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Les activités liées à la problématique identitaire ayant démarré sur des cadrages posant l’insulte comme la manifestation d’une imitation des personnes de son environnement ont pris une allure plus ordinaire avec l’exploration en 6ème d’un conte malgache. Ce conte intitulé « N’ Dronga » raconte la création du monde ; il s’agit donc d’un mythe qui met en scène des animaux en rivalité pour la prise de contrôle du Royaume de la forêt. Le conte est présenté sous forme de trois textes, français, créole, et malgache. Il est lu par les élèves volontaires. Ce volontariat est orienté selon les préférences affirmées. Très rapidement un élève est volontaire pour lire le texte malgache et il renouvelle son offre à chaque séance. Trois autres élèves acceptent d’entrer dans la lecture du créole. D’autres, souvent des élèves mahorais préfèrent lire en français. A chaque tour de lecture, nous écoutons les commentaires. Qui a compris le texte en créole ? Le texte malgache ? Quelles sont les difficultés de lecture que l’on rencontre ? Que signifie le fait de lire, d’entendre les suites de sons sans pouvoir en tirer une signification ? Toutes ces questions permettent d’explorer la notion de langue. Les activités de lecture créent un espace d’accueil pour les sons différents et placent la notion de prononciation juste au centre des séances. A-t-on déjà entendu ces sons ? A-t-on cherché à les imiter ? Comment apprend-on les mots d’une langue sinon en cherchant à les répéter le plus justement possible ? Chaque élève peut se situer dans ce questionnement d’ordre métacognitif, et transposer pour lui-même : sons appris tout petit avec sa maman, entendus d’un parent proche parlant une autre langue que la maman, sons entendus ensuite à l’école coranique où ils sont appris par cœur, ou à l’école laïque où ils sont l’objet d’un apprentissage différent, toutes ces distinctions permettant de différencier les contextes dans lesquels des approches des langues ont lieu. Le lecteur volontaire du texte malgache déclare ainsi passionnément son attachement à cette langue en même temps qu’il prétend comprendre ce qu’il a lu, mais il lui arrive aussi de se rétracter. L’important est que ce garçon, dont les difficultés scolaires sont connues et qui est accompagné d’un auxiliaire de vie scolaire, puisse exprimer son plaisir pour des sonorités inconnues, en même temps que son désir de parler cette langue. En la prononçant, il fait semblant de la comprendre et prend une place parmi ses camarades, celle de celui qui connaît le sens de ces mots difficiles à prononcer. Il s’approprie ainsi, symboliquement un droit à la parole dans la langue de sa famille. Et son sentiment d’appartenance à la communauté malgache s’épanouit au milieu d’un groupe qui l’accepte tel qu’il est. J’ai par ailleurs observé que le deuxième locuteur de cette langue malgache se montrait beaucoup plus prudent que le premier. Il déclinait de plus en plus souvent l’offre de lecture, arguant qu’il n’était pas malgache tout en soutenant que le premier lecteur ne

36 prononçait pas correctement les mots. Ce paradoxe mettait en lumière son sentiment ambivalent par rapport à sa communauté d’origine.

La lecture du conte en créole s’avère tout de suite plus difficile : il ne faut pourtant pas y renoncer. D’après Gauvin, cela permet de préserver la culture créole.

« Il faut d’abord convaincre de la nécessité d’écrire et de lire en créole ; et que des choses intéressantes, importantes, incontournables pour notre culture, sont écrites et peuvent l’être en créole. Pour cela, il faut amener le maximum de non convaincus à lire. […] Il nous faut ensuite une écriture présentant, dans la correspondance phonème- graphème, le moins de contradictions possibles avec les solutions les plus fréquentes de l’orthographe du français. Ce qui permettrait de ne pas prendre à rebrousse-poil les réflexes acquis à l’école par la lecture et l’écriture permanente du français. C’est là un deuxième compromis entre les habitudes de lecture d’une part et l’allure propre que les mots du créole, pour limiter les interférences sémantiques d’avec le français doivent avoir. » (Gauvin, 2005 :141)

