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de l’approche pragmatique

Dans le document N 76/77 A.N.A.E. (Page 94-98)

M. MONFORT

Directeur du centre spécialisé Entender y Hablar, Calle Pez Austral, 15, 28007 Madrid, Espagne.

RÉSUMÉ:Les contradictions de l’approche pragmatique.

Notre démarche d’intervention dans les troubles graves de l’acquisition du langage s’inspire essen-tiellement d’un modèle fonctionnel qui situe l’apprentissage des formes verbales dans le contexte d’ « actes de langage » et la modification de l’interaction parentale. Il semble paradoxal cependant que, dans les cas d’enfants présentant un trouble pragmatique du langage (ou syndrome séman-tique-pragmatique), ce type d’approche soit souvent inefficace ou insuffisant. L’analyse différen-tielle des principaux symptômes essaye de montrer pourquoi et dans quel cas une démarche cogni-tive, d’apprentissage explicite, doit souvent être mise en place, combinée avec l’orientation générale d’une intervention sur le milieu naturel d’interaction, à la maison et à l’école.

Mots clés: Troubles graves de l’acquisition du langage — Interaction parentale — Syndrome sémantique pragmatique — Apprentissage explicite.

SUMMARY : The contradictions of the pragmatic approach.

Our policy as regards intervention in the case of severe language acquisition disorders is based mainly on a functional model which puts the learning of verbal forms in the category of « language acts » and the modification of parental interaction. It seems paradoxical however that, in the case of children with a Semantic Pragmatic Language Disorder (or semantic-pragmatic syndrome), this type of approach is often ineffective or inadequate. Differential analysis of the main symptoms is aimed at showing why, and under what circumstances, a cognitive approach involving explicit learning must often be used, combined with a overall policy of intervention within the natural environment, at home and at school.

Key words :Severe language acquisition disorders — Parental interaction — Semantic-pragmatic syndrome — Explicit learning.

RESUMEN:Las contradicciones del planteamiento pragmático.

Nuestro proceso de intervención en los trastornos de la producción del habla se inspira principalmente de un modelo funcional que situa el aprendizage de las formas verbales en el contexto de « actos de habla » y la modificación del interacción parental. Parece paradójico sin embargo que, en niños con trastornos pragmáticos del lenguage (o sindroma semántico-pragmático), ese tipo de planteamiento es, la mayoría de las veces, ineficaz o insuficiente. La análisis diferencial de los principales síntomas trata de demostrar porqué, y en qué caso, el proceso cognitivo de aprendizaje explícito, tiene que estar utilizado también, combinado con la orientación general de una intervención sobre el medio ambiente de interacción, en casa y en la escuela.

Palabras clave: Trastornos graves de la producción del habla — Interacción parental — Sindroma semántico-pragmático — Aprendizage explícito.

INTRODUCTION

Au sein des programmes d’intervention langagière centrés sur les symptômes, l’on distingue habituellement deux types d’approche (Monfort et Júarez, 2001).

La première, de type formel, se caractérise par une série de traits tels que :

– la pré-programmation de contenus langagiers explicites ; – l’apprentissage de ces contenus dans des situations qui

ne sont pas réellement liées à leur utilisation normale et sont souvent d’enseignement explicite ;

– le renforcement par l’approbation ou désapprobation de l’adulte ;

– une progression en étapes séparées : discrimination -compréhension - répétition - expression induite - généra-lisation.

La difficulté de choisir a priori des contenus langagiers explicites pour chaque enfant, le manque fréquent de

géné-A.N.A.E.,

2004 : 76-77 ; 94-97 M. MONFORT

LES CONTRADICTIONS DE L’APPROCHE PRAGMATIQUE M. MONFORT

ralisation des acquis et l’obstacle majeur d’un apprentis-sage situé en dehors de véritables « actes de langage » ont poussé un certain nombre de praticiens à développer une approche plus fonctionnelle (aussi appelée « globale » — Norris et Hoffman, 1993 — « pragmatique»ou « interac-tive » — Mac Donald et Blott, 1974 — « naturalistique »

— Bochner et al., 1988, Yoder et Kaiser, 1995) dont les caractéristiques principales sont les suivantes :

– le contenu langagier est induit par une situation réellement communicative qui rend nécessaire l’usage de celui-ci ;

– la progression se fonde sur le contrôle des contingences et le retrait progressif de l’étayage ;

– le renforcement se base sur l’efficacité du message ; – la technique d’entraînement utilise des procédés naturels

tels que le retard temporel, le feed-back correctif, l’induction, l’imitation différée, appliqués au sein des interactions d’une manière plus systématique ;

– en plus des séances, l’accent est mis sur la stimulation dans l’entourage naturel de l’enfant (la famille, l’école — Weitzman, 1992).

