• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Une étude linguistique en contexte insulaire créole et créolophone

2.7. L’acquisition de la spatialité et les logiques spatiales

Pour notre étude, nous abordons l’acquisition de la spatialité en lien avec les logiques spatiales pour le créole réunionnais. Le français est alors à considérer comme une langue seconde (L2) et le créole réunionnais comme langue maternelle ou langue première (L1). Il convient d’abord de présenter les études traitant de l’acquisition d’une langue avant d’établir un lien avec la spatialité. Nous présentons une définition générale des logiques et nous établissons un lien avec le système spatial.

Beaucoup d’études s’intéressent à l’acquisition des langues qui se différencie de l’apprentissage. Par exemple, Bernard Py (1994) donne les définitions suivantes de l’acquisition et de l’apprentissage.

« L’apprentissage est une construction artificielle de savoir-faire didactiquement contrôlés, alors que l’acquisition est la mise en œuvre spontanée et inconsciente d’opérations mentales naturelles, par une sorte de “bon sauvage” apprenant. »181 (Py, B., 1994)

Ce que confirme Daniel Véronique quand il souligne que l’« apprentissage […] implique un enseignement ou un guidage » (Véronique, D., 2005 : p. 27). Dans sa thèse, Jia Tan (2011) explique que :

« L’acquisition de la LM renvoie à un processus naturel d’appropriation d’une construction langagière de manière progressive et inconsciente à travers la communication pratique et quotidienne. » (Tan, J., 2011 : p. 16)

Pi Hsia Hung (2012) atteste dans sa thèse que « le processus acquisitionnel est systématique, à la fois dans son déroulement et dans ses productions. » (Hung, P. H., 2012 : p.8)

Pour notre étude, le terme d’acquisition est utile pour évoquer le créole réunionnais en tant que langue maternelle (L1) et l’expression de la spatialité. Le terme d’apprentissage semble être adapté pour le français en tant que langue seconde (L2). Pour des locuteurs créolophones unilingues, il s’agit d’apprendre l’expression de la spatialité en français. Dans les corpus de type 2 et les corpus de type 3, nous constatons que les informateurs incluent dans leurs

181 Bernard, Py, « Place des approches interactionnistes dans l’étude des situations de contacts et d’acquisition », in : Créolisation et acquisition des langues, Daniel Véronique (éd.), Publications Université de Provence, 1994, p. 137.

91 productions orales en créole réunionnais des termes français ou alors il s’agit de phrases énoncées en français avec introduction de termes créoles. Quand Daniel Véronique (1992) étudie particulièrement l’acquisition des langues secondes, il explique que :

« À la suite de Klein (1989), on peut décrire le procès d’appropriation d’une langue seconde comme impliquant de la part de l’apprenant une double activité d’analyse et de synthèse : perception et décomposition du flux de paroles qui lui parvient et ré-organisation du perçu pour pouvoir produire des énoncés en L2. Ces opérations de traitement de l’information linguistique, qui conduisent de l’analyse de la chaîne sonore à l’inférence de sens et d’intentions de communication, sont de plein droit des activités cognitives ; elles renvoient à un ensemble de procès intrapsychiques mais aussi aux situations sociolinguistiques d’échanges de paroles. »182 (Véronique, D., 1992)

Dans notre étude, nous notons que les très jeunes locuteurs créolophones (corpus de type 3) emploient des termes créoles dans leurs productions orales en français. Nous rappelons que les élèves de grande section ont été enregistrés à partir du test diagnostique à effectuer en français. Cette particularité identifiée dans nos corpus confirme les constats de Daniel Véronique (1992) dans ses travaux sur l’acquisition des langues secondes quand il souligne

« le recours aux autres ressources linguistiques disponibles pour l’apprenant (principalement sa L1) ».183 L’auteur explique que :

« Un même observable, l’emploi de matériau linguistique de L1 en L2 par exemple, peut résulter soit d’un fait d’interférence qui renvoie à un mécanisme de contrôle, soit à un déficit de connaissance en L2, qu’une forme de L1 vient combler. »184 (Véronique, D., 1992)

L’acquisition et l’expression du système spatial d’une langue font appel aux logiques qui y sont liées. Nous présentons la définition d’A. Arnauld et P. Nicole (1992) que nous retenons pour notre étude :

« La logique est l’art de bien conduire sa raison dans la connaissance des choses, tant pour s’instruire soi-même que pour en instruire les autres.

Cet art consiste dans les réflexions que les hommes ont faites sur les quatre principales opérations de leur esprit, concevoir, juger, raisonner et ordonner.

92

On appelle concevoir, la simple vue que nous avons des choses qui se présentent à notre esprit, comme lorsque nous nous représentons un soleil, une terre, un arbre, un rond, un carré, la pensée, l’être, sans en former aucun jugement exprès ; et la forme par laquelle nous nous représentons ces choses s’appelle idée.

On appelle juger, l’action de notre esprit par laquelle, joignant ensemble diverses idées, il affirme de l’une qu’elle est l’autre, ou nie de l’une qu’elle soit l’autre, comme lorsqu’ayant l’idée de la terre et l’idée du rond, j’affirme de la terre qu’elle est ronde, ou je nie qu’elle soit ronde.

On appelle raisonner, l’action de notre esprit par laquelle il forme un jugement de plusieurs autres ; comme lorsqu’ayant jugé que la véritable vertu doit être rapportée à Dieu, et que la vertu des païens ne lui était pas rapportée, il en conclut que la vertu des païens n’était pas une véritable vertu.

On appelle ici ordonner, l’action de l’esprit par laquelle, ayant sur un même sujet, comme sur le corps humain, diverses idées, divers jugements et divers raisonnements, il les dispose en la manière la plus propre pour faire connaître ce sujet. C’est ce qu’on appelle encore méthode.

Tout cela se fait naturellement, et quelquefois mieux par ceux qui n’ont appris aucune règle de la logique que par ceux qui les ont apprises. »185 (Arnauld, A., Nicole, P., 1992)

Il semble que la logique soit aussi rattachée au langage parce que Meyer (1985) explique que :

« En réalité, la logique présuppose le langage et inversement, puisque la logique est l’expression des rapports de signification : le langage est logique. Toute phrase doit pouvoir être compréhensible par elle-même, et sa signification doit se trouver dans le fait même, qu’elle dit ce qu’elle dit. »186 (Meyer, M., 1985)

Le système spatial d’une langue présuppose des logiques qui s’opèrent pour permettre l’expression de ce système spatial. Comme le souligne la définition d’A. Arnauld et de P.

Nicole (1992), « les quatre principales opérations de [l’] esprit, concevoir, juger, raisonner et ordonner » se mettent en place pour former les logiques. Ces dernières peuvent être identifiées dans le discours. Il existe donc des logiques spatiales. C’est ce que confirme notre étude des relations spatiales (cf. chapitre 8 : 8.4.1., p. 324-328). L’acquisition de la spatialité et des logiques spatiales s’effectue en même temps que s’acquiert la langue maternelle.

185 Antoine, Arnauld, Pierre, Nicole, La logique ou l’art de penser, Paris, Gallimard, 1992, p. 30.

186 Michel, Meyer, Logique, langage et argumentation, Paris, Hachette, 1985, p. 48.

93

2.8. La situation dans l’espace : une compétence fondamentale en