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L’intégration des universités françaises au marché international des thèses

La fabrique transnationale d’une politique de renommée

I. LA DIPLOMATIE DE LA THÈSE : LES UNIVERSITÉS FRANÇAISES ET LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX DE THÈSES DE DOCTORAT (1880-1914)

1.2. L’intégration des universités françaises au marché international des thèses

L’échange de thèses entre universités de plusieurs pays n’est pas un problème nouveau. Quand la France se saisit de la question au tournant des années 1870-1880, il existe déjà un système d’échange de publications académiques liant entre elles plusieurs universités européennes – principalement allemandes. Impulsée en 1817 par l’université de Marbourg, et d’abord limitée aux bibliothèques universitaires allemandes en vue d’un échange de doublons, cette union d’échange (Akademischer Tauschverein) s’est progressivement étendue et compte, au début des années 1880, une cinquantaine d’universités et institutions savantes contractantes (allemandes, anglaises, suisses, hollandaises, australiennes, suédoises, etc.)501. La France n’en fait alors pas partie, sans doute en raison, au moins en 1817, de son isolement diplomatique suite à l’épisode napoléonien – l’Europe ne s’est-elle pas « reconstituée sans la France »502 ? – , plus certainement par la suite en raison du faible intérêt – aussi bien vu de l’Hexagone que vu de l’étranger – des collections académiques des facultés françaises où l’on compte, parmi les rayons des bibliothèques, bien peu de thèses.

500 Les « thèses attribuées aux bibliothèques ou aux universités étrangères […] doivent toujours être adressées, avec indication précise de la destination, au Bureau des échanges internationaux spécialement institué au ministère de l’Instruction publique pour servir d’intermédiaire entre nos établissements et les établissements similaires des autres pays » (« Envoi de thèses de doctorat », circulaire du vice-recteur de l’académie de Paris aux doyens des facultés de l’université de Paris, 27 octobre 1880, CAC 20090476/239).

501 L’idée originale d’un plan d’échange de « dissertations » et de publications académiques reviendrait au Dr. Samuel Christian Lucae, professeur de médecine à l’université de Marbourg. Un article publié dans la revue Isis, en 1816, aurait poussé nombre d’universités allemandes à adopter ce programme d’échange entièrement piloté, à partir du 1819, par l’université de Marbourg. En 1818, l’Akademischer Tauscheverein (aussi appelée « Marburger Tauschverein ») compte parmi ses membres une vingtaine d’universités allemandes ainsi que deux universités australiennes. Le centre de redistribution des thèses est fixé à Leipzig, où des libraires s’occupent des réceptions et des envois. En 1819, les premiers membres sont rejoints par l’université de Copenhague, de Cracovie, de Dorpat et de Lund, puis, bientôt par Uppsala, Bruxelles, Saint-Pétersbourg, Vienne, Munich, etc. (Cf. J. C., « Zur Geschichte des akademischen Tauschvereins », Zentralblatt für Bibliothekswesen, n°2, 1885, p. 471-473. ; du même auteur, « Anträge in Sachen des Akademischen Tauschvereins », Zentralblatt für Bibliothekswesen, n°3, 1886, p. 226).

111 L’intégration de la France au sein de l’Akademischer Tauschverein représente alors une double opportunité, en phase avec l’esprit d’édification d’une réputation académique française à l’international : celle, tout d’abord, de pouvoir compléter, à moindre frais, les bibliothèques des universités françaises dont on vient d’entreprendre – en 1878-1879 – la (re)création503 ; celle, ensuite, d’obtenir, grâce à l’acceptation de cet échanges de thèses avec de prestigieuses bibliothèques universitaires étrangères – et en particulier allemandes –, une reconnaissance internationale de la qualité des travaux universitaires français, c’est-à-dire, par ricochet, de la qualité du système d’enseignement supérieur français. Accorder du crédit à une publication, revient, en effet, à en accorder à l’institution qui en est l’émettrice :

« Les dissertations académiques sont une des bases les plus sûres pour apprécier la force des études dans un pays. Si, par le moyen des échanges universitaires, nous apprenons à mieux connaître l’état de la science et de l’enseignement à l’étranger, si, par suite, une émulation salutaire se manifeste chez nous, plus d’un préjugé disparaîtra hors de nos frontières, lorsqu’on sera mis à constater le travail sérieux dont nos facultés sont le foyer. Je parle moins de Paris, qui a toujours gardé sa place dans le mouvement scientifique, que de nos facultés de province, trop longtemps isolées et sacrifiées. En renouant des relations suivies avec les universités d’Europe les plus illustres, elles reprendront une tradition interrompue depuis trois siècles »504.

