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Concurrences infranationales et dynamiques locales

I. UN PATRIOTISME UNIVERSITAIRE LOCAL

1.2. Les fondements économiques de la diplomatie universitaire

La question sociale n’est pas tout. La diplomatie universitaire française possède aussi des origines économiques, liées aux particularités de son écosystème local de naissance. Pour les commodités de l’analyse, on distinguera ici, d’une part, les facteurs économiques qui relèvent proprement de la vie d’une université ; d’autre part, ceux qui, de façon plus indirecte, relèvent de son hinterland et des acteurs locaux, non-universitaires, implantés sur son territoire.

A) Une manne budgétaire espérée par les acteurs universitaires

Le premier facteur économique pouvant expliquer l’essor des relations universitaires internationales et, plus particulièrement, la mise en place de politiques locales d’accueil d’étudiants étrangers, est le souci de prospérité financière des universités françaises, depuis que la loi du 10 juillet 1896 a concédé à ces dernières une marge d’autonomie budgétaire. Un professeur de droit de la faculté de Grenoble en rappelle les conséquences en 1903 :

« Munies du strict nécessaire que leur fournit l’État, elles ont désormais à se procurer les ressources complémentaires dont elles ont besoin non seulement pour leur vie normale, mais encore pour toute extension qu’elles peuvent désirer. C’est ainsi que les préoccupations financières ont pris, notamment dans la vie des universités de province, une importance considérable. On ne sera […] pas surpris que désireuses de se développer, elles se préoccupent de ne laisser échapper aucune source légitime de revenus »836.

Parmi ces sources de revenus figurent les droits universitaires. Depuis 1898 en effet, en application de l’article 4 de la loi du 10 juillet 1896, les droits universitaires acquittés par les étudiants français et étrangers (droits d’études, d’inscription, de bibliothèque et de travaux

836 Joseph Duquesne, Une lacune dans notre régime des taxes universitaires, Paris, A. Chevalier-Marescq & Cie, 1903, p. 1-2.

182 pratiques) abondent directement les recettes ordinaires des universités837. Il ne s’agit pas d’un mince apport : en 1899, la perception des droits universitaires représente plus de la moitié des recettes ordinaires des universités françaises (soit 57,1%). Et si ce taux a tendance à diminuer entre 1899 et 1913, passant sous la barre des 50% en 1911 (48,3%), il est encore de 45,7% à la veille de la Grande Guerre838. Surtout, la ligne budgétaire correspondant à la perception des droits universitaires est celle qui – conséquence logique de la forte croissance des effectifs étudiants (160% entre 1895 et 1913) – connaît, en valeur absolue, la plus forte augmentation au début du XXe siècle. Tandis que la subvention d’État a augmenté d’environ 350 000 francs entre 1899 et 1913 (fixant la participation de la puissance publique à un taux moyen de 12% du budget total des universités), la perception des droits universitaires a, quant à elle, permis aux universités d’augmenter leur budget de plus d’un million de francs au cours de la même période, représentant par-là le poste budgétaire le plus lucratif.

Fig.3.2. - Recettes ordinaires des universitaires françaises (1899-1913)839

1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906

Droits d'études 105 960 103 220 108 785 113 710 122 875 127 305 133 550 151 220 Droits d'inscription 1 305 330 1 331 400 1 348 500 1 356 570 1 376 010 1 472 640 1 494 600 1 535 970 Droits de bibliothèque 176 847 178 120 182 595 185 202 192 670 202 600 208 205 218 815 Droits de travaux pratiques 736 648 770 298 799 297 815 696 856 905 877 617 881 175 930 661

Droits d'examens 4 726 17 253 35 110 41 591 47 316 53 294 58 175 77 148

Total droits universitaires 2 329 511 2 400 291 2 474 287 2 512 769 2 595 776 2 733 456 2 775 705 2 913 814

% droits / Total 57,1% 54,4% 56,7% 56,9% 54,7% 56,2% 55,0% 54,8%

Subvention Etat 502 972 554 912 563 209 602 762 622 390 656 977 654 706 668 000

% Etat / Total 12,3% 12,6% 12,9% 13,6% 13,1% 13,5% 13,0% 12,6%

Subvention Collectivités 126 283 146 059 92 019 215 488 342 137 269 007 313 100 291 110