Cette approche a également ses limites, notamment au niveau de l’acquisition de certaines structures superficielles de la langue dont l’absence ou l’incorrection ne gêne ni la compréhension ni la transmission d’un message, chez des enfants dont les mécanismes d’imitation « automatique » ne sont cependant pas efficaces ou ne le sont plus à l’âge où ils abordent ces contenus, souvent très éloigné de la

« période critique » correspondante.

L’approche fonctionnelle ou pragmatique a le mérite de réintroduire les dimensions sémantiques et pragmatiques dans tous les échanges qui se mettent en place lors des interactions qui se produisent entre l’adulte et l’enfant.

Celui-ci se trouve toujours face à un problème à résoudre : il doit donc prendre une décision, tenir en compte l’intention de l’interlocuteur, son information préalable et les données du contexte, choisir une stratégie pour arriver à ses fins, trouver les mots pour l’appliquer, les agencer dans un énoncé et produire finalement le message oral (ou écrit ou signé).

C’est l’efficacité (c’est-à-dire la réponse de l’autre) qui montre à l’enfant qu’il a « bien parlé » et non le fait que l’adulte lui dise que c’est bien ou que ce ne l’est pas.

Dans une approche fonctionnelle, nous manipulons cons-tamment les paramètres des contingences de la situation interactive afin de la simplifier ou de la compliquer et de créer ainsi des « besoins » de langage qui se situent ainsi à l’intérieur de la « zone proximale de développement », chère à Vygotsky.

Même dans une tâche très simple, tous les éléments d’un acte complet de langage seront présents.

Dans les cas de troubles sévères et durables du langage (par exemple chez les enfants présentant une surdité pro-fonde ou sévère, une déficience mentale, une dysphasie), il est presque toujours nécessaire de combiner les deux approches.

Le besoin d’un étayage formel est souvent dû au retard chronologique important qui se produit pour certains contenus langagiers (surtout phonologiques ou syntaxi-ques) qui sont abordés à un âge où l’enfant ne dispose plus des habiletés « d’acquisition automatique » propres au tout petit enfant.

Dans certains cas, il s’agit même d’un déficit structurel (le cas par exemple de l’agrammatisme des enfants présentant une dysphasie de type phonologique-syntaxique) qui bloque à l’origine le traitement central de certains traits de langage et empêche ainsi l’enfant de profiter de situations naturelles d’acquisition, même très simplifiées.

Dans notre modèle, cependant, la hiérarchie entre ces deux approches, formelle et fonctionnelle, reste très claire : notre démarche est essentiellement fonctionnelle et les acti-vités formelles sont un complément que l’on rajoute à des contenus déjà existants s’il se produit une dysharmonie entre l’ensemble de l’évolution de l’enfant et un aspect particulier de son acquisition du langage.

LE CAS PARTICULIER DES TROUBLES PRAGMATIQUES

DU LANGAGE

Il est cependant un domaine où se produit un certain effet paradoxal par rapport à ce modèle de référence, c’est celui des enfants dont les troubles de langage se manifestent de manière particulière, précisément au niveau de la séman-tique et de la pragmaséman-tique.

Il s’agit d’enfants qui, une fois surmonté le retard initial dans l’apparition du langage oral, récupèrent assez vite les habiletés de compréhension lexicale, de prononciation et de contrôle de la grammaire et de la syntaxe.

Par contre, l’usage qu’ils font du langage pose des problè-mes très importants, tels que :

– des difficultés majeures de compréhension non liées au lexique (les questions, les pronoms anaphoriques, les énoncés ambigus qu’il faut interpréter en fonction du contexte, les métaphores, l’ironie...) ;

– une forte restriction fonctionnelle de l’expression, sou-vent limitée à des demandes ou des ordres ;

– un choix particulier du vocabulaire expressif ( « langage pédant » ) ;

– une forte rigidité dans l’usage des formules verbales et une pauvreté des registres ;

– restriction et rigidité dans le choix des thèmes de conversation (invariance) ;

– des comportements langagiers inadéquats (écholalie, logorrhée...) ;

– manque de respect des règles conversationnelles ; – indifférence apparente aux normes sociales et, en

particulier, aux normes langagières.

Ces symptômes peuvent apparaître dans divers syndromes comme l’autisme et le « spectre autistique » (Tager-Flusberg, 1999), le syndrome sémantique-pragmatique (ou trouble pragmatique du langage) habituellement repris à l’intérieur des classifications de dysphasies (Gérard, 1991 ; Rapin, 1996) mais pas toujours (voir Bishop, 2000 et le débat entre Boucher, Rapin, Allen et Botting publié en 1998 dans la revue International Journal of Language and Communication Disorders vol. 33, 1, pp. 71-108) et dans certaines formes de déficience mentale, tels que le syndrome de Williams ou du X fragile (Rondal, 1999).