Un organe – « la Commission centrale des bibliothèques académiques et des collections des facultés », créée en janvier 1879 dans le cadre de la réforme desdites bibliothèques505 – et trois universitaires vont alors se faire les maîtres d’œuvre de l’entreprise.

A) La pression d’un nouveau corps social : les bibliothécaires universitaires

Le premier, c’est Jules de Chantepie du Dézert (1838-1904), normalien (promotion de 1858), agrégé de lettres (1865) et bibliothécaire de la rue d’Ulm de 1868 à 1880. Il fait partie de ces boursiers missionnés outre-Rhin au début des années 1870 pour y étudier le système universitaire. Parti en 1873 pour inspecter les bibliothèques des universités allemandes506, il a pu voir sur place celles de Göttingen, de Königsberg, de Leipzig, de Marbourg et de Rostock,

503 Cf. John Camp, « Libraries and the organization of universities in France (1789-1881), Library Quaterly, vol. 51, n°2, April 1981, p. 170-191 ; Alain Gleyze, « Concentration et déconcentration dans l’organisation des bibliothèques universitaires françaises de province (1855-1955) », thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, Université Lumière Lyon 2, 1999.

504 Michel Bréal, « Rapport sur l’échange des thèses entre les facultés françaises et les universités étrangères », 15 janvier 1883 (BA, MIP, n°529, 27 janvier 1883, p. 218).

505 Les membres de la Commission sont : Mourier, inspecteur général et recteur honoraire, président ; Sandras, chef du 3e bureau de la direction de l’enseignement supérieur ; Colani, ancien professeur de faculté, conservateur adjoint à la bibliothèque de l’Université ; Loredan Larchey, conservateur adjoint à la bibliothèque de l’Arsenal, secrétaire ; Viollet, bibliothécaire archiviste de la faculté de Droit de Paris ; Chéreau, bibliothécaire de la faculté de Médecine ; de Chantepie, bibliothécaire de l’École normale supérieure (Arrêté du 31 janvier 1879, BA, MIP, n°437, 28 mars 1879, p. 82).

506 Jules Laude, « Les Bibliothèques universitaires de province », Bibliothèques, livres et librairies, n°2, 1913, p. 129 (cité par John Camp, art. cit., p. 185).

112 rapportant à son retour l’état de leurs collections, leur mode de fonctionnement et la recette de leur succès – « argent, travail, autonomie, discipline, […] [c’]est la condition de leur prospérité » – dans une note publiée par le Bulletin administratif de l’Instruction publique en 1874507. C’est à cette occasion qu’il a découvert le Tauschverein508. Il fait par ailleurs partie, depuis l’origine en 1878, des membres actifs du réseau réformateur de la Société pour l’étude des questions d’enseignement supérieur509 et a été l’un des concepteurs de la circulaire de mai 1878 instaurant des bibliothèques universitaires en France sur le modèle de leurs consœurs allemandes510. Depuis, il continue d’inspirer la politique bibliothécaire de l’université française, notamment au sein de la Commission centrale des bibliothèques académiques, où il siège depuis sa création, en 1879, et par qui il s’est vu confier la fonction – nouvelle – d’inspecteur général des bibliothèques universitaires en mai 1880511. En 1885, il sera nommé directeur de la Bibliothèque de la Sorbonne.

