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Chapitre 3 : La collecte des données

3.2. La méthodologie de traitement linguistique du corpus

Avant de dévoiler l’analyse linguistique des idiolectes dans la deuxième partie, nous indiquons la méthode de notation des corpus, les principes de segmentation des corpus, l’écriture grammaticale adoptée et la présentation concrète des corpus dans le corps de la thèse.

3.2.1. Méthode de notation des corpus oraux : logiciels Audacity 2.0.4., VLC media player

La première étape consiste à écouter les enregistrements. De cette manière, nous détectons les éventuels problèmes liés à la qualité du son. Il s’est avéré dans certains cas que l’enregistrement était de mauvaise qualité. Par exemple, le son de la voix de certains locuteurs était à peine audible (cf. 3.1.1.5., p. 105-106). Après l’écoute, nous utilisons un logiciel de traitement et d’édition audio gratuit, téléchargé sur internet appelé Audacity 2.0.4. C’est un logiciel d’enregistrement et de montage libre, ouvert, multi-plateforme. Il permet une écoute efficace en raison de la possibilité de sélectionner une séquence audio de l’enregistrement et de l’écouter à plusieurs reprises. Pour les corpus de type 3 (élèves de grande section), il s’agissait de visionner et d’écouter les séquences filmées à partir du logiciel libre VLC media player qui est un lecteur multimédia.

114 3.2.2. Les principes de segmentation du corpus

Lors de la notation des enregistrements, nous avons segmenté le corpus en énoncés puisqu’il s’agit de productions orales. Dans sa différence à la phrase,

« Le mot énoncé désigne toute suite finie de mots d’une langue émise par un ou plusieurs locuteurs. La clôture de l’énoncé est assurée par une période de silence avant et après la suite de mots, silences réalisés par les sujets parlants. Un énoncé peut être formé d’une ou plusieurs phrases. »203 (Dubois, J. & alii., 1994)

Nous choisissons de ponctuer la notation par des virgules et des points en fonction de la courbe prosodique. Nous nous sommes fondée sur les intonations montantes et descendantes.

L’énoncé que nous écrivons commence par une majuscule et se termine par un point. Les pauses sont marquées par une virgule. Pendant l’écoute, quelques bribes d’énoncés étaient incompréhensibles. Nous signalons cette particularité par le signe de ponctuation des trois points de suspension : « … ». Pour notre étude, nous avons illustré la prosodie dans les exemples, quand c’était nécessaire, par le signe « // » pour indiquer une pause, le signe « ↑ » pour marquer une intonation montante et « ↓ » pour une intonation descendante. Pour indiquer un verbe à forme injonctive, nous avons utilisé le point d’exclamation « ! » et pour illustrer une énumération d’actions, la ponctuation « : ».

Pour une analyse linguistique, nous considérons les énoncés en tant que phrases. En effet, nous analysons des faits de langue que nous avons notés. Sous la forme écrite ces énoncés deviennent alors des phrases. Dans sa définition de la phrase, Jean Dubois et alii. (2002) explique que :

« Selon la grammaire traditionnelle, la phrase est une unité de sens accompagnée, à l’oral, par une ligne prosodique entre deux pauses et limitée, à l’écrit, par les signes typographiques que sont, en français, la majuscule et le point. La phrase peut contenir plusieurs propositions (phrase composée et complexe). »

« Les phrases simples ne comportent qu’un membre organisé autour d’un verbe (à un mode personnel ou à l’infinitif). Les phrases complexes comportent plusieurs membres dits

“propositions”, celles-ci étant soit juxtaposées, soit coordonnées soit subordonnées. Dans les phrases complexes, les propositions juxtaposées ou coordonnées ont une autonomie grammaticale complète permettant à chacune de fonctionner le cas échéant comme une phrase

203 Jean, Dubois et alii. (éd.), 1994, op. cit. Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, p. 180.

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simple. La proposition subordonnée, au contraire, ne peut pas fonctionner telle quelle, comme une phrase simple ; elle a besoin du support de la proposition principale, qui contient un terme dont elle est dépendante ».204 (Dubois et alii., 2002)