% Collectivités / Total 3,1% 3,3% 2,1% 4,9% 7,2% 5,5% 6,2% 5,5%

Revenus meubles et immeubles 55 955 55 326 63 529 90 753 103 315 104 381 117 420 143 117

% Revenus meubles / Total 1,4% 1,3% 1,5% 2,1% 2,2% 2,1% 2,3% 2,7%

Publications universitaires 0 0 0 0 0 0 3 195 0

Allocations des établissements 1 440 5 248 11 352 6 340 12 355 18 326 17 405 17 160 Autres ressources (additionnées) 1 065 094 1 251 104 1 159 982 988 832 1 070 572 1 079 708 1 165 344 1 282 373

Total recettes ordinaires 4 081 255 4 412 940 4 364 378 4 416 944 4 746 545 4 861 855 5 046 875 5 315 574

837 « À dater du 1er janvier 1898, il sera fait recette, au budget de chaque université, des droits d’études, d’inscription, de bibliothèque et de travaux pratiques acquittés par les étudiants conformément aux règlements. Les ressources provenant de ces recettes ne pourront être affectées qu’aux objets suivants : dépenses des laboratoires, bibliothèques et collections ; construction et entretien des bâtiments ; création de nouveaux enseignements ; œuvres dans l’intérêt des étudiants. Les droits d’examen, de certificat d’aptitude, de diplôme ou de visa acquittés par les aspirants aux grades et titres prévus par les lois, ainsi que les droits de dispense et d’équivalence, continueront d’être perçus au profit du Trésor » (Loi relative à la constitution des universités, 10 juillet 1896, article 4).

838 Données statistiques établies à partir des Annuaires statistiques de la France (cf. fig.1 infra). 839 Ibid.

183

1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913

Droits d'études 167 065 173 340 183 000 177 955 179 805 182 160 186 610 Droits d'inscription 1 730 100 1 761 030 1 729 680 1 673 280 1 632 300 1 568 460 1 576 080 Droits de bibliothèque 243 937 251 862 253 497 245 005 242 712 236 837 237 385 Droits de travaux pratiques 1 068 939 1 135 223 1 195 836 1 195 869 1 182 104 1 198 658 1 285 513 Droits d'examens 76 375 100 435 107 225 128 565 141 410 147 085 148 985

Total droits universitaires 3 286 416 3 421 890 3 469 238 3 420 674 3 378 331 3 333 200 3 434 573

% droits / Total 52,3% 56,4% 51,9% 50,5% 48,3% 45,8% 45,7%

Subvention Etat 669 115 680 111 678 343 708 876 752 676 803 011 857 451

% Etat / Total 10,7% 11,2% 10,2% 10,5% 10,8% 11,0% 11,4%

Subvention Collectivités 325 368 326 975 281 097 415 347 510 210 582 036 523 726

% Collectivités / Total 5,2% 5,4% 4,2% 6,1% 7,3% 8,0% 7,0%

Revenus meubles et immeubles 248 360 316 944 377 291 397 239 418 727 434 805 459 197

% Revenus meubles / Total 4,0% 5,2% 5,6% 5,9% 6,0% 6,0% 6,1%

Publications universitaires 3 026 2 290 2 438 2 866 2 788 3 023 2 283 Allocations des établissements 19 963 25 326 23 217 26 638 25 521 31 063 38 399 Autres ressources (additionnées) 1 727 375 1 290 761 1 851 465 1 796 666 1 911 251 2 089 988 2 206 275

Total recettes ordinaires 6 279 623 6 064 297 6 683 089 6 768 306 6 999 504 7 277 126 7 521 904

Dans la mesure où plus une université augmente ses effectifs étudiants, plus ses recettes augmentent, on peut sans conteste voir là une motivation toute prosaïque ne pouvant que l’inciter à développer ses relations internationales et à attirer à elle plus d’étudiants étrangers. Le professeur Wilfrid Kilian, de la faculté des sciences de Grenoble, relève ainsi en 1901, dans le rapport annuel adressé par son université au ministère de l’Instruction publique :

« À côté des recettes que le comité de patronage tire des étudiants étrangers, et qui peuvent être considérées par leur emploi comme mises au service de l’université, il importe de tenir compte de celles qu’apportent à nos facultés elles-mêmes, et en particulier à la faculté des lettres, ces mêmes étudiants »840. « En cherchant à attirer des étudiants étrangers à Lyon », écrit pour sa part Albert Offret en 1913, l’université « tend, au moins en apparence, à augmenter ses recettes »841.