Le deuxième homme-clef de l’entreprise se nomme Auguste Carrière (1838-1902). De la même génération que Jules de Chantepie, il a, lui aussi, fait le voyage d’Allemagne, bien qu’un peu plus tôt, à la fin des années 1860, pour y poursuivre ses propres études supérieures en théologie et en philologie sémitique512. Répétiteur pour les langues hébraïque, chaldaïque et syriaque à partir de 1871 au sein de la section d’histoire et de philologie de l’École des hautes études, il est, en 1873, secrétaire-bibliothécaire de l’École des langues orientales vivantes, « le traitement de professeur de l’École [des hautes études] […] [étant] loin de suffire à des exigences même bien modestes »513. Tout récemment installée rue de Lille, l’École des langues orientales ne disposait pas de bibliothèque de recherche digne de ce nom avant son arrivée. Le linguiste Antoine Meillet – qui fut l’élève de Carrière et, à la mort de

507 « Les Bibliothèques des universités allemandes », BA, MIP, n°331, 23 avril 1874, p. 250-263. Note sans nom d’auteur attribué à Chantepie a posteriori (voir sa notice nécrologique, « Jules de Chantepie », Revue internationale de l’enseignement, 25e année, n°11, 15 novembre 1904, p. 546).

508 Ibid., p. 251 : « L’Université [allemande] a l’échange avec toutes les autres universités, corps savants, écoles, en Allemagne et avec bon nombre à l’étranger, ce qui fait entrer dans la bibliothèque une multitude de plaquettes précieuses qui ne sont pas toujours mises dans le commerce, et qui, souvent très recherchées, ne se trouvent pas facilement. Rostock, par exemple, fait l’échange de ses publications avec quarante universités et académies allemandes et étrangères ».

509 Cf. « Jules Chantepie », Revue internationale de l’enseignement, op. cit, p. 546. 510 John Camp, op. cit., p. 186.

511 Maurice Caillet, « L’inspection générale des bibliothèques », Bulletin des bibliothèques de France, t.15, n°12, 1970, p. 597-608 (consulté en ligne le 8 juin 2012 : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1970-12-0597-001).

512 Discours de Charles Barbier de Meynard aux obsèques de Carrière, dans « Nécrologie », Annuaire 1903, École pratique des hautes études (Section des sciences historiques et philologiques), 1902, p. 130.

513 Antoine Meillet, « Auguste Carrière », Annuaire 1903, École pratique des hautes études (Section des sciences historiques et philologiques), 1902, p. 24.

113 celui-ci, son successeur à la chaire d’arménien de l’École514 – évoque ainsi l’action de son ancien maître :

« Durant ses études en Allemagne, il avait vu quelle place essentielle tient la bibliothèque dans une université et, en un moment où les bibliothèques universitaires n’existaient pas en France, ou n’avait encore que peu d’importance, il enrichissait rapidement le fond confié à ses soins et en dressait un catalogue excellent et facile à consulter ; cette bibliothèque, qui quelques mois auparavant existait à peine, est devenue ainsi très rapidement la meilleure peut-être des bibliothèques de l’orientalisme pour les périodes modernes et elle a servi en quelque sorte de modèle pour la constitution des bibliothèques universitaires qui a suivi de près »515.

Bien identifié au sein du nouveau paysage universitaire renaissant, Auguste Carrière est chargé, en 1879 et en 1880, de deux missions en Allemagne, « à l’effet d’aller étudier, dans le

plus grand détail possible516, l’organisation des principales bibliothèques universitaires de ce

pays »517 et pour y préparer le terrain à de futures négociations de conventions d’échanges pour l’intégration de la France au Tauschverein518. À son retour, il rejoint la Commission centrale des bibliothèques académiques519, où il prend une part active aux discussions préliminaires à l’organisation française des échanges universitaires520.