Appliquée au créole réunionnais, la définition proposée Gillette Staudacher-Valliamée (2001, 2010) inclut les critères syntaxiques et prosodiques. L’auteure explique que :

« La définition que nous donnons de la phrase créole dans notre Grammaire repose en effet sur des particularités syntaxiques que sont la latitude prédicative (plusieurs unités peuvent fonctionner en emploi prédicatif), l’absence de servitude subjectale (ou l’existence de phrase sans sujet) et le programme valenciel du verbe. Nous avons vu que la valence conditionne la saturation du verbe en actants et en circonstants. »205 (Staudacher-Valliamée, G., 2001)

« Toute phrase peut se définir en tant qu’énoncé articulé en un groupe d’unités porteuses d’une information principale et syntaxiquement irréductible qu’on appelle prédicat. En tant que telle, la phrase valide trois caractères définitoires : sa relative autonomie syntaxique, sa complétude sémantique ainsi que sa ligne prosodique pertinente que la ponctuation a pour fonction de signaler. L’harmonisation graphique des signes et diacritiques visualise le statut de la phrase (interrogative, exclamative, énonciative, injonctive). »206 (Staudacher-Valliamée, G., 2010)

Ces définitions de la phrase créole correspondent en partie à la manière dont nous procédons pour analyser nos corpus. Dans le cas de notre étude, il faut prendre en compte les relations spatiales. À la lumière des caractéristiques rencontrées dans notre étude des relations spatiales, nous attirons l’attention sur les points suivants :

La phrase regroupe un ensemble d’unités lexicales et grammaticales qui s’organisent et se combinent entre elles pour transmettre du sens. Elle est représentative de la prédication verbale quand elle comporte un verbe qui s’occupe de régir les autres unités. Dans le cas de la prédication non-verbale, l’élément prédicatif peut être représenté par un nom, une préposition, un adverbe, un adjectif, ou un déictique. Il existe deux types de phrase : la phrase simple comportant un prédicat verbal ou un prédicat non-verbal et la phrase complexe qui regroupe plusieurs prédicats verbaux et/ou prédicats non-verbaux. Il s’agit de syntagmes prédicatifs coordonnés, subordonnés et juxtaposés. La prosodie peut soutenir de manière pertinente l’ordre des mots et l’identification des types de phrase (cf. Staudacher-Valliamée, G., : 2014, 2015, 2016).

204 Jean, Dubois et alii., 2002, op. cit. Dictionnaire de linguistique, p. 365.

205 Gillette, Staudacher-Valliamée, 2001, op. cit. La description linguistique des langues créoles…, p. 69.

206 Gillette, Staudacher-Valliamée, 2010, op. cit. « Langue et mémoire collective… », p. 350.

116 Pour notre étude, nous disposons de phrases simples et de phrases complexes. Les dernières sont appréhendées en syntagmes prédicatifs parce que l’analyse et l’interprétation des résultats reposent sur l’étude des syntagmes prédicatifs. Nous rappelons ici que notre analyse linguistique de la spatialité prend comme cadre privilégié celui des structures prédicatives, utilisées en théorie syntaxique, le programme valenciel, la transitivité verbale et l’ordre des mots.

Pour notre étude linguistique des relations spatiales, nous enlevons les phrases incomplètes.

Ensuite, nous numérotons chaque phrase. Le fait de ne retenir que des phrases à valeur spatiale enlève parfois la cohérence de ce qui est dit par l’informateur. C’est ce que nous constatons dans tous les corpus. Pour les séquences filmées des élèves de grande section de maternelle, leurs productions incluant le français et le créole réunionnais ont rendu difficile l’identification des termes créoles et des termes français. Certains termes pouvant appartenir à l’une ou à l’autre langue comme par exemple sa / ça (cf. Annexe n° 1 : Ex. n° 531).

