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L’ancrage de nos points d’enquête dans le contexte géographique

Chapitre 2 : Une étude linguistique en contexte insulaire créole et créolophone

2.1. L’ancrage de nos points d’enquête dans le contexte géographique

Les 24 communes réunionnaises se répartissent sur les côtes littorales, dans l’intérieur et dans les Hauts de l’île. Différentes cartes géographiques de l’île sont élaborées dans le cadre de travaux scientifiques. Par exemple, dans l’Atlas linguistique et ethnographique de La Réunion127 (1984), les auteurs ont mis en évidence les particularités linguistiques liées à plusieurs thématiques (le temps, la géographie, le climat, l’homme, etc.) selon la localisation géographique de leurs enquêtes de terrain. Nous procédons différemment pour notre étude linguistique des relations spatiales organisée autour d’un échantillonnage représentatif de

127 Michel, Carayol, Robert, Chaudenson, Atlas linguistique et ethnographique de La Réunion, Volume I, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1984.

66 locuteurs. Nous présentons une carte géographique en relief illustrant les 24 communes de l’île. Cette carte indique aussi les toponymes identifiés dans nos corpus et la localisation du domicile des informateurs (cf. chapitre 7 : 7.4., p. 280-292).

2.1.1. Carte n° 2 : Carte en relief des 24 communes et des toponymes de La Réunion

67 2.1.2. Commentaires explicatifs à la carte n°2

La carte n° 2 illustre la répartition des 24 communes réunionnaises ainsi qu’un aperçu de la configuration insulaire et naturelle. La représentation en relief illustre une opposition entre les Hauts (hautes altitudes) et les Bas de l’île (zone côtière, littoral). Par exemple, l’opposition entre les villes du littoral et la ville de Cilaos qui se situe dans les Hauts à 1 220 mètres d’altitude. Cilaos correspondant à l’un de nos cinq points d’enquête de terrain où sont localisés deux de nos informateurs des corpus de type 1, dont la plus âgée. La ville où se trouve l’autre informatrice la plus âgée est Saint-Denis (zone côtière). Deux jeunes informateurs des corpus de type 2 habitent au Tampon, une ville située vers l’intérieur de l’île.

Les autres informateurs des corpus sont originaires des villes de la zone côtière. La carte précise les toponymes indiquant la localisation du domicile des informateurs comme par exemple, la Providence (Saint-Denis), la Ravine des Cabris (Saint-Pierre) et Piton Sainte-Rose (Sainte-Sainte-Rose). Les toponymes relevés dans les corpus des informateurs des corpus de type 1 sont illustrés sur la carte, par exemple Bras Sec (Cilaos), Lataniers (Saint-Denis).

Dans ses travaux menés sur La Réunion, R. Chaudenson (1974) s’intéresse aussi à la configuration géographique naturelle de l’île. Les reliefs montagneux vers le centre et le littoral dans le paysage réunionnais ont un impact sur l’expression linguistique des relations spatiales. Par exemple, l’auteur note les oppositions anlèr/dannfon, anba/an-o « en haut / en bas », lé ba/lé-o « les Hauts / les Bas ». Dans son ouvrage de 1974, « le lieu d’où l’on vient »128 exprime davantage l’endroit de l’île d’où une personne est originaire. Il s’agit de l’endroit où elle habite. Chaudenson ajoute que :

« parfois, on se contente d’une indication plus générale [li so:rt su l vã] “ il est de la région sous le Vent ” ; [li so :rt dã lé ba] “ il est de la côte ” ; [li so :rt dã lé o] “ il est des “ Hauts ” de l’île” ».129 (Chaudenson, R., 1974)

Pour évoquer l’opposition géographique les Hauts / les Bas, nous présentons les caractéristiques socio-culturelles et socio-économiques de la ville de Cilaos. Le géographe Jean-Michel Jauze explique que :

128 Robert, Chaudenson, 1974, op. cit. Le lexique du parler créole de La Réunion, p. 9.

129 Id.

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« Les Hauts de La Réunion se déterminent par rapport aux Bas, l’espace littoral. Cette dualité spatiale s’inscrit à la fois dans des caractéristiques physiques (40% des terres au-dessus de 1 000 m) et dans l’histoire de la mise en valeur du territoire. Les Hauts désignent les hauteurs intérieures dont certains lieux ne sont accessibles, aujourd’hui encore, qu’au prix de plusieurs heures de marche. »130 (Jauze, J-M., 2011)

Dans sa contribution, l’auteur évoque :

« un cadre physique extrême : remparts vertigineux, îlets enclavés, cavernes profondes, ravins encaissés, gouffres impressionnants (Trou de l’Enfer), torrents impétueux, forêts inextricables. »131 (Jauze, J-M., 2011)

La ville de Cilaos fait partie avec Mafate et Salazie des trois cirques de l’île. Du point de vue du géographe, Cilaos est :

