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Les critiques de la conception sociologique du capital humain

Chapitre I. L’analyse macroéconomique des modes et structures de développement en Tunisie

2.4. Schéma de développement de la période 2010-2014

2.4.3. Investissement dans le capital humain

2.4.3.2. Les critiques de la conception sociologique du capital humain

Le capital humain est opaque car son incorporation le rend « difficilement perceptible par autrui. Les échanges qui le concernent s’effectuent alors dans une relative incertitude qui confère une place importante à l’émission de signaux et à leur description par les individus qui y sont impliqués. » . Ceci montre bien que théorie du capital humain et théorie du filtre peuvent être vues comme complémentaires plutôt que contradictoires. Bourdieu est très proche ici de la

théorie du capital humain, et de son explication de la demande d’éducation en fonction de la rentabilité économique de celle-ci.

L’avis de Favereau sur une éventuelle proximité entre Bourdieu et Becker est nuancé. Si selon lui « aucun doute n’est permis sur la posture critique affichée par Pierre Bourdieu », il n’en reste pas moins que « l’économiste hétérodoxe, qui a suivi jusqu’au bout le cheminement argumentatif de Pierre Bourdieu, est en droit de se demander s’il ne retrouve pas à l’arrivée, ce qu’il a cru abjurer au départ. » (Favereau, 2001, p. 269-270). Plus précisément, partant de la notion de capital humain, Bourdieu « étend spectaculairement la notion primitive, en intégrant un capital social, culturel, symbolique, etc., toutes formes de capital qui découlent de l’inscription dans un espace structuré, plutôt que d’une ressource intrinsèquement individuelle.

Toutefois, si l’extension est indéniable, non seulement elle n’est pas incompatible avec la théorie (à défaut du modèle) initiale, mais elle en augmente le pouvoir explicatif, à partir du moment où le profit associé à une certaine position structurelle est individuellement appropriable. » Pour Bourdieu, l’usage de la notion de capital est fondamentalement lié à l’importance qu’il accorde à l’histoire dans sa vision de la société : « le monde social est de l’histoire accumulée, et si on ne veut pas le réduire à une série discontinue d’équilibres mécaniques instantanés entre des agents traités comme des particules interchangeables, on doit réintroduire en son sein la notion de capital et avec elle, l’accumulation et tous ses effets.

Le capital est du travail accumulé (dans se forme matérialisée ou dans sa forme « incorporée ») qui, lorsqu’il est approprié sur une base privée, c’est-à-dire exclusive, par des agents ou des groupes d’agents, leur permet de s’approprier de l’énergie sociale sous la forme de travail réifié ou vivant. » (Bourdieu, 1986, p. 241). On comprend que la notion de capital ait un rôle à jouer dans une sociologie qui accorde une large place à l’étude des phénomènes de reproduction et d’héritage. Le capital est quelque chose qui s’accumule, se transmet et produit des effets durables dans le temps : ce concept est dès lors bien adapté à une vision du monde social où les pesanteurs sont fortes et la mobilité sociale difficile.

Dans la théorie économique, la notion de capital est également le moyen d’introduire le temps dans l’analyse : ce qui oppose fondamentalement l’investissement à la consommation est que les bénéfices de l’investissement ne seront perçus que dans l’avenir. Il y a dissociation entre le moment où la décision est prise et le moment où les effets en seront perçus. Néanmoins, la perspective est différente : Bourdieu insiste sur l’importance du passé dans la détermination des

conduites présentes. La théorie du capital humain met l’accent sur l’importance de l’anticipation de l’avenir sur les comportements actuels, semblant justifier l’assertion de Frédéric Lebaron selon laquelle « les acteurs rationnels sont des acteurs sans passé, orientés vers le futur, ajustant en permanence leurs actions à leurs objectifs sans référence à leur expérience sociale antérieure. (Cette capacité est liée à l’idée d’ « ajustement » utilisée au sujet des marchés.) » (Lebaron, 2004, p. 124). De plus, on peut se demander si le temps auquel fait référence la théorie du capital humain est réellement un temps historique. La décision de la durée optimale de formation semble être prise une fois pour toute, et l’avenir est entièrement rabattu sur sa rentabilité présente, par le biais de l’actualisation (Béret, 1983).

La notion de capital telle que l’emploie Bourdieu est intrinsèquement liée à la notion de pouvoir : le capital distingue un individu, définit sa position dans le champ, contribue à le classer du côté des dominants ou des dominés. Cette notion de pouvoir est bien évidemment présente dans l’usage que fait Marx du concept de capital. Mais elle est aussi présente dans le concept de capital humain entendu au sens étroit. Les compétences productives accumulées par l’individu porteur du capital lui permettent une participation accrue à l’activité de production des richesses, et par conséquent lui donnent le droit d’exiger une plus grande rémunération. On remarquera qu’il s’agit d’un pouvoir au sein de ce lieu abstrait qu’est le marché du travail, et non plus d’un pouvoir définissant des relations de domination entre personnes. Cette notion de pouvoir n’est plus présente dans les notions de capital personnel et de capital social. Ces deux stocks de capitaux viennent seulement transformer l’utilité subjectivement ressentie par l’individu. Dans la mesure où ils peuvent l’influencer à la hausse comme à la baisse, on s’éloigne des notions de rentabilité et de profit traditionnellement associées à l’idée de capital (et qui sont liées à la notion de pouvoir). On pourrait dire aussi que capital culturel et capital humain définissent la valeur de l’individu qui les possède (dans les champs où ce capital est efficient, chez Bourdieu, sur le marché du travail chez Becker). Cette idée de valeur n’est plus présente dans les concepts de capital personnel et de capital social, sauf à considérer qu’il s’agit d’une valeur purement subjective, ressentie par l’individu en son for intérieur.

