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2. Cadre Théorique

2.1. Dépistage précoce de troubles du développement

2.1.3. Les démarches possibles pour un dépistage précoce

De nombreuses voies peuvent être empruntées pour le dépistage du jeune enfant. En effet, plusieurs méthodes existent mais elles se rejoignent toutes par la place accordée à l’observation de l’enfant. Tous les outils existant mettent en avant des observations de l’enfant effectuées, soit dans son environnement quotidien, soit dans un milieu clinique.

Pour effectuer un dépistage précoce auprès de jeunes enfants, Bonnet et Strayer (2000) ont mené une étude auprès de 111 enfants de 3-4 ans dans la ville de Montréal provenant d’un milieu socio-économique moyen. Ils remarquent tout d’abord que l’observation ne peut jamais être objective, qu’elle soit directe ou à travers des instruments indirects comme, par exemple, un questionnaire.

Ils suggèrent donc de parler « d’observation intersubjectives » (p.58) et de considérer ces observations de sorte qu’elles apprennent à l’observateur les difficultés ou les facilités que l’enfant a dans un contexte où il connaît son observateur, bien que ce dernier ait ses propres « attentes normatives, son système de valeur, ainsi que ses adaptations sociales et culturelles, et de décentration » (p.58). Ainsi, même si l’observation est effectivement subjective, les données qui en ressortent semblent donc pertinentes pour détecter les difficultés potentielles que l’enfant peut rencontrer avec son entourage. L’observation de l’enfant dans un milieu connu de lui et avec des personnes qu’il connaît et en qui il a confiance permet d’avoir un aperçu plus réaliste de ses compétences réelles à un moment « t », au contraire d’une observation clinique qui peut être faussée car l’enfant est placé dans un environnement inconnu avec des personnes sortant de son cercle habituel. Toutes les compétences de l’enfant ne seront alors peut-être pas observables car ce dernier est dans une position stressante et celle-ci peut l’entraver.

Glascoe (2005) évoque également l’intérêt de la surveillance du développement du jeune enfant en partenariat avec le dépistage. En effet, elle précise que la surveillance est un « […] processus par lequel les résultats des tests de dépistage sont intégrés dans une image plus large de la vie de l’enfant. » (p.175). Ainsi, l’auteure exprime l’idée d’utiliser des données récoltées sur une période plus vaste et sur une image élargie de la vie de l’enfant et de mettre en rapport ces observations avec les résultats plus factuels d’un test de dépistage. Elle explique, en s’appuyant sur les propos de Dworkin (2003), que la surveillance du développement implique une récolte de données sur la vie de l’enfant dans sa globalité. En effet, cela demande des informations concernant ses sphères proches comme sa famille et ses différents milieux de vie. Il est nécessaire d’y inclure « […] les forces et les faiblesses » (p.175) de l’enfant observables dans son quotidien. S’appuyer sur des rapports ou encore des notes concernant les questionnements des parents est alors primordial pour avoir une vue globale de l’enfant, tout comme il peut être important pour le professionnel de la santé de connaître les antécédents médicaux de l’enfant.

Dans l’optique d’une combinaison de cette surveillance avec le dépistage, il faut, comme le souligne Glascoe, pouvoir utiliser les connaissances des parents de leur enfant en leur demandant de compléter des outils de dépistage avant que ces derniers ne soient utilisés dans des milieux

comme la santé où le temps est limité pour l’observation. Ainsi, l’auteure considère que dans ces conditions, l’utilisation d’outils de dépistage comme l’ASQ ou le PEDS « […] sont particulièrement utiles […] » (Glascoe, 2005, p.175).

Beauregard, Comeau et Poissant (2010) relèvent l’importance de suivre certains principes lors de l’utilisation d’un outil de mesure comme les instruments de dépistage.

Ces règles incontournables sont les suivantes :

- « La démarche doit être plaisante pour l’enfant » (p.4). Idéalement, l’évaluation doit se faire dans un contexte connu (familial ou d’accueil en collectivité) avec des personnes connues pour avoir une participation plus réaliste de l’enfant et pour qu’il puisse montrer pleinement et de manière sereine ses compétences.

- « Le but de la démarche doit être connu des parents » (p.5). Il est nécessaire que les parents soient au fait de l’implication et du but de la démarche. Pour ce faire, une relation de confiance doit pouvoir s’installer entre les parents et les professionnels. Les bénéfices et implications d’une telle démarche doivent également être clairs pour les parents avant de commencer pour qu’ils soient à l’aise avec ce procédé et l’utilisation d’un tel outil.

- « Les parents doivent être impliqués et surtout comprendre les résultats obtenus » (p.5).

Les professionnels ont le devoir d’impliquer les parents dans la démarche en leur demandant, par exemple, de leur communiquer des informations sur le développement et les compétences de leur enfant. Leur participation permet également de mettre l’enfant en confiance et dans de bonnes dispositions pour pouvoir exprimer tout son potentiel.

Expliquer les résultats inclut également les parents dans la démarche et leur donne la possibilité de prendre leur place dans l’application et la décision d’une intervention, si cela est nécessaire.

- « Les outils doivent être utilisés tels qu’ils ont été conçus et aux fins pour lesquelles ils ont été développés » (p.5) : l’utilisation d’un outil doit être stricte sinon les résultats et leur valeur seraient biaisés et non valides.

