• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Notre objet d’étude et les choix théoriques

1.7. Les définitions linguistiques de la spatialité

Les travaux sur la spatialité abondent. L’auteur le plus ancien de notre recherche bibliographique est E. Cassirer (1923, 1925, 1929) qui évoque la spatialité dans trois volumes d’un ouvrage traduit en français et intitulé La philosophie des formes symboliques. Dans ses écrits, l’auteur évoque les langues du monde et présente un inventaire des travaux menés sur la spatialité dans différentes langues. Par exemple, il dévoile un aspect de l’expression spatiale dans une famille de langues :

36

« Crawfurd dit des langues malayo-polynésiennes qu’elles distinguent si finement les diverses positions du corps humain qu’un anatomiste, un peintre ou un sculpteur pourrait en tirer immédiatement profit : dans la langue javanaise, par exemple, dix manières différentes de se tenir debout et vingt manières d’être assis sont chaque fois rendues par un mot particulier ».45 (Cassirer, E., 1923)

Dans les recherches entreprises dans le domaine de la linguistique de la spatialité, la plupart des auteurs montrent que la spatialité dans sa différence à la temporalité est plus facile à se représenter mentalement (B. Pottier : 1992 ; A. Boucherit : 1998). La description d’une situation spatiale, faisant intervenir des éléments concrets notamment exprimés par des unités lexicales et grammaticales (verbes, prépositions, etc.), permet une représentation mentale, une visualisation de ce qui est véhiculé. La spatialité relève plutôt du concret alors que la temporalité est notionnelle et renvoie plutôt à l’abstrait.

1.7.1. Une étude des relations spatiales

Notre recherche doctorale a fait le choix d’une étude linguistique des relations spatiales portées par la valence et le prédicat. Il s’agit d’un aspect particulier de la linguistique de la spatialité. Notre objectif est d’analyser comment ces relations spatiales sont véhiculées en créole réunionnais. Le terme relation est appréhendé de différentes manières dans les études linguistiques de la spatialité. Par exemple, C. Vandeloise (1986) ne précise pas ce qu’il entend par relation spatiale mais dans son ouvrage il évoque « la relation porteur/porté et la relation contenant/contenu ».46 Marcq (1992) énumère quatre relations dans son étude des prépositions de l’allemand : la « relation locative » précise la localisation dans l’espace d’un objet ou d’une personne. La « relation directive » marque le changement de lieu ou la direction. La

« relation de passage » précise le trajet d’un lieu à un autre. Et la « relation d’origine » permet l’expression de l’endroit d’où l’on vient dans l’espace. Pour A. Borillo (1998), les relations sont soit dynamiques soit statiques. Elles sont aussi de « contact », de « porteur/porté »,

« d’inclusion ». Pour J. Tan (2011), « il existe 3 types de relations spatiales entre Figure et Fond : la localisation statique (a), la localisation dynamique (b) et déplacement avec

45 Ernst, Cassirer, La philosophie des formes symboliques.1. Le langage, Editions de minuit, 1972 (1923), p. 153.

46 Claude, Vandeloise, L’espace en français : sémantique des prépositions spatiales, Editions du Seuil, 1986, p.

30.

37 franchissement de bornes (c). » (Tan, J., 2011 : p. 26). Notre conception des relations spatiales se rapproche de celle de Marcq et de Tan. En effet, nous analysons aussi la relation spatiale de localisation et celle de déplacement. Pour notre étude, il s’agit de relations qui marquent un lien spatial, par exemple entre deux ou plusieurs entités (celle à localiser et celle qui sert de point de repère). Nous concentrons notre étude uniquement sur les relations spatiales dont nous identifions trois principales et quatre combinées. Les dernières sont apparues au fil de l’analyse de notre corpus. Ainsi, les trois principales relations spatiales sont la localisation, le déplacement et le mouvement. La localisation est liée à une entité de manière générale. C’est l’entité qui est localisée dans l’espace. Le déplacement, auquel certains auteurs associent la relation de mouvement, est retenu dans notre étude pour exprimer l’action de se déplacer dans l’espace de manière générale. Il peut d’agir d’un déplacement d’un point A vers un point B ou d’un déplacement vers une destination non précisée par le locuteur. Nous faisons le choix de traiter à part la relation spatiale de mouvement qui concerne un changement de posture du corps et tous types de mouvement effectués par une entité animée. Nous y incluons les différentes postures et positions du corps comme par exemple « être debout » ou « être assis ». En complément, nous combinons la relation spatiale de localisation à celle de déplacement, la relation spatiale de localisation à celle de mouvement, la relation spatiale de déplacement à celle de mouvement. La dernière combinaison regroupe la localisation, le déplacement et le mouvement. Nous obtenons sept relations spatiales que nous représentons dans le schéma suivant. Toutefois, ce sont les trois principales qui priment dans notre étude.