En 1881, suite à ces missions, la Commission des bibliothèques rédige un rapport qui préconise la fondation d’un système d’échange avec l’étranger, centralisé sous l’autorité d’un nouveau service ad hoc de la rue de Grenelle, en vue d’un envoi unifié des thèses françaises à l’étranger. Le modèle est distinct de celui, plus décentralisé, du système d’échange allemand, moins d’ailleurs par fidélité à une tradition jacobine que par tactique : car il s’agit, en fait, de noyer dans la masse de thèses envoyée outre-France, l’inégale contribution à l’échange de chacune des facultés françaises, inégalités qu’un système fondé sur des relations individuelles d’université à université rendrait patent ; ce serait risquer que plusieurs facultés provinciales, faute de réciprocité possible, ne puissent enrichir leurs collections des thèses issues de celles de prestigieuses universités étrangères. « Il vaudrait mieux, insiste donc le rapport, traiter au

514 Charles de Lamberterie, « Meillet et l’Arménien », Histoire, Épistémologie, Langage, t. 10, n°2, 1988, p. 218.

515 Antoine Meillet, « Auguste Carrière », op. cit., p. 25 ; voir aussi : Marion Debout, « La bibliothèque de l’École des langues orientales », Bulletin des bibliothèques de France, Paris, t. 27, n°8, 1982, p. 479-490.

516 C’est nous qui soulignons.

517 Arrêté du 10 septembre 1879 (BA, MIP, n°445, 10 décembre 1879, p. 697) ; Arrêté du 2 septembre 1880 (BA, MIP, n°458, 28 février 1881, p. 1122).

518 D’après Michel Bréal, « Rapport sur l’échange des thèses », op. cit. 519 Arrêté du 26 octobre 1880 (BA, MIP, n°459, 16 mars 1881, p. 1420).

520 Il n’a malheureusement pas été possible de connaître le détail de ces discussions préliminaires, le mauvais état de conservation des procès-verbaux de la Commission centrale des bibliothèques académiques en interdisant actuellement la communication (AN, F17* 3231-3234, période 15 février 1879-27 novembre 1919).

114 nom de toutes [nos facultés] prises en bloc, et cela d’autant plus que quelques-unes feraient mauvaise figure lorsqu’on viendrait à demander ce qu’elles ont à offrir »521.

On pourrait s’étonner, au premier abord, de la volonté de création d’un nouveau service ainsi dédié aux échanges internationaux quand, un à deux ans plus tôt, un service du même type a déjà été créé au ministère de l’Instruction publique, et qui pourrait fort bien travailler à l’organisation d’envois spécifiques de publications universitaires à l’étranger.

L’élaboration de ce doublon par la Commission des bibliothèques trouve sans doute son origine au croisement de deux logiques : d’une part, l’autonomisation du champ universitaire et son expansion522, qui dans le cadre des réformes des structures françaises d’enseignement et de recherche encouragent la création d’infrastructures administratives de support ; d’autre part, les perspectives objectives de légitimation et d’avancement que sous-tend cette initiative à caractère international pour les « entrepreneurs en réforme »523 qui en sont les promoteurs.

Dans ce dernier cas, on sait en effet que, loin d’être consensuelle, la récente réforme des bibliothèques universitaires suscite alors les plus vives critiques de la part des facultés, et que les bibliothécaires, désormais agents d’État, rattachés au recteur et non plus dépendants des professeurs de la faculté où ils officient – conséquence de l’autonomisation observée outre- Rhin et décalquée en France par Jules de Chantepie – ne sont pas vus du meilleur œil. « On nous enlève l’administration de notre bibliothèque », se plaint ainsi en 1884, le Conseil de la faculté de Montpellier : « Tout se fait en dehors des facultés intéressées ; et le dernier mot, qui devrait appartenir au doyen de la faculté, est au bibliothécaire. […] Nous demandons que le bibliothécaire soit placé sous les ordres de ses chefs naturels, les doyens ; que ces derniers aient la surveillance et la direction des achats, de la correspondance et de tous les agissements du bibliothécaire »524. « Jaloux de son autonomie », Jules de Chantepie a lui-même eu maille à partir avec la direction de l’École normale supérieure, qui, avant son départ en 1880, « lui reproch[ait] notamment ses déficits perpétuels »525.