Au-delà des apports budgétaires escomptés, qu’en est-il cependant de l’impact réel des étrangers sur les finances universitaires ? Le croisement, pour la période comprise entre 1901 et 1913, des données dont nous disposons sur l’évolution des effectifs des étudiants étrangers d’une part, et sur l’évolution des budgets universitaires d’autre part, semble plutôt démentir l’impression commune : il ne paraît pas y avoir de corrélation très forte entre l’augmentation du nombre d’étrangers et la croissance des revenus tirés des droits universitaires.

840 Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur. Rapports des conseils des universités pour l’année scolaire 1900-1901, vol. 77, Paris, Imprimerie nationale, 1901, p. 144-145.

841 Albert Offret, « L’extension universitaire de Lyon en Orient pendant les années 1911 et 1912 », Bulletin de la Société des amis de l’université de Lyon, 26e année, 1912-1913, p. 56.

184

Fig.3.3. - Taux d’évolution comparés des effectifs étudiants français et étrangers, et des droits universitaires (1901-1913)842

1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909

Taux d'évolution des effectifs

des étudiants français 1,65% 1,57% 2,48% 3,55% 2,76% 4,95% 5,67% 2,65% 0,97%

Taux d'évolution des effectifs

des étudiants étrangers 3,37% 1,13% 8,95% 2,57% 14,33% 14,90% 16,16% 17,87% 11,17%

Taux d'évolution des droits

universitaires 2,99% 1,53% 3,20% 5,04% 1,52% 4,74% 11,34% 3,96% 1,36%

1910 1911 1912 1913

Taux d'évolution des effectifs

des étudiants français -0,72% 0,02% -0,52% -0,21%

Taux d'évolution des effectifs

des étudiants étrangers 10,19% 2,58% 3,39% -0,16%

Taux d'évolution des droits

universitaires -1,42% -1,25% -1,35% 2,95%

Nonobstant leurs valeurs, les taux d’évolution des effectifs étrangers et des revenus tirés des droits universitaires n’indiquent en effet une même tendance – c’est-à-dire une hausse ou une baisse supérieures ou inférieures à la hausse ou à la baisse de l’année précédente – qu’à quatre reprises en 14 ans (1902, 1903, 1906 et 1907). Les discordances sont en revanche plus nombreuses. Si l’on compare à titre d’exemple les années 1904 et 1905, on constate ainsi une accélération de la croissance des effectifs étrangers (+2,5% en 1904, +14% en 1905) alors que la croissance des droits universitaires perçus décélère (+5% en 1904, + 1,5% en 1905). En 1910, la dissociation des deux facteurs est encore plus flagrante : les universités françaises comptent 10% d’étudiants étrangers de plus qu’en 1909, tandis que la croissance des recettes tirées des droits universitaires entre dans le rouge, avec un taux de -1,35% par rapport à 1909.

Comment expliquer ce paradoxe ? Une première réponse pourrait être que les budgets universitaires sont d’abord affectés par l’évolution des effectifs des étudiants français, parce que ces derniers sont plus nombreux que les étrangers. Si l’on regarde du côté des contingents français en effet, une forte ou une faible hausse, de même qu’une forte ou une faible baisse semblent coïncider avec une évolution similaire des recettes universitaires. Pour être en partie fondée, cette explication ne permet cependant pas de comprendre les années 1911 et 1913 : en 1911, les effectifs des étudiants français et étrangers ont beau augmenter (respectivement de +0,02% et de +2,5%), les recettes tirées des droits universitaires diminuent (-1,2%) ; en 1913, c’est l’inverse : les cohortes d’étudiants reculent (-0,2% pour les Français, et -0,1% pour les

185 étrangers) tandis que les recettes augmentent (+2,95%). Le poids que représentent les effectifs des étudiants français n’explique donc pas tout.