Les quatre combinaisons sont valables pour le chapitre n° 4 de l’analyse linguistique. Pour la présentation des autres chapitres de l’analyse et de nos résultats, seules les trois principales relations spatiales ainsi que les relations spatiales combinées de déplacement et de mouvement sont prises en compte.

38 Schéma n° 1 : Les sept relations spatiales de notre étude

Ce schéma n° 1 indique les sept relations spatiales qui sont numérotées. Il montre comment les trois principales relations spatiales (1, 2, 3) se combinent pour révéler les phrases complexes véhiculant plusieurs relations spatiales. Les quatre combinaisons (4, 5, 6, 7) sont indiquées par des lignes reliant les principales relations spatiales pour les former.

1.7.2. Actants et points de repère

Les relations spatiales établissent un lien entre deux entités le plus souvent, l’une à localiser en fonction de l’autre, qui fonctionne comme un point de repère. Le point de repère peut être représenté par une entité animée ou inanimée. Cette relation peut se faire entre une entité (animée ou inanimée) et un espace précis qui peut être un lieu (toponyme) ou un repère concret comme un arbre. Il existe des cas où le point de repère n’est pas précisé mais c’est par exemple l’emploi d’un adverbe qui détermine la relation spatiale (cf. chapitre 5). Pour notre étude, l’un des domaines syntaxiques analysé est le programme valenciel. Nous nous intéressons à la valence verbale mais aussi aux relations actancielles et circonstancielles (Tesnière, 1965 ; Folgoat, 2010 ; Staudacher-Valliamée, 2014). Nous désignons l’entité à localiser comme actant sujet et les autres entités comme actant objet ou bénéficiaire. Le terme de point de repère est employé quand nous évoquons les toponymes et les repères spatiaux concrets dans notre analyse. Nous parlons donc d’actants et de point de repère. La désignation

39 de l’entité à localiser et de l’entité servant de point de repère dans l’espace est différente dans les autres études selon les auteurs. Certains les nomment « cible » et « site » (Vandeloise : 1986 ; Borillo : 1998 ; Grinevald : 2005), d’autres les désignent comme « localisant » et

« localisé » (Pottier : 1992), « thème » et « relatum » (Klein : 1993), « référent » et « centre d’orientation » (Koenig : 2012).

Concernant l’emploi des repères concrets et des toponymes en tant que point de repère, nous notons qu’il existe des langues, comme par exemple le futunien et quelques langues de Nouvelle Calédonie (F. Ozanne-Rivierre : 1997 ; C. Moyse-Faurie : 2007), pour lesquelles les locuteurs s’appuient sur les éléments naturels et concrets comme la mer, la terre et les montagnes pour exprimer la spatialité. Pour le cas du créole réunionnais, notre étude atteste aussi l’emploi des éléments naturels et concrets pour la situation dans l’espace. Nous notons particulièrement des habitudes créoles dans la désignation de ces repères concrets et toponymes. Les travaux de R. Chaudenson (1974), sur le lexique du créole réunionnais, consacrent quelques pages à ces habitudes créoles de situation dans l’espace :

« l’habitant d’une localité emploie divers toponymes pour désigner les différentes parties d’un endroit que la toponymie officielle pourvoit d’une dénomination unique. En général, ces toponymes locaux sont créés à l’aide des termes géographiques.