Mais ce travail pour aboutir à une standardisation de l’écriture créole qui doit se satisfaire de compromis intelligents entre quatre systèmes d’écriture28 n’est pas encore achevé. Les élèves ne sont pas habitués à cette écriture. Ils se heurtent à chaque mot sans en comprendre le sens. Un facilitateur de compréhension est proposé par les élèves après quelques essais en séance : « nou li an français pou aprè nou comprende sak nou li et apré nou li le kréol». On cherche donc des correspondances terme à terme. On remarque au passage que ce n’est pas possible de « faire pareil » pour les textes malgache et français. Pour quelle raison ? Le troisième élève malgachophone par sa mère biologique qui se situait également en retrait pour les opérations de lecture répond qu’on ne sait pas du tout ce qu’on lit quand on lit le malgache, donc que ça ne sert à rien d’utiliser cette tactique. De même conviennent plusieurs élèves créolophones et mahorais, on ne sait pas ce qu’on lit en créole, ou plutôt on ne sait pas tout, on sait un petit peu seulement. La lecture en français puis en créole est donc adoptée, longtemps après les premières lectures du texte créole. Le sens est maintenant accessible. Une sorte de fierté se dégage à la lecture des phrases créoles. C’est du créole, c’est notre langue ; bien sûr que nous la comprenons. La difficulté n’a été avouée et dépassée qu’à la 3ème séance. Les volontaires pour la lecture s’étant fait moins nombreux, il avait fallu analyser cette situation nouvelle et mettre à jour les sentiments ambivalents face à la dépossession éprouvée. La lecture préliminaire du texte en français était devenue une garantie pour les élèves d’une véritable compréhension du créole grâce à la disposition en colonne permettant de situer chaque paragraphe et d’effectuer la fameuse correspondance terme à terme. Cependant le doute était né chez un élève créolophone : « c’est même pas le vrai créole ! » avait-il dit. Ce fut l’occasion de présenter les systèmes d’écriture et d’expliquer les variations linguistiques entre les hauts et les bas29.

Les élèves se sont donc essayés à des comparaisons entre les écritures en langue créole, français et malgache. Ils ont été déçus par la comparaison français/malgache, aucun mot dans le vocabulaire malgache ne paraissant traduisible. En revanche entre le texte créole et celui en français, il y avait de très nombreuses ressemblances qu’il était possible de faire apparaître une fois la difficulté du déchiffrage dépassée. Cette difficulté n’a pas fait d’exception chez les

28 Lékritir 77, KWZ, Tangol et écriture étymologique.

29 Hauts de l’île, Bas de l’île : La Réunion est une île volcanique dont le sommet, le Piton des neiges

dépasse 3000m. La répartition de la population –petits blancs des Hauts ou yabs, kafs des Bas, etc- correspond à autant de manières de parler différemment le créole réunionnais.

37 élèves. Aucun n’a déclaré l’écriture créole facile à lire, même si les sonorités créoles se dégageaient progressivement des essais de lecture. Je reparlerais plus tard du problème de la graphie choisie pour transcrire le créole et de la façon dont la problématique de l’écriture créole est posée aujourd’hui. Je me borne pour le moment à observer la difficulté de lecture des élèves qu’ils soient ou non créolophones.

Ces séances de lecture ont été des opportunités pour valoriser le lexique malgache d’un élève, même si le nombre de mots qu’il possédait était limité et s’il se découvrait très hésitant sur leur signification. Elles ont aussi permis à travers des objets linguistiques choisis par les élèves d’explorer certaines notions de la langue, par exemple de faire la liste des pronoms personnels dans les trois langues du texte, puis sous la pression des élèves mahorais et de l’élève indo-pakistanaise, de projeter d’y ajouter les correspondants mahorais et hindi.

Il est intéressant de noter que les élèves mahorais n’étaient pas d’accord entre eux sur cette liste et se sont disputés au sujet des pluriels des pronoms ; de même, l’élève d’origine malgache avait promis de demander à sa mère des précisions, mais il n’a jamais pu fixer sur un document écrit ce qui lui était demandé. Enfin, le passage de l’écriture arabe traditionnelle et de l’hindi à l’alphabet latin n’a pas été senti comme faisable par l’élève d’origine indienne.

Ma demande d’intervention de l’adulte relais de langue shimahoraise du collège, Madame Fairouzane me permit de mettre un terme aux querelles entre élèves. De même des discussions avaient eu lieu pour déterminer les pronoms personnels de la langue créole, en particulier ceux du pluriel. Cette difficulté était beaucoup plus facile à résoudre que la précédente en raison du nombre de créolophones parlant couramment le créole y compris dans la classe ; pour cette raison, il était possible de récupérer les variantes lu / li à la 3ème personne du singulier, toué/ ou à la 2ème, mi/ moin/ ma à la 1ère, etc.

Lors de son intervention, Mme Fairouzane bien qu’elle fût d’origine anjouannaise et parlât le dialecte d’Anjouan précisa les termes adéquats en shimaore.

Un débat sur les langues s’instaura au cours duquel chaque élève devait dire quelle était la langue qu’il aimait parler. On peut étendre cette préférence aux langues au contact desquelles on se trouvait à la maison, à l’école, dans les quartiers ou dans d’autres lieux. Ainsi sur 12 élèves se déclarèrent locuteurs des langues suivantes ou en contact régulier avec :