Certaines phrases du discours oral spontané ne remplissent pas les critères d’ « autonomie syntaxique » et de « complétude sémantique ». En effet, la segmentation en énoncés, la notation et le choix des phrases de la spatialité génèrent la présence de bribes de phrase apparaissant comme sorties de leur contexte. Celles-ci correspondent par exemple à des circonstants locatifs séparés de la première partie de la phrase ou constituent la réponse à une question posée pendant l’entretien. Pour certaines phrases de ce type, nous avons pu mettre les phrases qui les précèdent ou les succèdent dans les idiolectes. Par exemple, pour l’informateur (h, 1953, M.R, Saint-Denis) nous avons ajouté entre-crochets les phrases permettant de comprendre le sens de la phrase n° 103 (Ex. n° 101, n° 102, n° 104). Pour les corpus des élèves de grande section, nous ne pouvons pas apporter plus de précisions parce qu’il s’agit de réponses à des questions (Ex. n° 579 : h, 2006, N° 10, classe 13, école maternelle Françoise Dolto). Il est nécessaire de connaître le contexte d’énonciation (le jeu du tiroir).

[Ex. (101) Non, navé poin robiné, navé poin d’lo dan la kour.

Trad. Litt. : « Non, Ø avait point Ø robinet, Ø avait point de l’eau dans la cour. » Trad. : « Non, il n’y avait pas de robinet, il n’y avait pas d’eau dans le jardin. » Ex. (102) Fo alé sérsé.

Trad. Litt. : « Ø faut aller chercher. » Trad. : « Il fallait aller chercher. »]

Ex. (103) : In robiné i tourn komsa ! (Geste de la main pour montrer le mouvement)

117 Trad. Litt. : « Un robinet Ø MP tourne comme ça ! »

Trad. : « Une fontaine publique qu’il faut tourner dans ce sens ! » [Ex. (104) Omoin, sort là ziska somin d’lo.

Trad. Litt. : « Au moins, Ø sort Ø là jusqu’à Ø chemin de l’eau. » Trad. : « Au moins, partir de là jusqu’à l’endroit où se trouvait l’eau. »]

Ex. (564) : Akoté le portay.

Trad. Litt. : « à côté Ø le portail. » Trad. : « À côté du portail. »

3.2.3. La notation du corpus : notre aménagement de l’écriture Oktob 77

Claire Blanche-Benveniste (2000) aborde, dans ses travaux, la transcription de données orales et explique que :

« Les études consacrées spécifiquement à la “matière phonique”, prononciation, prosodie, se font nécessairement au moyen de symboles phonétiques. Ce n’est guère commode pour étudier des phénomènes grammaticaux ou discursifs très étendus. C’est pourquoi la plupart des grands corpus de langue parlée prennent pour base l’écriture orthographique, avec différents aménagements. »207 (Blanche-Benveniste, C., 2000)

L’auteure évoque par exemple les difficultés de procéder à la notation du parler des jeunes enfants en raison de la prononciation de certains termes. Dans notre cas, pour étudier nos corpus, nous proposons une segmentation en phrases et une notation en écriture adaptée du créole réunionnais. Les exemples en créole réunionnais, intégrés dans les citations, des autres auteurs (R. Chaudenson, G. Ramassamy, G. Staudacher-Valliamée) sont notés dans la graphie originale qu’ils adoptent dans leurs travaux. Chaudenson utilise une écriture phonétique, Ramassamy une écriture phonologique et Staudacher-Valliamée une écriture grammaticale (2004).