[pitõ] ex. : [pitõ blé], [pitõ zépina:r], [pitõ lãtanwa:r]…

[séré] ex. : [séré grã kud], [séré d guve:rnmã], [ti séré]…

[bit] ex. : [bit kãba:r], [la bit]…

[ilèt] ex. : [lilèt m re ], [lilèt a ko:r], [lilèt se:rn ]…

[base ] ex. : [base bèf], (toponyme très fréquent), [base blé]…

[ravin] ex. : [ravin basélyé], [ravin kaka]…

[bra] ex. : [bra kab ], [bra pist lé], [bra dyab]… »47 (Chaudenson, R., 1974)

47 Robert, Chaudenson, Le lexique du parler créole de La Réunion, HChampion, 1974, p. 10.

40 Chaudenson présente aussi « les voies de communication » et les « sentiers »48 :

« [semẽ] est utilisé en créole pour désigner toute “voie de communication” qu’il s’agisse d’un simple sentier escarpé [semẽ kabri] ou d’une “route nationale” [grã semẽ]. Pour demander le passage, on crie simplement : [semẽ] “laissez-moi la place” ou [so :rt dovã] “retire-toi”. »49

« Les hauteurs de l’île et l’intérieur sont sillonnés de “sentiers” [semẽ] [sãtyé] que l’on doit sans cesse “monter” [mõté] et “redescendre” [a :rdsãn] ; ce sont soit de “petites chemins entretenus par les services des Eaux et Forêts” [sãtyé], soit des “pistes plus rustiques” [trasé] [ti trasé] parfois très escarpées : [rédyõ] (raidillon) ou même presque impraticables : [sãtyé kabri]

(mot à mot, “chemin de chèvres”). La pente est parfois si forte que le sentier disparaît, remplacé par des “échelles de bois ou de métal” [ésèl] ».50 (Chaudenson, R., 1974)

Nos corpus attestent ces habitudes créoles et en dévoilent d’autres. Dans les travaux plus récents de géographes qui actualisent les spécificités des Hauts, nous notons une autre spécificité de dénomination des lieux liée à l’histoire du marronnage :

« Pour les habitants des Bas, les Hauts ont longtemps représenté l’ailleurs, des lieux mystérieux de tous les dangers et des peurs ancestrales enfouies. Cette représentation trouve écho dans la toponymie fortement imprégnée de l’héritage noir. Nombreux, en effet, sont les sites et les végétaux, à porter les noms d’esclave, de chasseurs d’esclaves ou à avoir été baptisés par ces premiers “découvreurs” : Piton Anchaing, Cimendef, Mafate, Matouta, Mahavel, Cilaos, Bras Mussard, Bois de Mussard… »51 (Jauze, J-M., 2011)

Dans nos corpus, nous identifions comme toponyme la ville de Cilaos. Cette ville fait aussi partie de nos points d’enquêtes avec l’enregistrement de deux informateurs.

1.7.3. Une étude des unités lexicales et grammaticales au service de la spatialité

Les relations spatiales sont portées par des unités lexicales et grammaticales. Dans notre étude linguistique, il s’agit de verbes, de prépositions, d’adverbes, d’adjectifs, de noms et de déictiques. Ces unités lexicales et grammaticales sont analysées de manière générale. Pour le créole réunionnais, nous poursuivons les recherches de G. Staudacher-Valliamée (1996, 2004) qui a étudié les unités lexicales et grammaticales à valeur spatiale. Nous notons que l’auteure

48 Robert, Chaudenson, 1974, op. cit. Le lexique du parler créole de La Réunion, p. 167.

49 Id.

50 Id, p. 167-168.

51 Jean-Michel, Jauze, « Les Hauts de La Réunion, un désir de reconnaissance identitaire qui passe par la patrimonialisation », in : Les Hauts de La Réunion, terres de tradition et d’avenir, 2011, Océan Ed., p. 130.