Les données manquent en trop grand nombre pour permettre d’être affirmatif et de fixer avec précision la part respectivement prise chaque année à l’augmentation des recettes par les étudiants nouvellement inscrits, français d’une part et étrangers d’autre part. Il faudrait pour cela pouvoir corréler des facteurs pour lesquels nous ne disposons pas – en l’état actuel des recherches – de données nationales bien établies :

- la filière et le niveau d’études de chaque étudiant étranger, puisque les droits universitaires à verser peuvent varier d’une filière à l’autre, en fonction des diplômes visés : à la faculté de droit de Paris par exemple, on sait que « le certificat de capacité revient à 399 francs ; le baccalauréat à 725 francs ; la licence à 415 francs ; le doctorat à 575 francs »843 ;

- la répartition entre le nombre d’étrangers s’acquittant de droits d’inscription (30 francs par trimestre) en vue d’obtenir un diplôme, et le nombre d’étrangers se limitant au versement d’un droit annuel d’immatriculation (20 francs par an), puisque les étudiants s’acquittant des premiers ne sont pas soumis aux seconds 844 ;

- le nombre exact de trimestres d’études passés en France par chaque étudiant étranger, étant donné que les droits d’inscription sont trimestriels et que certains étrangers ne suivent pas toujours une année complète de formation en France ;

- le nombre d’étudiants étrangers dispensés de droits universitaires, puisque certains conseils d’universités, on le verra, accordent parfois ce privilège.

Pour l’heure, le seul montant vérifié, à caractère national, auquel nos sources nous ont donné accès, est celui des droits d’équivalence, acquittés par les nouveaux étudiants étrangers qui se doivent, comme nous l’avons déjà souligné au chapitre précédent, de verser, en plus des droits auxquels sont soumis les étudiants français, les droits afférents aux années d’études qu’ils ont passées à l’étranger et pour lesquelles ils ont demandé l’équivalence. Lors de la suppression de cette taxe propre aux étudiants étrangers en 1914, la commission des finances du Sénat évoquera ainsi un manque à gagner de 140 000 francs par an845. Ce dernier ne saurait

843 Jules Wogue, « Taxes universitaires en France et en Allemagne », Revue politique et parlementaire, n°187, mars 1910, p. 579-580.

844 « Tarif des droits à percevoir. […] Tout étudiant sera désormais soumis à l’immatriculation. Ce droit […] serait de 20 francs par an. Mais comme il serait mauvais, si faible qu’il soit, d’en faire une taxe de superposition, ne le payeraient pas les étudiants astreints aux droits d’inscriptions » (« Exposé des motifs des projets de décrets relatifs à l’organisation des université, présenté au Conseil supérieur de l’Instruction publique par M. Louis Liard, directeur de l’enseignement supérieur, membre et secrétaire du Conseil », cité dans « Décret portant règlement d’administration publique sur le régime financier et la comptabilité des facultés », 22 juillet 1897).

186 cependant être pris en compte ici puisque cette taxe n’abonde pas les budgets universitaires mais, en vertu de la loi de juillet 1896, directement celui de l’État.

Pour comprendre ce paradoxe énoncé plus haut, selon lequel « le nombre des étudiants étrangers peut grossir sans que s’accroissent notablement les recettes des universités »846, nous en sommes donc réduits aux hypothèses. La plus plausible est que les étudiants étrangers, immatriculés à l’université par obligation, ne prennent en revanche que peu – voire pas du tout – d’inscriptions, plus intéressés à suivre les formations françaises qu’à obtenir les grades et diplômes qui leur correspondent. C’est justement l’hypothèse posée par un opuscule passé inaperçu847, publié en 1903 par Joseph Duquesne, professeur à la faculté de droit de Grenoble et fondateur d’un enseignement de droit destiné aux étrangers, qui, sans toutefois donner de chiffres précis, affirme que « la très grande majorité des étudiants étrangers, non candidats à un diplôme d’État [et ne payant donc pas les droits d’inscription y afférents], se contentent d’un certificat de scolarité, constatant la durée du séjour fait dans l’université française et indiquant les cours qu’ils y ont suivis et les exercices pratiques auxquels ils ont pris part »848. C’est d’ailleurs sans doute la raison pour laquelle la communauté universitaire se mobilise depuis le début des années 1890 pour la suppression des droits d’équivalence : leur disparition peut inciter certains étudiants étrangers à prendre une inscription à un diplôme d’État – ce qui est bénéfique pour les budgets universitaires –, au lieu de s’en détourner par crainte d’avoir à payer de surcroît des droits d’équivalence.