Chez ces enfants, les troubles sémantiques et pragmatiques sont considérés comme des troubles primaires.

Il faut cependant rappeler que tous les enfants avec des

troubles importants de l’acquisition du langage présentent des difficultés pragmatiques que l’on considère cependant alors comme secondaires: le manque de langage les empêche de réaliser efficacement leurs intentions ou de comprendre bien celles des autres.

Dans les cas précédents, il existe au contraire une diffé-rence très marquée entre leur connaissance de la langue et l’usage qu’ils en font.

Face aux troubles pragmatiques secondaires, l’approche du modèle général nous semble tout à fait adaptée : la démarche qui consiste à poser des problèmes interactifs à résoudre en contrôlant les contingences nous permet d’amorcer une initiative communicative dont ces enfants comprennent bien la finalité mais pour laquelle ils man-quent de moyens linguistiques que nous nous chargeons alors de leur montrer.

Par contre, dans les cas présentant des troubles pragmati-ques primaires, nous nous heurtons la plupart du temps à un obstacle majeur, situé en amont de la forme linguis-tique : c’est celui de l’intention, de la motivation, du désir, de la compréhension des buts et des fins de la communica-tion, au-delà des simples nécessités concrètes.

Présenter à ces enfants un problème communicatif à résoudre n’amorce souvent aucun essai de réponse : il arrive même souvent que cela entraîne une augmentation de comportements inadéquats tels que l’écholalie ou les stéréotypies verbales.

C’est face à cette difficulté que se produit fréquemment un renversement de l’approche habituelle, cet effet paradoxal cité auparavant.

Ces enfants doivent souvent apprendre d’abord à manier les représentations verbales au sein de situations d’entraînement tout à fait formelles ; l’utilisation répétée de ces représentations et la démonstration explicite de la part de l’adulte de l’usage que l’on en fait habituellement arrive à générer, surtout chez les enfants non autistiques, l’apparition de nouvelles habiletés sociales, de nouveaux intérêts et de comportements relationnels plus riches et mieux adaptés, liés précisément au contenu du programme langagier.

Un exemple pourrait illustrer cette démarche.

Ch. est suivi par notre centre depuis l’âge de 3 ans et demi ; il présentait un retard majeur de la compréhension et de l’expression et un comportement social altéré à tel point que le service psycho-médical correspondant pensait qu’il pouvait s’agir d’un enfant autiste.

Son évolution au cours de la première année fut cependant positive : Ch. se révèle comme un enfant intelligent, hyper-lexique avec, dans le fond, une bonne capacité d’apprentissage des aspects les plus formels du langage.

Son comportement relationnel s’améliore de façon assez parallèle à ses progrès en langage.

À 5 ans, un premier diagnostic de syndrome sémantique pragmatique est posé au vu de la différence significative entre les aspects langagiers liés à la représentation (assez bons) et ceux liés à la communication et aux habiletés sociales (encore fort limités).

L’une de ces difficultés était l’incapacité de Ch. de com-prendre la dynamique de jeux compétitifs tels que le domino, le loto, le memory, les billes, le foot... Il savait y jouer mais sans y participer vraiment puisqu’il ne compre-nait pas le sens de « gagner », de « perdre » : ses réactions émotionnelles en étaient donc tout à fait surprenantes

pour ses camarades, ce qui entravait son intégration dans la plupart des jeux.

Un programme fut mis en place à partir de l’explicitation du langage : tout d’abord associer les termes « gagner » et

« perdre » aux différentes situations de jeu (celui qui finit le premier, celui qui a le plus de fiches...) ; ensuite associer les termes « gagner » et « perdre » aux concepts d’être content, fâché, triste, déçu.

Cela se fit surtout à l’aide de dessin et de la lecture.

Une troisième étape consista à enseigner les expressions verbales liés à ces émotions :

« J’ai gagné ! C’est toi qui as perdu ! Ohé, ohé, ohé... T’as de la chance. Zut, alors... », tout cela de nouveau passé par écrit et associé à des représentations graphiques ou à des situations réelles étayées par ces moyens, en séance et à la maison.

Ch. passa par une première phase d’application extrême-ment rigide des formules verbales mais il aboutit ensuite à une espèce de découverte de ces émotions qui se traduisit alors par des excès notables : le simple fait de gagner une partie de domino était célébrée comme la victoire dans la finale de la coupe d’Europe par le Real Madrid.

Il fut donc nécessaire d’ajuster ces comportements.

À 7 ans, au terme d’une partie, Ch. abat sa dernière carte et me regarde en disant : « Désolé ».