41 n’a pas consacré une étude à l’expression linguistique de la spatialité. Dans notre Mémoire de Master 2 (2010) sous la direction de G. Staudacher-Valliamée, nous avons identifié la localisation spatiale. Pour le cas du créole mauricien, dans une grammaire en ligne (2011), une partie est consacrée à la localisation spatiale « Lokalizasion spasial ».52 Les auteurs de cette grammaire expliquent au préalable les théories dont ils se servent afin de proposer la description spatiale du créole mauricien. Ils confirment l’existence en mauricien de verbes, de prépositions, d’adverbes et de déictiques exprimant la localisation. Dans cette grammaire de 2011, nous retrouvons des points que notre Mémoire de Master 2 avait déjà identifiés pour le créole réunionnais. Ce rapprochement attire l’attention sur des similitudes entre le créole mauricien et le créole réunionnais dans l’expression de la spatialité par l’emploi de ces unités lexicales et grammaticales. Nous les traitons quand nous abordons la typologie linguistique (cf. Partie 3, chapitre 8 : 8.2., p. 314-318). Certaines recherches proposent une étude générale des unités à valeur spatiale ou une étude ciblée sur une unité en particulier. Il peut s’agir de prépositions (Vandeloise : 1986 ; Marcq : 1992), de déictiques et de démonstratifs (Koenig : 2012). Par exemple, les déictiques spatiaux sont fréquemment étudiés. Pour le cas du créole réunionnais, dans sa thèse de doctorat (1985), G. Ramassamy analyse quelques « unités spécifiques »53 liées à l’espace, au temps et à la manière. Ses inventaires d’unités à valeur spatiale et temporelle sont qualifiés de « déictiques spatiaux » et de « déictiques temporels ».54 On trouve chez G. Ramassamy une analyse sémantico-syntaxique qui unit les fonctions primaires et l’opposition éloignement / rapprochement. Pour l’auteure :

« le point de repère des premiers c’est la position qu’occupe le corps de l’énonciateur lors de son acte d’énonciation. Ainsi on aura les oppositions sémantiques : o/ « en haut » vs. /an-ba/ « en bas », /déor/ « dehors vs. /anndan/ « dedans », //isi/, /la/ « ici » vs. /la/an-ba/ « là-bas », etc. […]

Nous constatons que sur l’axe sémantique proximité de l’énonciateur vs. éloignement, le degré de proximité est pris en charge indifféremment par /isi/ ou /la/ en opposition à /laba/ qui indique l’éloignement ».55 (Ramassamy, G., 1985)

52 Daniella, Police-Michel, Gramer kreol morisien, Volim I, Akademi Kreol Morisien, 2011 p. 111.

53 Ginette, Ramassamy, Syntaxe du créole réunionnais, Thèse de doctorat N.R. Université de Paris V, Sorbonne, 1985, p. 283.

54 Id.

55 Id, p. 284.

42 L’analyse de nos corpus confirme l’emploi de déictiques spatiaux. Comme G. Ramassamy, nous relevons par exemple isi, laba, anndan « ici ; là-bas ; dedans, à l’intérieur » (cf. chapitre 5 : 5.2.2., p. 200-205). Les déictiques permettent de marquer une certaine distance dans l’espace sans apporter d’informations concernant l’appréciation réelle de cette distance. Dans nos corpus, nous identifions les oppositions éloignement / rapprochement et intériorité / extériorité véhiculées par les unités lexicales et grammaticales à valeur spatiale comme les verbes, les prépositions, les adverbes et les déictiques. L’éloignement et le rapprochement constituent un couple de critère de la spatialité fréquemment étudié dans certains travaux (Cassirer : 1929 ; Vandeloise : 1986 ; Marcq : 1992 ; Pottier : 1992 ; Boucherit : 1998 ; Borillo : 1998). Par exemple, dans une approche sémantique, Pottier (1992) décrit l’approche, l’intériorité et l’éloignement :

« A partir de là, on peut étudier les conceptualisations de l’approche (avec ou sans contact, avec mouvement interrompu ou non) et leurs solutions linguistiques ; de même pour l’éloignement […]. L’intériorité/extériorité comprend elle-même des variantes (cf. en classe, dans la classe), et pose la question des limites».56 (Pottier, B., 1992)

