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CHAPITRE 2 La variabilité des effets du soutien social

3. Les effets du soutien social : une grande variabilité

3.2. Des effets négatifs du soutien social

3.2.2. Les aspects problématiques de la perception de soutien

D'après Buunk et Horens (1992), les recherches sur le rôle du soutien social et ses effets sur le stress sont donc, selon les cas, difficilement interprétables, voire parfois même contradictoires. Selon eux, ces faiblesses sont les conséquences d'un manque d'attention porté au rôle des processus interpersonnels et aux mécanismes par lesquels le soutien social produit ses effets. Ils montrent ainsi que la comparaison à autrui peut aggraver le stress, qu'un manque de réciprocité dans une relation de soutien n'affecte pas tous les individus de la même manière, et peut entraîner des effets négatifs.

a) Perception de soutien et baisse de l'estime de soi

D'après certaines recherches, le soutien social peut avoir un effet négatif sur l'estime de soi, le sentiment de compétence ou le sentiment de contrôle des sujets qui en bénéficient. En psychologie sociale, la revue de Fisher, Nadler et Whitcher-Alagna (1982) sur les réactions à l'aide offerte, conclut que la principale réponse au soutien est la baisse de l'estime de soi. Les personnes autonomes se sentent à ce égard plus menacées que les personnes dépendantes. "L'aide semble aussi d'autant plus troublante qu'elle provient de statut similaire au sien. Si elle provient d'une personne inférieure, elle menace moins l'estime de soi et, si elle est obtenue d'une personne supérieure, elle aura plus souvent valeur d'émulation et conduira davantage à se débrouiller seul" (Tousignant, 1988, p. 93).

Selon la théorie de l'équité, le don peut être considéré comme une atteinte à la liberté. Tout comme l'offre d'un service peut signifier l'incompétence de la personne qui en est le receveur. Pour certaines personnes, l'obtention de soutien diminuerait le sentiment de compétence en raison précisément du fait que le problème n'est pas résolu de manière individuelle (Solky- Butzel et Ryan, 1997). Les travaux de Krause (1987) ont montré en ce sens comment "trop" de soutien nuit au sentiment de contrôle des sujets bénéficiaires et développe chez eux un sentiment de dépendance.

b) Le risque du partage social des émotions

On peut aussi considérer que le partage d'émotions avec autrui puisse ne pas se révéler bénéfique. C'est du moins ce que laissent penser les résultats contradictoires relatifs à cette question. D'un côté, Horowitz (1986) ou encore Tait et Silver (1989) montrent que lorsqu'une personne parle à autrui de son expérience en tentant de déterminer les causes et les conséquences de celle-ci, le stress et ses effets néfastes s'estompent à long terme. Parler de

son expérience serait d'après les auteurs un moyen de faciliter le traitement de l'information émotionnelle, ce qui induirait une réduction des pensées et images mentales qui surviennent suite à un épisode traumatique.

Horowitz (1986) conclut ainsi que la seule évocation d'une expérience négative de forte intensité émotionnelle a des effets bénéfiques à long terme. Pourtant, certaines études ne parviennent pas à répliquer ce type de résultat (Greenberg et Stone, 1992 ; Stroebe, Stroebe et Schut, 1993 ; Zech et Rimé, 1996, cités par Christophe et Di Giacomo, 2003). Dans une étude longitudinale sur le deuil, Stroebe et al. (1993) ont par exemple demandé à 60 veuves et veufs de compléter un questionnaire sur leur état de santé physique et psychologique à trois reprises : 4 à 7 mois, environ 14 mois et 2 ans après le décès de leur conjoint(e). Les résultats ne montrent aucun effet bénéfique à long terme du partage social sur l'état de santé des sujets et indiquent même quelques corrélations négatives entre l'évocation de la perte du conjoint(e) et l'état de santé des sujets.