Pour la notation des enregistrements, nous avons choisi une écriture du créole réunionnais qui se fonde sur l’écriture Oktob 77 pour laquelle nous aménageons les sons [ʃ] et [ʒ] dans un

207 Claire, Blanche-Benveniste, Approches de la langue parlée en français, Ophrys, 2000, p. 24-25.

118 souci de respecter la prononciation des informateurs. Nous avons également proposé d’autres aménagements. Par exemple, nous avons noté le u du créole parlé par les deux locuteurs de Cilaos comme dans le pronom personnel à la troisième personne du singulier lu « il » qui est une variante de li. Il s’agit d’une caractéristique du créole des Hauts que nous marquons dans la notation. Certains synthèmes nominaux sont notés en deux unités (pié piman « arbuste à piments »). Pour les termes se terminant par une consonne comme m, nous notons la voyelle finale e pour une meilleure compréhension. Nous notons le son [Ø] par eu (meusieu

« monsieur ») et [ј] par gn (gingn « gagner »). Au verbe pas nous ajoutons un –s pour favoriser la compréhension (pass « passer ») et éviter la confusion avec le marqueur de négation « pas » du français. Deux verbes sont indiqués avec leur variante phonologique, l’une se prononçant avec le son [s] et l’autre avec le son [ʃ] : sap / sapé / shap / shapé

« déraper, tomber, s’échapper », marsé / marshé « marcher, circuler ». La manière d’écrire certaines formes contractées de pronom personnel et de marqueur préverbal a été aménagée.

Par exemple, ma peut être la forme contractée du pronom personnel moin « je » et du marqueur préverbal va ou la. Les deux cas de figure sont identifiés dans nos idiolectes. Dans le corps de la thèse, nous proposons l’aménagement suivant qui nous a été suggéré par notre directrice de thèse :

ma : moin va (marqueur de l’aspect non-accompli) maa : moin la (marqueur de l’aspect accompli).

Le second correspond à une prononciation plus traînante prosodiquement. Nous proposons un tableau qui présente les principaux aménagements mis en place pour faciliter la notation des exemples utilisés dans notre étude.

3.2.3.1. Tableau n° 3 : Liste des aménagements particuliers pour la notation du corpus

Le tableau ci-dessous illustre dans la première colonne 15 aménagements proposés pour faciliter la notation et la compréhension de nos corpus. La deuxième colonne présente soit des exemples soit la fonction de l’aménagement. Les aménagements qui ne sont pas indiqués dans le tableau sont expliqués dans le paragraphe précédent.

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Transcription phonétique Aménagements Exemples et fonctions

[e] é dédan « dedans, à l’intérieur »

[ɛ] è dérièr « derrière »

[ʃ] sh shérsh « chercher »

[s] s somin « chemin »

[ᴣ] zh zhèt « projeter »

[ᴢ] z ziska « jusqu’à »

[Ø] eu keur « cœur »

[ɲ] gn gingn « gagner, arriver »

[j] y travay « travail »

[la] la marqueur préverbal de l’accompli

[la] déictique spatial ou marqueur de démonstratif

[la] phatème

[ma] ma moin + va

[maa] maa moin + la

3.2.4. Présentation concrète des corpus dans la thèse

Dans notre étude linguistique, les phrases de nos corpus sont numérotées. La numérotation retenue pour les corpus, qui figurent aussi en annexe (Annexe n° 1 : p. 3-55), est la même pour illustrer les exemples dans le corps de la thèse. Cette numérotation est indiquée entre-parenthèses. Pour chaque exemple, l’identité codée de l’informateur est précisée dans le corps du texte. Une traduction littérale des phrases ainsi qu’une traduction, que nous proposons, sont illustrées dans l’exemple. Ci-dessous, un modèle de présentation concrète des phrases :

Ex. (51) : Maa parti lavé, la rivièr té koul !

Trad. Litt. : « Je parti laver, la rivière MP coulait ! »

Trad. : « Je suis allée laver le linge, la rivière était en crue ! »

Ce type de présentation est le plus courant mais il est possible que l’identité codée des informateurs figure en titre de sous-parties, les exemples sont alors uniquement numérotés avec la traduction. Pour les corpus de type 3 (élèves de grande section), nous rappelons que les exercices du test diagnostique étant passés en français, nous notons des phrases intégrant le français et le créole. Pour noter cette particularité dans le corps de la thèse, nous écrivons

120 les termes français dans une écriture normale. Dans les corpus en annexe, le français est noté en italique.

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