- « Multiplier les sources d’information si les parents complètent l’instrument de mesure » (p.5) : si les informations, les observations données par les parents restent essentielles pour le dépistage de leur enfant, les auteurs mettent en avant le fait qu’ils n’ont peut être pas connaissance des références du développement de l’enfant et qu’il est donc important de compléter leurs observations par d’autres mesures.

- « La mesure du développement de l’enfant doit être périodique » (p.5) : sachant que le développement des jeunes enfants est très rapide, il est important de pouvoir répéter le dépistage pour avoir un résultat réel de leurs compétences, sans qu’elles soient influencées par l’environnement ou encore leur humeur au moment de la passation de l’outil. Une répétition des passations donne également la possibilité d’ajuster une intervention.

- « Les personnes qui effectuent la mesure du développement de l’enfant doivent avoir une formation adéquate » (p.5) : il est important pour la suite des démarches que la personne étudiant les résultats d’un outil de dépistage soit formée car l’intervention qui suivra sera déterminée par cette personne. Ainsi l’efficacité de l’utilisation de l’outil dépend également

des connaissances et des compétences de l’évaluateur. En effet, ce dernier doit posséder des qualités d’observation, de connaissances du développement du jeune enfant et des qualités de communication, tant avec l’enfant, qu’avec les parents ou encore avec les professionnels évoluant autour de lui.

- « Tout instrument de mesure doit être utilisé en complément à des observations fréquentes » (p.6) : multiplier les observations permet d’inscrire les compétences de l’enfant dans diverses situations, mais cela donne également la possibilité à l’observateur d’être témoin de son évolution.

Ces principes de base sont essentiels car ils remettent en perspective l’importance de ne pas utiliser un outil de dépistage de manière désinvolte. En effet, des règles doivent être respectées et aucune ne devra en être dérogée car c’est le résultat et l’intervention qui sont en jeu. En effet, des résultats biaisés ne permettront pas de prévoir une intervention adaptée aux besoins de l’enfant.

L’implication des parents est essentielle pour la bonne marche du dépistage mais également pour la suite des démarches et les tenir informés et partie prenante du processus permet d’instaurer un climat de confiance et le début d’une collaboration.

2.1.3.2 Les précautions à prendre lors de la mise en place d’un dépistage précoce

Roskam, Stiévenart, Meunier, Van de Moortele, Kinoo et Nassogne (2010) prêtent une attention particulière à l’évaluation comportementale de l’enfant. En effet, ils écrivent que c’est un procédé qui est plus que délicat et que certaines différences de comportement chez l’enfant peuvent être constatées suivant l’informateur. En effet, les observations sont « […] liés aux caractéristiques de l’enfant lui-même, à celles de l’informateur, à celles de l’environnement auquel l’évaluation fait référence ou encore à l’interaction entre ces différents types de facteurs » (p.391). Ainsi, le contexte dans lequel est évalué l’enfant est très important pour avoir une observation la plus fidèle possible des comportements de l’enfant. Il ne montrera pas forcément les mêmes compétences s’il est évalué en situation familiale, dans son milieu d’accueil ou dans un environnement clinique.

Il ne faut pas non plus négliger l’impact de la culture sur les attentes des observateurs comme le soulignent les auteurs. En effet, qu’est-ce qui est normal ou non ? Suivant la culture, la vision de ce qui doit être acquis ou non peut être extrêmement variable, comme les normes liées aux rôles de genre. De plus, les attentes à la norme peuvent changer considérablement d’une personne à l’autre. L’individu peut être plus ou moins tolérant ou encore les attentes par rapport au développement de l’enfant évoluent avec le temps et se précisent en même temps que l’enfant grandit, contrairement au plus jeune âge, où la « norme » reste floue.

Être attentif à l’interprétation des résultats est aussi important car elle peut donner un sens tout autre suivant comment ils sont décryptés. Bonnet et Stayer (2000) l’expliquent en proposant une réflexion autour des variations de score entre deux informateurs. Dans un premier temps, elles peuvent être interprétées comme un désaccord ou encore un « biais subjectif » (p.70) dû à un manque d’objectivité d’un des observateurs, « […] manque de perspicacité ou d’engagement, intervention exagérée de sa personnalité ou de son cadre de référence, réticence à attribuer un jugement de valeur » (p.70). Ainsi, il existe le risque d’une sur ou sous-évaluation de l’enfant. Ou, au contraire, les variations peuvent être interprétées comme une piste qui dévoilerait que l’enfant

ne se comporte pas de manière similaire dans les deux lieux d’évaluation ce qui expliquerait et limiterait les probabilités d’évaluations concordantes par les deux parties.

Le dépistage précoce ou encore l’intervention précoce peuvent avoir un effet pervers qu’il faut dans la mesure du possible éviter. Cet effet a été mis en évidence par Fortin et Bigras (1996) et repris par Bonnet et Strayer (2000) c’est l’« […] effet négatif renforçateur » (p.391). C’est-à-dire que le dépistage étaye la vision déjà négative de l’enfant dans son entourage social et que cela a pour conséquence une stigmatisation encore plus prononcée de l’enfant en lui attribuant un traitement spécifique à cause de ses difficultés de développement.