Ainsi, la stratégie du développement humain en Tunisie vise à fournir les compétences et les qualifications requises et mettre en place l’infrastructure adéquate au développement de l’économie de savoir dans le cadre d’un plan d’actions national consistant à renforcer les politiques d’enseignement, de formation et de recherche scientifique et technologique. Les réformes prévues dans ce domaine seront axées sur l’amélioration de la qualité du système

d’éducation et de formation conformément aux standards internationaux et ce à travers le développement et la généralisation des fonctions d’évaluation et de certification dans le système éducatif, l’adaptation des spécialités aux besoins de l’économie tout en se concentrant sur les spécialités prometteuses afin de fournir des compétences humaines spécialisées répondant aux besoins des entreprises et des grands projets.

Les réformes porteront aussi sur le renforcement de l’ouverture de l’université sur son environnement et le développement de partenariats avec des universités étrangères ainsi que la réalisation d’un taux plus élevé de co-diplômes entre l’université tunisienne et ses homologues dans les pays développés. Par ailleurs, l’accent sera mis sur l’accroissement de la rentabilité du système de la formation professionnelle à travers la mise en vigueur du système de formation appliquée des étudiants, le développement des fonctions de vulgarisation, d’orientation et d’encadrement, l’ancrage de la culture du volontariat, de l’initiative et du travail associatif dans toutes étapes de l’enseignement ainsi que le relèvement des divers indicateurs de l’éducation et la réduction du taux d’analphabétisme.

Ces réformes ont pour objectif l’accroissement du nombre des qualifications techniques et des compétences scientifiques à travers le renforcement de la formation des ingénieurs et l’augmentation graduelle du nombre des diplômés de 450 actuellement à 7000 ingénieurs en 2011 pour atteindre 9000 ingénieurs en 2014 de manière à relever le nombre des diplômés dans les filières scientifiques et d’ingénierie de 26 mille à 37 mille en 2014.

Les efforts se concentreront, dans le cadre du développement du système de recherche et de technologie, sur la mobilisation des financements nécessaires à la recherche et développement et ce, à travers la dynamisation des interventions du Fonds de l’innovation et de développement technologique au titre de la participation au capital des entreprises industrielles innovantes qui développent un nouveau produit ou fournissent un nouveau service dans les activités prometteuses et les projets innovants. Les efforts seront focalisés sur l’incitation des entreprises nationales à affecter 1% de leurs chiffres d’affaires au financement de la recherche et développement ce qui hissera la part de la recherche scientifique et de la technologie dans le PIB de 1.25% actuellement à 1.5% à l’horizon 2014, permettant de rendre la Tunisie une plateforme technologique avancée.

L’action portera, aussi, sur la promotion et l’encouragement des contrats de partenariat dans le domaine de la recherche et développement entre les entreprises de production, les

institutions universitaires et les centres de recherches ainsi que le lancement des réseaux sectoriels pour l’innovation, l’instauration de système de qualité au sein des centres de recherches, l’encouragement du secteur privé à l’utilisation intensive des nouvelles technologies outre l’élargissement du réseau de pépinières autour des établissements de l’enseignement supérieur et leur généralisation aux écoles d’ingénieurs, aux instituts des études technologiques et aux pôles de développement.

L’investissement massif dans le secteur de l’éducation suscite des interrogations, est-ce en diplômant plus que la Tunisie accédera à un meilleur niveau de développement ?

Il existe un lien étroit entre l’éducation et le développement, car une population éduquée et scolarisée est plus a même de comprendre les enjeux du développement local et de la mondialisation que celle qui n’a pas reçue d’éducation. Mais dans le contexte tunisien ou africain, il est plus judicieux d’adapter la formation par rapport au monde de l’entreprise. Car ce n’est pas en diplômant plus que le pays accédera à un meilleur niveau de développement, plus tôt il faut trouver une adéquation entre la formation et le marché du travail afin d’éviter le chômage de masse. La microfinance contribue à la création de l’emploi sur le plan local et elle concerne les diplômés et les populations qui n’ont aucune formation universitaire. Pourvue qu’elles soient prêtent à exercer une activité génératrice de revenus. Une bonne adéquation entre les différentes politiques d’éducation, de l’emploi et le développement du secteur de la microfinance contribuerait-elle à l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement d’ici à 2015 ?

2.5. Les Objectifs de développement pour le millénaire