Pottier (1992) atteste aussi que « la déixis implique tout d’abord la personne, et les trois champs sémantiques possibles de référenciation : espace, temps, notion ».57 Cela est confirmé par André Rousseau (1993) pour qui :

« Tout locuteur détermine par l'usage de sa deixis un espace déictique, rapporté à son ego et marqué linguistiquement par ici. »58

« La fonction des démonstratifs ce, cet, ceci... est de marquer l'appartenance d'un objet de discours à cet espace déictique. »59 (Rousseau, A., 1993)

Notre étude linguistique analyse particulièrement l’unité là en tant que déictique spatial et l’unité sa en tant que démonstratif du créole réunionnais. Nous confirmons les travaux de G.

Staudacher-Valliamée (2004), qui montre que l'emploi des déictiques sa et la (là/lâ) servent à

« montrer des objets et les mettre en valeur »60. Ils jouent un rôle important dans le système

56 Bernard, Pottier, 1992 [2ème édition : 2011], op. cit. Sémantique générale, p. 75.

57 Id, p. 159.

58 André, Rousseau, « Espace, référence, représentation. Réflexions sur quelques conceptualisations de l’espace » in Faits de langues n°1, Mars 1993, pp. 151-162, p. 152.

59 Id.

60 Gillette, Staudacher-Valliamée, 2004, op. cit. Grammaire..., p. 71.

43 spatial du créole réunionnais. Ces unités présentent une valeur anaphorique ou cataphorique.

Pour la première, l’unité « renvoie à un segment déjà mentionné » et pour la seconde, il s’agit d’un renvoi « à ce que l’on va énoncer ».61

L’emploi de déictiques spatiaux notamment accompagnés de gestes joue un rôle important dans l’expression de la spatialité (Cassirer : 1923 ; Boucherit : 1998 ; Koenig : 2012). La langue et le langage s’allient pour exprimer la spatialité. C’est par exemple le cas de l’italien.

Une étude (Boucherit : 1998) montre que la population italienne a tendance à « parler avec les mains ». De manière générale, lors d’une situation de communication verbale, les paroles énoncées sont souvent accompagnées de gestes, surtout quand il s’agit de spatialité ou de temporalité. Sur ce point, nous nous fondons sur les travaux de Koenig (2012). L’auteur souligne que les démonstratifs sont liés aux relations spatiales puisque le corps est sollicité en situation de communication orale. D’ailleurs, dans la plupart des langues le corps est un élément important dans l’expression de la spatialité. Il explique que :

« Les démonstratifs ont une fonction référentielle identifiant la localisation et la nature de l’entité en question en relation avec le point d’orientation (l’origo au sens de Bühler, 1934), telle qu’elle se présente en situation d’élocution. Leur fonction de base dans la communication est d’établir un centre d’intérêt commun au locuteur et à l’interlocuteur. Dans leur emploi de base, les démonstratifs peuvent être accompagnés de gestes de monstration ou de mimiques à l’aide de l’index, de la main, d’un mouvement de la tête, de la position du corps, de la direction du regard ou de la voix en tant qu’instruments de communication. Les démonstratifs constituent ainsi une sous-classe d’expressions déictiques qui incluent également des déictiques temporels comme maintenant, puis et hier, des expressions évaluatives comme pour parler franchement ou des expressions épistémiques ».62 (Koenig, E., 2012)

Nos corpus sont composés de productions orales de locuteurs créolophones. Nous mentionnons l’importance du langage corporel (la gestuelle) quand nous abordons dans l’analyse, l’emploi de déictiques spatiaux. En effet, certains informateurs se sont exprimés par des gestes des bras et des mains. Nous l’avons observé lors des enregistrements sur le terrain.

C’est le cas par exemple des locuteurs les plus âgés de Saint-Denis et de Cilaos. En nous racontant leur vie d’autrefois et leur vie actuelle, ils ont aussi fait appel à la gestuelle dans un but de communication orale.