L’argument budgétaire, on le voit bien ici, constitue ainsi un paramètre de premier ordre dans la compréhension du rapport de l’institution universitaire avec les étudiants étrangers et, de façon plus générale, avec la plupart de ses programmes internationaux. Car de même qu’il paraît nécessaire, pour la plupart des acteurs universitaires, d’attirer plus d’étudiants étrangers en vue de dégager des marges de manœuvre budgétaires, il importe également, dans la mesure où ces dernières sont terriblement étroites, de favoriser les initiatives à même de mobiliser les acteurs économiques susceptibles d’apporter leur soutien à l’université. Dans cet état d’esprit, les comités de patronage d’étudiants étrangers – sur le même mode que les sociétés des amis d’universités – constituent autant d’instruments de levée de fonds en faveur de l’extension universitaire. Puissants par leurs ressources – le comité de Grenoble, par exemple, dispose

846 Jules Wogue, art. cit., p. 580.

847 Nous n’avons pu en trouver qu’une seule recension, dans la Revue politique et parlementaire (celle de Jules Wogue, art. cit.).

187 d’un budget de près de 100 000 francs en 1909-1910849, soit l’équivalent du budget du Quai d’Orsay à la même période pour les « Œuvres françaises en Occident »850 –, ces comités peuvent financer des bourses de voyage, des missions à l’étranger, la création de nouveaux cours – cours de vacances et/ou cours semestriels – et de nouveaux postes851. À la faculté des lettres de Grenoble, « cinq cours officiellement constitués et rémunérés par le comité de patronage ont fonctionné régulièrement pendant les deux semestres » de l’année 1900-1901, souligne ainsi le rapporteur de l’université en 1901852, tandis que jusqu’en 1907 le comité prend à sa charge le traitement des lecteurs de langue étrangère de la faculté des lettres, enseignement pourtant destiné aux Français et non aux étrangers853.

Pour les animateurs des comités de patronage et des cours nouveaux, ces activités à l’usage des étrangers peuvent représenter, à titre individuel, un surcroît de rémunération non négligeable854. En 1905, Louis Eisenmann, secrétaire général adjoint du comité de Dijon, perçoit à ce titre une indemnité « fixée à 10% du montant des recettes des cours de vacances, avec minimum de 600 frs. », une décision inspirée sur le mode de fonctionnement du comité de Grenoble, « où le directeur des cours est rétribué » lui aussi855. Dans le cas de Louis Eisenmann, chargé de cours à la faculté des lettres de Dijon, cela revient à une augmentation de salaire d’au moins 11%856. Les intervenants des cours de vacances – professeurs de faculté, de lycée, instituteurs, etc.857 – sont souvent rétribués eux aussi, nonobstant les déclarations de désintéressement qui foisonnent dans les rapports858, et quitte à se plaindre de taux de

849 Rapport annuel du Comité de patronage des étudiants étrangers. Année scolaire 1909-1910, Grenoble, Allier Frères, 1910, p. 29-38.

850 Cf. infra, Chapitre 4.

851 Le comité de Grenoble met ainsi, en juillet 1914, une subvention de 4 000 francs à la disposition de l’université pour la création d’un emploi de chargé de conférences de phonétique et de langue françaises (Conseil de l’université, 8 juillet 1914, AD Isère, 21T 112).

852 Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur. Rapports des conseils des universités pour l’année scolaire 1900-1901, vol. 77, Paris, Imprimerie nationale, 1901, p. 142-143.

853 Rapport annuel du Comité de patronage des étudiants étrangers. Année scolaire 1906-1907, Grenoble, Allier Frères, 1910, p. 23.

854 Et plus les effectifs étudiants étrangers assistant à ces cours se développent, plus les rétributions peuvent augmenter. Ainsi à Dijon, en 1914, où l’assemblée générale du comité de patronage des étudiants étrangers décide que « la rétribution des cours de l’année que le comité paye directement est portée de 200 francs à 300 francs » (Registre du comité de patronage des étudiants étrangers de Dijon, 19 février 1914, AD Dijon, SM 20266).

