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PARTIE 3  : TROUVER L’ESTIME DE SOI 

I)  FAIRE SON AUTOPORTAIT PLURICULTUREL 

1)  Les cartes langagières 

Si l’estime de soi chemine au gré des identités que l’on négocie avec ses pairs, il existe certainement des identités qui ne sont pas négociables, celles qui relèvent du domaine familial. Le vécu familial est un terrain d’une richesse considérable auquel l’école a peu recours. Pourtant, c’est là que se construisent une part importante des compétences plurilingue et pluriculturelle qui pourront par la suite s’actualiser dans la société.

« La compétence pluriculturelle est relativement autonome par rapport aux contenus scolaires: le modèle scolaire d'apprentissage peut faire l'objet d'un refus explicite; la compétence pluriculturelle continue à se structurer, une fois le parcours scolaire terminé. Le contact vécu sur le mode non-scolaire avec les communautés dont le plurilingue est un acteur peut contribuer à modifier la hiérarchie des langues et les représentations culturelles qui ont été mises en place à l'école. Les marchés sur lesquels s'actualise la compétence pluriculturelle du plurilingue sont généralement situés en marge du contexte scolaire : entreprise, milieux politiques, religieux. L'espace social est, comme l'espace géographique, abordé sur le mode conquérant et toute une phase de la période de la vie de jeune adulte se caractérise par l'expansion continue de ces espaces. Les choix professionnels sont l'aboutissement de ce processus auquel ils peuvent mettre fin ou qu'ils peuvent contribuer encore à développer. Le choix d'un conjoint étranger, l'expatriation prolongée, l'éducation bilingue des enfants et la valorisation de leurs expériences précoces du voyage contribuent à inscrire cette expansion dans des choix identitaires qui marqueront à leur tour la génération suivante. » (Coste & al., 2009 : 22)

Le guide européen du plurilinguisme nous indique donc la direction dans laquelle il faut regarder : vers l’avenir. La hiérarchie des langues si rigide à l’école pourrait s’en trouver modifiée, les choix identitaires réhabilités. Dans la carte qui figure ci-dessous, on constatera que le français n’est pas mentionné et que la langue dominante est pour cet adolescent le « malgash ».

96 Est-ce sa langue d’identification, au sens où son vécu identitaire pourrait être « celui d’une identité tranquille, menacée, remise en question occasionnellement… » plurilingue ? Nous pouvons nous poser à chaque carte la question d’une renonciation symbolique à certaines composantes du répertoire plurilingue de l’élève. Mais il ne faut jamais oublier que « le plurilinguisme se construit au fil de l’histoire des individus et il en reflète les trajectoires sociales : […] il y a déplacement des langues, des dominances et des modes de transmissions» (Beacco, 2005). Les compétences acquises, qu’elles soient stratégique, discursive, socioculturelle, linguistique et sociolinguistique,66 qui ont été déjà exercées dans le creuset familial se retrouvent plus tard et peuvent à nouveau être exercées. Même si elles n’ont pas subies un entraînement systématique, ne sont-elles pas susceptibles de resurgir au moindre stimulus ?

La carte suivante présente une diversité plus étoffée qui laisse supposer la pratique de l’alternance codique ou des mélanges avec un nombre d’interlocuteurs réduit, Papa, Maman et Grand-père qui parle le shicomori de Moroni, tandis que l’élève d’après les flèches lui parle en français et en créole, tandis qu’il parle en français, créole et maoré à ses parents qui lui répondent dans les trois langues.

« Disposer de compétences dans plus d'un seul code linguistique, c'est pouvoir passer d'une langue à l'autre, selon les situations. Mais il arrive aussi que les plurilingues, entre eux, passent d'une langue à l'autre, parfois au sein d'un même énoncé. Il s'agit d'un phénomène courant dans les familles bi- et plurilingues, qui marque des fonctionnements linguistiques et emblématiques au sein de communautés particulières. » (Coste & al., 2009 : 18)

Ce phénomène est parfois difficile à décrire par les locuteurs adolescents ; il peut en effet leur paraître anormal, et ils préfèrent le cacher. Pourtant,

66compétence linguistique: la capacité de formuler et d'interpréter des phrases grammaticalement

correctes et composées de mots pris dans leur sens habituel;

• compétence sociolinguistique: la conscience de la manière dont des facteurs tels que l'environnement, l'établissement d'une relation entre les interlocuteurs, l'intention de communiquer, etc., ("caractéristiques d'une situation de communication") conditionnent le choix des formes linguistiques - le mode d'expression;

• compétence discursive: la capacité de recourir à des stratégies appropriées pour construire et interpréter des textes, notamment ceux formés par un enchaînement de phrases;

• compétence stratégique: la capacité de recourir "à des stratégies de communication, orales ou non, qui visent à compenser une connaissance imparfaite du code linguistique ou toute autre cause d'interruption de la communication";

• compétence socioculturelle: la conscience du contexte socioculturel dans lequel évolue la population qui parle la langue concernée, ainsi que de l'incidence dudit contexte sur le choix et l'effet de communication des formes particulières de langage;

• compétence sociale: la capacité d'adopter des stratégies sociales propres à réaliser les buts de communication personnels.

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« Dans la conversation ordinaire, le parler bilingue intervient dans des interactions entre membres de la même communauté, lorsque ceux-ci évaluent que la situation autorise (ou requiert) l'utilisation plurielle des langues. Le passage d'une langue à l'autre dans le même discours n'est pas un indice de l'incapacité des locuteurs à les distinguer clairement. En fait, pouvoir passer d'une langue à l'autre suppose la maîtrise de tous les systèmes en contact: à l'intérieur d'une séquence alternée, chaque langue répond à ses propres règles. Mais surtout, l'alternance s'inscrit dans un fonctionnement social, qui régule ses modes d'apparition et les valeurs stratégiques qui s'y attachent. Le recours au parler bilingue dans les conversations entre pairs permet de focaliser doublement le message, par la mise en incise du contenu, et le rappel de l'adhésion à un système de normes culturelles et linguistiques propres au groupe. » (Coste & al., 2009 : 18)

Celle qui se situe à droite représente une autre situation où se cotoient le mahorais et le créole, cette dernière langue semblant progresser sur le « maoré », puisque toute la génération de l’élève parle en créole.

ILLUSTRATION 30 : CARTES LANGAGIERES D’ELEVES MAHORAIS

On peut se poser un nombre infini de questions concernant les usages langagiers dans les familles, et on se rend compte des lacunes d’informations qui sont les nôtres quand il s’agit de traiter d’un sujet comme celui de la manière d’être aux langues ; il est probable qu’elle est dans chaque famille différente et que des points communs existent. Toutes les questions peuvent être résolues dans le creuset familial ; le guide européen dans sa version de synthèse de 2007 évoque une adhésion à des principes définissant cette manière d’être. Gageons que ces élèves sont probablement mieux placés que nous pour dire ce que devraient être ces principes, parce que leurs pratiques langagières et la réflexion qu’ils ne manquent pas

98 de tenir dessus sont les premiers éléments d’une fondation de l’acceptation positive de la diversité.