Cette formule, pragmatiquement complexe (puisque que l’on exprime le contraire de ce que l’on ressent), avait en plus le mérite de ne pas avoir été « enseignée » de manière explicite, d’être donc le produit d’un apprentissage « natu-rel ».

Il semblait donc s’être produit un changement qualitatif dans l’interaction sociale de Ch. et non seulement une acquisition un peu machinale de réponses verbales sans implication personnelle, comme c’est malheureusement souvent le cas quand on applique ce genre de démarche à des enfants autistiques.

Tout n’est pas question de langage : Ch. a beaucoup avancé, s’est bien intégré à l’école et se débrouille relative-ment bien avec ses camarades mais reste un enfant

« étrange », aux capacités sociales limitées, comme c’est le cas chez la plupart de ces enfants dont les troubles se situent à mi-chemin entre une discapacité du code et une discapacité de la propre communication.

L’ensemble de la thérapie combine donc un programme langagier et un programme de modification du comporte-ment et de guidance parentale, centré sur les relations per-sonnelles et affectives.

Pour en revenir au thème méthodologique qui nous occupe, nous pensons que cet aspect paradoxal de notre démarche chez les enfants présentant des troubles pragmatiques primaires n’est dans le fond qu’une apparence.

En fait, leur problème naît, entre autres choses, d’une incapacité à traiter l’information sociale à partir de situa-tions naturelles : tout est trop complexe, trop fugace, trop instable, tant en ce qui a trait au langage comme en ce qui n’y a pas trait, comme la communication non verbale, entre autres choses.

Les situations très contrôlées que nous utilisons pour entraîner l’apprentissage de représentations verbales, même si elles relèvent d’une approche formelle, sont autant de « modèles réduits » des interactions sociales, accompagnés de leur mode d’emploi.

M. MONFORT

Cela semble leur permettre petit à petit d’interpréter les comportements des autres et de mieux comprendre le jeu subtil des interactions verbales et des règles sociales.

Le fait d’utiliser des structures visuelles stables (le dessin et l’écriture — Mac Kay et Anderson, 2000 ; Monfort et Monfort, 2001 ; Monfort, Júarez et Monfort, 2003) joue sans doute un rôle important : il donne du temps à l’enfant pour observer et pour comprendre ainsi qu’un moyen com-plémentaire, augmentatif, pour mettre en mémoire ce qu’il faut dire, pourquoi et quand il faut le dire.

RÉFÉRENCES

BISHOP (D.V.M.) : « Pragmatic language impairment : A corre-late of SLI, a distinct subgroup, or part of the autistic conti-nuum ? », In D.V.M. Bishop et L.B. Leonard (Eds) : Speech and language impairments in children,Psychology Press, Hove, UK, 2000, pp. 99-113.

BOCHNER (S.), PRICE (P.), SALOMON (L.) : Learning to Talk : A Program for Helping Language-Delayed Children Acquire Early Language Skills, Macquarie University, North Ryde, Australie, 1988.

GÉRARD (C.L.) : L’enfant dysphasique, Edit. Universitaires, Paris, 1991.

MAC KAY (G.), ANDERSON (C.) : Teaching Children with Pragmatic Difficulties of Communication,Londres, David Ful-ton Publ., 2000.

MONFORT (M.), JÚAREZ SÁNCHEZ (A.) : L’intervention dans les troubles graves de l’acquisition du langage et les dyspha-sies développementales,Ortho-Édition, Isbergues, 2001.

MONFORT (M.), MONFORT (I.) :L’esprit des autres, Ortho-Édition, Isbergues, 2001.

MONFORT (M.), JÚAREZ (A.), MONFORT (I.) : :Los niños con Trastornos Pragmáticos del Lenguaje, Madrid, Enthaedi-ciones, 2003. (version française sous presse chez Ortho-Édition).

NORRIS (L.), HOFFMAN (H.) : Whole Language Intervention for School-Aged Children, San Diego, Singular Publ. Group, 1993.

RAPIN (I.) : « Developmental language disorders : A clinical update »,Journal of Child Psychology and Psychiatry,37, 1996, pp. 643-655.

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TAGER-FLUSBERG (H.) : « Autisme infantile », in J.A. Ron-dal et X. Seron (Eds) : Troubles du langage, Mardaga, Spri-mont, Belgique, 1999, pp. 639-657.

WEITZMAN (E.) : Apprendre à parler avec plaisir,Toronto,Le Centre Hanen, 1992.

YODER (J.) et KAISER (A.P.) : « A Comparison of milieu Tea-ching and Responsive Interaction in Classroom Applications », Language, Speech and Hearing services in School,26, 3, 1995, pp. 33-39.

Le trouble du langage

Dans le document N 76/77 A.N.A.E. (Page 94-98)