855 Ibid., 5 novembre 1905 (AD Dijon, SM 20266).

856 « Rapport et décret concernant les traitements des chargés de cours et des suppléants dans les facultés », 20 août 1881 (Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, t. 3, op. cit., p. 585-587).

857 C’est le cas de plusieurs villes, comme Grenoble, et ce dès l’ouverture des cours de vacances en 1898 (cf. Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur. Rapports des conseils des universités pour l’année scolaire 1897-1898, vol. 71, Paris, Imprimerie nationale, 1898, p. 154 ; Ibid., vol. 80, 1902, p. 204).

858 Au point que les acteurs en arrivent parfois à ce type d’oxymore : « Il faut [relever] le traitement des professeurs chargés des exercices pratiques qui ont fait preuve, cette année, du plus grand dévouement et du plus grand désintéressement » (Registre du comité de patronage des étudiants étrangers de Dijon, 25 novembre 1905, AD Dijon, SM 20266).

188 rémunération parfois jugés trop bas859, ce qui peut pousser parfois à quelques abus. En 1912, un professeur de l’université de Besançon rapporte ainsi le cas de l’un de ses collègues, « n’ayant consenti à collaborer aux cours de vacances de Besançon qu’au moment où, après huit années de débuts pénibles et de sacrifices, ils avaient pleinement réussi et commençaient à procurer quelques bénéfices »860. Chargé de la direction de ces cours de vacances durant deux ans, puis démis de ses fonctions – « sa gestion administrative [ayant] donné lieu à de tels abus et [ayant] soulevé de telles critiques […] que le conseil de la faculté a dû instituer une organisation des cours, les plaçant sous le contrôle de la faculté » –, le professeur intéressé s’en est ensuite allé proposer ses services à Dijon861.

Pour les universités et les universitaires qui font collectivement ou individuellement ce choix, se forger une vocation internationale représente donc une voie possible de financement. Mais ce choix peut fort bien engendrer en retour des coûts supplémentaires nécessitant à leur tour le développement d’infrastructures destinées à les supporter. Ainsi à Lyon, au début des années 1910, où la volonté de capter un public d’étudiants orientaux dont on espère qu’il pourra accroître les revenus de l’université, oblige en amont à trouver les moyens de financer la publicisation et l’implantation de l’université en Orient :

« La création d’instituts lyonnais à Beyrouth ne peut que contribuer à augmenter [l]es dépenses de l’université. Et l’on peut bien avouer que, même en admettant que l’université réussisse dans sa tentative d’attirer des étudiants orientaux, elle ne verra pas de sitôt s’établir un équilibre favorable entre les recettes supplémentaires, qu’elle fera de ce chef, et les dépenses également supplémentaires que lui imposent ses diverses créations, ses missions d’études et sa publicité. De tous les côtés, elle marche donc vers des dépenses nouvelles. […] L’université aura besoin alors de concours extérieurs. […] C’est donc vers le milieu lyonnais que l’université de Lyon doit chercher le complément des ressources nécessaires pour le succès de son œuvre. Elle n’a pas manqué de solliciter ce concours. Par ses soins, il a été constitué à Lyon un comité de propagande et d’extension universitaire, dans lequel ont bien voulu entrer la majeure partie des notabilités de notre ville »862.

Reste donc à comprendre les fondements économiques de cette participation notabilitaire qui, au sein des comités de patronage, vient appuyer – ou devancer – l’action des universitaires.

859 « M. Eisenmann informe le conseil [d’administration du comité de patronage des étudiants étrangers de Dijon] que plusieurs professeurs de cours se sont plaints du taux trop minime de la rémunération. Une longue discussion s’engage à ce sujet. On décide que l’on garantira un minimum de 10 francs par leçon. […] Pour les exercices pratiques qui obligent à des corrections de devoir à la maison, le directeur des cours s’entendra avec les professeurs pour déterminer quel devra être le supplément qui devra être calculé sur la base moyenne de 2 frs. 50 par exercice » (Ibid., 27 novembre 1907).

860 Lettre d’Edmond Colsenet au recteur de l’université de Dijon, Besançon, 1er février 1912 (AD Dijon, SM 20266).

861 Ibid.

189

B) Une opportunité économique et commerciale pour les acteurs locaux

Si l’on regarde à présent du côté du tissu socio-économique local dans lequel s’insèrent