61 Gillette, Staudacher-Valliamée, 2004, op. cit. Grammaire..., p. 72.

62 Ekkehard, Koenig, « Le rôle des déictiques de manière dans le cadre d’une typologie de la déixis », in.

Bulletin de la Société de linguistique de Paris, t. CVII (2012), fasc. 1, p. 11-42, p.13.

44 1.7.4. Conception de l’espace et centre d’orientation

Chaque langue établit son propre système d’expression de l’espace, qui dépend de la conception que la communauté linguistique a de son environnement et de l’endroit dans lequel elle évolue au quotidien. Selon E. Cassirer (1929) :

« On n’y parvient à des déterminations et à des distinctions spatiales que par l’attribution d’un accent mythique original à chaque “contrée” de l’espace, à l’ “ici” et au “là”, à l’orient et à l’occident, au “haut” et au “bas”. L’espace se subdivise dès lors en domaines et en directions déterminés, dont chacun ou chacune possède un caractère propre d’expression, et non pas seulement un pur sens intuitif.

Le proche et le lointain, le haut et le bas, la droite et la gauche ont chacun sa particularité incontestable, son mode propre de signification magique. »63 (Cassirer, E., 1929)

Dans la représentation spatiale, il existe différentes perspectives. Par exemple, selon les axes d’orientation du corps humain qui sont le vertical, le frontal, le latéral (Cassirer : 1923 ; Vandeloise : 1986 ; Marcq : 1992 ; Pottier : 1992 ; Borillo : 1998). Cassirer écrit à ce propos :

« Nous avons vu en étudiant le langage que les termes qui expriment l’orientation spatiale, les mots “devant”, “derrière”, “en haut” et “en bas” étaient d’ordinaire empruntés à l’intuition du corps propre : le corps de l’homme et ses membres constituent le système de référence sur lequel sont transposées indirectement toutes les autres différences spatiales. »64 (Cassirer, E., 1925)

Une entité animée peut être décrite par ces axes naturels d’orientation spatiale. C’est ce que confirme aussi L-J Calvet (1984) quand il aborde la tradition orale. Selon l’auteur, « une géographie corporelle, c’est-à-dire la connaissance que l’homme a de son corps, peut servir de base à une géographie externe dont le corps serait la mesure. »65 Il souligne l’importance de l’organisation spatiale en fonction du corps humain dans les sociétés à tradition orale :

63 Ernst, Cassirer, La philosophie des formes symboliques. 3. La phénoménologie de la connaissance, Collection Le sens commun, Paris, Editions de Minuit, 1972, 640 pp, p. 174.

64 Ernst, Cassirer, La philosophie des formes symboliques. 2. La pensée mythique, Collection Le sens commun, Paris, Editions de Minuit, 1925, 348 pp, p. 117.

65 Louis-Jean, Calvet, La tradition orale, Presses Universitaires de France, 1984, p. 47.

45

« “A main droite”, “à main gauche” : ces expressions populaires pour indiquer la direction montrent bien comment l’espace est ramené au corps jusque dans nos sociétés à tradition écrite (ajoutons encore en face et derrière, dont le rapport avec la face et le derrière est évident, ainsi que toutes les expressions portant sur le ventre de quelque chose, d’un bateau, d’une usine, etc., pour désigner son centre, ou encore sur le cœur d’un problème, etc.). C’est que, bien avant de coucher le monde sur un support pictural, avant de ramener le territoire à la carte, ce qui impliquait un bouleversement révolutionnaire dans sa vision du territoire, l’homme l’a d’abord saisi par l’intermédiaire de son corps puis de sa perception immédiate, en fonction de ce qu’il voyait, de ce qu’il parcourait réellement, des déplacements qu’il croyait observer, etc. »66 (Calvet, L-J., 1984)

Wolfgang Klein (1993) apporte aussi sa contribution en précisant que « ce qui paraît universel, c’est le fait que l’homme utilise l’image de son corps pour la référence spatiale.

Wolfgang Klein (1993) apporte aussi sa contribution en précisant que « ce qui paraît universel, c’est le fait que l’homme utilise l’image de son corps pour la référence spatiale.