fois des princi-pes mais également de l’intérêt d’utiliser le dénombrement pour résoudre certains problèmes, comme les problèmes impliquant des additions simples. Par contre, la mise en œuvre du dénombrement est difficile, même chez des enfants de 6 ou 7 ans. Pour les petites collections inférieu-res à 10 objets, les enfants avec troubles langagiers ont des performances similaires à ceux d’enfants contrôles de leur âge. Cependant, pour les collections entre 10 et 30 objets, ils ont des résultats significativement inférieurs à ceux des enfants contrôles. Cette difficulté est due au fait que les enfants avec troubles langagiers échouent à produire la chaîne numérique et plus spécifiquement à récupérer en mémoire à long terme les noms de nombres. Toutefois, lorsqu’on compare la production de noms de nombres lors de l’énonciation seule et lors du dénombrement, ces enfants ont de meilleures performances lorsqu’ils doivent utiliser la chaîne numérique dans le dénombrement. Ce résultat serait à rapprocher de ce qui est observé chez les jeunes enfants sans déficit [6, 7]. Dans la résolution d’opérations, ces enfants présentent un retard dans l’installation et la récupération des faits et appliquent la stratégie primitive du « tout compter » plutôt que celle du

« compter à partir de »[13, 14]. Cependant, la présence de troubles de la mémoire de travail verbale presque toujours associés à ces troubles du langage pourrait constituer une explication.

Les enfants sourds constituent également une population où l’on peut s’attendre à observer des difficultés dans les apprentissages numériques dues à leur pauvre capacité langagière. Peu d’études sont consacrées aux activités mathématiques chez les sourds. Toutefois, dans une étude sur la résolution d’opérations élémentaires, Hitch, Arnold et Phillips [21] ont montré que des enfants sourds de 11 ans utilisaient tout autant le comptage pour déterminer

V. CAMOS

la réponse d’additions simples que des enfants entendants.

Si cette étude met en évidence la compréhension du rôle du comptage comme outil de résolution d’opérations par les enfants sourds, il faut néanmoins remarquer que les enfants entendants du groupe contrôle étaient de quatre ans plus jeunes que les enfants sourds auxquels on les comparait. Ceci conforte les résultats de nombreuses recherches où les enfants sourds présentent un plus ou moins grand retard en mathématiques par rapport à leurs pairs entendants[1, 5, 16, 28, 42]. Ce retard ne provien-drait pas uniquement de la surdité elle-même mais égale-ment de la déprivation d’information et de la moindre opportunité d’apprentissages « accidentels », via les jeux, les histoires ou la télévision [16, 27]. Une étude récente s’est intéressée à un aspect du comptage spécifique aux enfants sourds : le dénombrement en langue des signes [24]. Cette étude souligne que les enfants sourds d’âge moyen 5 ans ne différent pas des enfants entendants de même âge ni sur la mise en œuvre du principe de cor-respondance un à un (c’est-à-dire un mot pour un objet) ni sur le pointage des objets (c’est-à-dire qu’ils ne faisaient pas plus d’oubli ni de double comptage que les enfants entendants). Par contre, les enfants sourds produisaient plus d’erreurs dans la séquence de nombres. Une erreur en particulier leur était spécifique. Elle consistait à produire les mêmes nombres de façon répétée : par exemple, « un, deux, trois, un, deux, un deux, trois » pour dénombrer des collections de 8 objets. Cette étude montre également un retard des enfants sourds dans la production de la chaîne numérique, retard de deux ans par rapport aux enfants entendants. Malgré ce retard, les enfants sourds ont une bonne compréhension du principe de correspondance un à un. Les auteurs suggèrent que l’utilisation d’un dénombre-ment visuo-manuel par les enfants sourds faciliterait la capacité à faire le lien entre une quantité et le nombre qui lui correspond. La structure de la langue des signes qui fait apparaître clairement la base1pourrait également être à la source de cette facilitation.

L’étude de ces trois populations montrent que, quel que soit le déficit de ces enfants (dysphasie, SLI ou surdité), les déficits verbaux affectent la construction de la chaîne numérique verbale et vont donc en conséquence amoindrir les performances de ces enfants dans les activités numéri-ques par rapport à des enfants contrôles de même âge.

Cependant, on remarquera que ces enfants ne présentent aucune difficulté en ce qui concerne la compréhension des principes sous-tendant le dénombrement et le rôle que celui-ci peut jouer dans la résolution d’opérations. Ceci semble supporter l’idée d’une relative indépendance entre les capacités langagières des enfants et leurs capacités conceptuelles dans le domaine numérique [11].

CONCLUSION

Au vu de ces résultats, il est clair que de plus amples étu-des sont nécessaires à l’exploration étu-des capacités numéri-ques chez les enfants et adolescents présentant des troubles

langagiers. De plus, bien qu’il ne fasse plus de doute que les êtres humains disposent dès la naissance, ou très préco-cement, d’habiletés proto-numériques, les liens existant entre, d’une part, ces habiletés et les intuitions dont nous avons hérité grâce à l’évolution et, d’autre part le système numérique verbal ne sont pas encore connues. Les tentati-ves sont en effet rares qui ont pour objet l’étude de la cognition numérique dans la petite enfance, entre 2 et 4 ans. Il s’agit pourtant d’un moment clef du développe-ment où il devrait être possible de déterminer si l’apprentissage du système numérique verbal s’appuie sur le système proto-mumérique préexistant, ou bien s’il s’agit de deux constructions indépendantes qui ne sont qu’ensuite, et difficilement, connectées. La réponse à cette question devrait permettre de décider si les approches pédagogiques du nombre à la maternelle ou les rééduca-tions doivent ou non s’appuyer, et si oui de quelle manière, sur les intuitions préverbales déjà présentes chez le bébé.

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V. CAMOS

Mathématiques et dysphasies

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