Pour les bibliothécaires, l’organisation d’un nouveau service d’échanges universitaires à leur initiative et sous l’autorité de l’État, représente à la fois l’occasion d’une légitimation par

projet – puis, plus tard, par l’action – de leur autonomie au sein du champ universitaire, c’est-

521 Rapport cité par Germain Calmette, à l’occasion d’un article éponyme sur la réforme du Service français des échanges universitaires en 1951 (Libri, n°2, 1952, p. 189).

522 Victor Karady, « L’expansion universitaire et l’évolution des inégalités devant la carrière d’enseignant au début de la IIIe République », Revue française de sociologie, vol. 14, n°4, octobre-décembre 1973, p. 443-470.

523 Christophe Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, op. cit., p. 397-417.

524 Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur, vol. XVI, Paris, Imprimerie nationale, 1885, p. 382 et 409 (cité par Alain Gleyze, op. cit, p. 78 ; pour une vue d’ensemble, voir p. 73 et suivantes).

525 Pierre Petitmengin, « La Bibliothèque de l’École normale supérieure face à l’érudition allemande au XIXe siècle », Revue de synthèse, 4e série, n°1-2, janvier-juin 1992, p. 60.

115 à-dire à l’écart de l’autorité des corps professoraux facultaires, et la possibilité, à travers la reconnaissance internationale escomptée d’un système français centralisé par l’État, de se voir indirectement confirmé dans leur statut d’agents publics. En outre, et de façon plus prosaïque, la création d’un domaine d’intervention entièrement neuf ouvre des perspectives de carrrière – à tout le moins, l’éventualité de compléments de revenus afférents aux nouvelles missions envisagées – qui n’ont rien de négligeables étant donné les préoccupations d’ordre matériel qui sont celles, par exemple, d’un Auguste Carrière, obligé par nécessité de quitter l’École des hautes études pour la bibliothèque des Langues orientales en 1873526, fonctions qu’il y cumule, à partir de 1881, avec celles de chargé de cours en arménien – il ne sera titulaire de la chaire qu’en 1884 – puis, en 1883, avec celles d’inspecteur du service des échanges universitaires527.

C’est dans ce contexte qu’en 1881, le ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, approuve les propositions de la Commission des bibliothèques. Il est alors prévu que, chaque année, envoi sera fait par la France de la collection complète des thèses soutenues dans ses facultés contre l’envoi, par l’université étrangère contractante, de dix-huit collections de ses publications académiques récentes, celles-ci étant chacune destinées à seize bibliothèques universitaires françaises528, à la Bibliothèque nationale et au ministère. Reste à négocier, au cas par cas, avec chaque université étrangère – puisqu’il n’existe pas dans ce domaine, hors de France, d’interlocuteur national unique – les conventions.

C’est ici qu’entre en scène un troisième homme, Michel Bréal (1832-1915), normalien (1852), agrégé de lettres (1857), germanophile notoire qui a passé plusieurs années d’études en Allemagne529, ancien professeur de grammaire comparée au Collège de France et à l’EPHE, membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres, actif « réformateur » de la Société pour l’étude des questions d’enseignement supérieur dont il a été le président, agent, enfin, du pouvoir républicain, que Jules Ferry a nommé inspecteur général de l’enseignement supérieur en 1879. C’est à ce titre qu’il se voit chargé, le 21 décembre 1881, des négociations avec les universités étrangères, en étroite collaboration avec Carrière et de Chantepie530.

526 Cf. supra et Antoine Meillet, « Auguste Carrière », Annuaire 1903, op. cit., p. 24. 527 Arrêté du 25 octobre 1883 (BA, MIP, n°569, 3 novembre 1883, p. 223).

528 Aix, Alger, Besançon, Bordeaux, Caen, Clermont, Dijon, Douai, Grenoble, Lyon, Montpellier, Nancy, Paris, Poitiers, Rennes, Toulouse (Michel Bréal, « Rapport sur l’échange des thèses », op. cit., p. 216)

529 Cf. Michael Werner, « À propos des voyages de philosophes français en Allemagne avant 1870 : le cas de Gaston Paris et de Michel Bréal », Michel Parisse (dir.), Les Échanges universitaires franco-allemands du Moyen-âge au XXe siècle. Actes du colloque de Göttingen (3-5 novembre 1988), Paris, Éditions Recherche sur les civilisations, 1991, p. 138-155.