« le plus petit des trois cirques, plus enclavé que Salazie en raison de la longueur et de la mauvaise qualité de sa liaison routière. Très étroite, cette route serpente interminablement au pied d’une falaise instable, au bord du précipice du Bras de Cilaos. Si le village principal a réussi à se moderniser, les îlets de Bras Sec, Mare Sèche, Ilet à Corde, Peterboth, Calebasse, Palmiste Rouge sont, en revanche, des espaces figés, en marge du développement. »132

« Les îlets de Cilaos se singularisent par leurs cultures de lentilles et de vigne. »133

« La lentille et les vigne ont été introduites dans ce cirque à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. La première est toujours cultivée de façon quasi-traditionnelle, depuis sa plantation jusqu’au battage, ce qui explique sans doute son prix élevé sur le marché local. Ilet à Cordes, qui en est le principal producteur, affiche un paysage typique avec ses champs suspendus au-dessus d’à-pics vertigineux. »134 (Jauze, J-M., 2011)

L’auteur évoque aussi les spécialités artisanales de Cilaos :

« Certains savoir-faire artisanaux participent aussi à l’identité de ces espaces. Cilaos se distingue par sa broderie, connue sous le nom de “Jours de Cilaos”. […]

Le tressage est un art très présent dans le Hauts et se différencie de l’activité également pratiquée dans les Bas par la nature des matériaux utilisés et par sa dimension culturelle. »135 (Jauze, J-M., 2011)

130 Jean-Michel, Jauze, 2011, op. cit. « Les Hauts de La Réunion, un désir de reconnaissance identitaire..., p. 125.

131 Id.

132 Id, p. 142.

133 Id, p. 144.

134 Id, p. 148.

135 Id, p. 151.

69 Nous établissons un lien avec notre informatrice de Cilaos qui pratique le tressage de fibres et de feuilles végétales. Les informateurs (f, 1936, S.M, Cilaos / h, 1952, V.P, Cilaos) confirment certaines spécificités liées à la ville de Cilaos que nous identifions dans les travaux de Jean-Michel Jauze (2011), comme l’agriculture et l’artisanat. Depuis quelques années, la ville de Cilaos est devenue un site touristique très connu et incontournable dans l’île. Par ailleurs, si la population est entièrement créolophone, la langue créole est exposée au français par le tourisme. C’est un aspect que nous avons noté lors de nos enquêtes de terrain en 2010. La réputation de la ville est liée à ses paysages, à la culture de lentilles, à la viticulture mais aussi à un établissement thermal. D’ailleurs, l’informateur de Cilaos (h, 1952, V.P, Cilaos) cultive par exemple des lentilles et la vigne à Ilet à Cordes. Il est intéressant de noter le lieu Ilet à Cordes établi par R. Chaudenson (1974 : p. 10). Le géographe J-M Jauze illustre l’évolution de la représentation socio-économique de Cilaos en se fondant sur l’opposition les Bas / les Hauts :

« Dans la dichotomie spatiale insulaire, les Bas représentent l’espace civilisé, moderne, d’ouverture sur l’extérieur, porteur de développement et d’avenir de l’île ; […] Les Hauts en revanche, stigmatisés par l’enclavement et la ruralité, symbolisent le retard sous toutes ses formes, “ailleurs”, “l’autre monde”. Cette vision longtemps enracinée dans les esprits a radicalement changé, au point que les Hauts chargés de nouvelles valeurs de représentation et de pratique, acquièrent un nouveau statut dans l’opinion des Bas, devenant un espace

“exotique” […] ».136

« L’agriculture occupe 60% des actifs des Hauts et représente environ 55% des surfaces agricoles de l’île (AGORAH). Les Hauts sont passés d’une agriculture vivrière de subsistance à une polyculture s’ouvrant sur le marché local. »137

« On assiste à une forme de complémentarité entre le système des Bas qui inscrit l’île dans la mondialisation au travers de l’économie sucrière et celui des Hauts qui participe à son approvisionnement intérieur. »138 (Jauze, J-M., 2011)

L’opposition des Hauts et des Bas de l’île n’est pas uniquement géographique. Elle est mise en évidence dans notre étude d’un point de vue socio-économique, socio-culturel et linguistique. Nous avons accentué la présentation géographique sur cette opposition parce que c’est une dimension géographique particulière qu’illustre la localisation de nos points d’enquêtes de terrain. En effet, la ville de Cilaos, située en hauteur et dans l’intérieur de l’île, se distingue des autres villes qui se trouvent sur le littoral.

136 Jean-Michel, Jauze, 2011, op. cit. « Les Hauts de La Réunion, un désir de reconnaissance identitaire..., p. 163.

137 Id, p. 147. AGORAH : AGence pour l’Observation de la Réunion, l’Aménagement et l’Habitat.

138 Id, p. 148.

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2.2. L’ancrage de nos points d’enquête dans la dynamique historique