116 Les négociations, entamées dès janvier-février 1882, aboutissent rapidement. En juillet 1882, trente universités – presque toutes nord-européennes – ont passé contrat avec la France, soit 19 universités allemandes531, 4 suisses532, 2 belges533, 2 suédoises534, 1 néerlandaise535, 1 danoise536 et 1 russe537. Pour l’heure, les universités anglaises et américaines sont exclues de ce système d’échange, « parce qu’[elles] n’avaient rien d’analogue à nos thèses à nous offrir », précise Michel Bréal538. Les universités d’outre-Rhin, quelles qu’elles soient, polarisent bel et bien toute l’attention des autorités françaises.

Entre temps, le ministère organise, sur les recommandations de Bréal et des hommes de la Commission des bibliothèques, les conditions administratives de l’envoi et de la réception des thèses entre la France et l’étranger par une série d’arrêtés, de circulaires et d’instructions portant création d’un nouveau Service des échanges de thèses et publications académiques en France, bien vite nommé « Service des échanges universitaires »539.

Dès la rentrée universitaire 1882, le service commence à fonctionner, non sans quelques tâtonnements inévitables pour une activité à laquelle ne sont pas habituées les administrations françaises – « c’était en effet une opération assez compliquée que l’expédition des thèses de toutes nos facultés à trente universités étrangères et la répartition de dissertations académiques de ces mêmes universités entre nos divers bibliothèques universitaires »540. Une convention est signée avec la librairie Hachette et Cie, qui s’occupe donc des envois et des réceptions pour le compte de l’État541 – le service sera « transféré à la Sorbonne en 1903 dans le local destiné primitivement aux écurie et remise de M. le recteur »542. Au cours de la première année (1882-1883), le total des écrits académiques reçus par la France s’élève à environ

531 Berlin, Bonn, Breslau, Erlangen, Giessen, Göttingen, Greifswald, Halle, Heidelberg, Iéna, Königsberg, Leipzig, Marbourg, Munich, Munster, Rostock, Strasbourg, Tübingen, Wurtzbourg.

532 Bâle, Genève, Fribourg, Zurich. 533 Gand, Liège.

534 Uppsala, Lund. 535 Leyde. 536 Copenhague. 537 Dorpat.

538 Michel Bréal, « Rapport sur l’échange des thèses », op. cit., p. 217.

539 Avis de la commission centrale des bibliothèques (3 avril 1882) ; Arrêté fixant pour chaque ordre de facultés le nombre d’exemplaires de thèses exigible pour les échanges universitaires (30 avril 1882) ; Circulaire relative à l’échange des thèses et publications académiques avec des universités étrangères suivie de l’Instruction adressée aux bibliothécaires des bibliothèques universitaires (31 mai 1882) ; Arrêté portant règlement du service des thèses suivi de l’Instruction pour les secrétaires des facultés et les bibliothécaires universitaires (21 juillet 1882) ; Circulaire relative au service des thèses (11 août 1882). L’ensemble des textes est regroupé dans : A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, tome 3 (1875-1883), annexes, Paris, Delamain Frères, 1884.

540 Michel Bréal, « Rapport sur l’échange des thèses », op. cit., p. 217. 541 Ibid.

542 Lettre d’Émile Chatelain (inspecteur du services des échanges universitaires) au vice-recteur de l’académie de Paris, Paris, 6 avril 1919 (CAC 20020476/239).

117 20 000 travaux, ce qui correspond tout de même à deux tiers du nombre total de volumes reçus la même année par le Service des échanges internationaux. D’un même pas, un

Catalogue des dissertations et écrits académiques provenant de l’échange avec les universités étrangères est édité par les soins de la Bibliothèque nationale.

En octobre 1883, afin d’assurer un suivi du travail effectué, et de suggérer d’éventuelles évolutions, un poste d’« inspecteur du service des échanges universitaires » est créé par le