De la même manière, Zech et Rimé (1996), dans une réplication de l'étude de Horowitz (1986) ne parviennent pas à mettre en évidence un effet bénéfique à long terme du partage social des émotions sur la santé, le bien-être et la récupération émotionnelle des sujets interrogés. Selon Greenberg et Stone (1992), parler de ses expériences négatives à autrui pourrait même dans certains cas accentuer, plutôt que réduire, les émotions négatives qui leur sont associées, en raison des réactions inappropriées de l'entourage. "Si les réactions du partenaire du partage social sont un facteur déterminant du bénéfice de se confier, il est utile d'examiner quels types de comportements l'auditeur d'un récit émotionnel est susceptible de mettre en place" (ibid. p. 102). Ce qui introduit la question de l'évaluation du soutien social par son récepteur.

c) Le soutien perçu comme inapproprié et/ou contraignant

Dans une recherche récente, Capponi et Horbacz (2007) confirment d'une part, que les soutiens ne sont pas perçus de façon équivalente, d'autre part que certains d'entre eux, bien que fournis à titre préventif ou thérapeutique peuvent se révéler sources de mal être. Ils en donnent un exemple dans le cadre du suivi obstétrical de femmes enceintes pour la première fois : "le contact est aseptisé dans la mesure où le professionnel médical ne voit que trop souvent, en la jeune primipare, un objet d'examen, et non un sujet de relation" (Op.cit, p. 147). Les femmes ne se sentent alors pas suffisamment "partie prenante d'une relation créatrice" (Courtial et Le Dreff, 2004, p. 13).

Les conseils, les informations et les connaissances divulguées par l'environnement peuvent ainsi être considérées parfois comme "un empiétement provenant du dehors qui réduit l'espace et appauvrit le contenu" (Winnicott, cité par Davis et Wallbridge, 2002, p. 144). Par ailleurs, une réflexion est proposée sur le soutien marital et familial durant la période de grossesse ainsi que peu de temps après la naissance. "L'arrivée d'un bébé relève d'un système dynamique impliquant les professionnels de santé, la femme, le conjoint et leur famille qui se retrouvent tous aux confluents de plusieurs domaines à forte charge émotionnelle" (Capponi et Horbacz, 2007, p. 124). Cet élargissement de l'accompagnement au mari et à la famille doit être questionné : en effet, il s'avère que le soutien du mari ne semble pas adéquat pour de nombreuses jeunes femmes. Il en va de même pour le soutien de l'entourage plus large. Le soutien s'avère parfois tellement inapproprié que certaines jeunes mères préfèrent s'abstenir de parler de l'enfant ou de tout élément s'y rapportant, tandis que d'autres, déstabilisées, se trouvent dans un état de confusion.

Certaines tentatives de soutien ne s'avèrent donc pas fructueuses parce qu'elles ne surviennent pas au bon moment, parce qu'elles sont excessives ou tout simplement inappropriées (Coyne, Wortman et Lehman, 1988). Le soutien peut ainsi dans certaines situations, accroître l'impact du stress sur le bien être psychologique au lieu de l'atténuer ! (Christophe et Di Giacomo, 2003). C'est aussi le cas lorsque le soutien est "imposé" par les pourvoyeurs et est perçu par les destinataires comme une pression. Nous en donnerons ici deux exemples :

Rusniewski (2000) présente le cas d'une jeune femme soignée pour un cancer et qui reçoit le "soutien" quotidien d'une jeune infirmière. "A force de vouloir l'aider à réagir et à se battre, l'infirmière la bousculait sans cesse, avec gentillesse, mais fermeté...Mais en la faisant à son image, battante et souriante, que partageait elle de la souffrance d'un corps jeune, rongé par la maladie et sur lequel aucun trucage ne ferait jamais illusion ?" (Rusniewski, 2000, dans Jovenet, 2000, p. 16). La jeune femme recevait à la place du soutien social attendu et nécessaire, image fausse et enfermement. "Les malades ou les handicapés vont ainsi déployer des défenses pour se protéger d'un mal et d'une peur trop lourds à supporter : déni, rationalisation, régression, agressivité, humour…Mais ils ne sont pas les seuls : les soignants comme les parents, les enfants ou amis vont d'une autre façon mettre en place déni, mensonge, esquive, fausse réassurance ou identification projective (ibid., p.18).

Autre exemple, celui du soutien scolaire parental : obtenir une aide ou répondre à des encouragements place le sujet en position de devoir répondre aux espoirs et aux attentes placées en lui. Les appuis peuvent dès lors provoquer une émotion intense chez le receveur.

Ainsi Tousignant (1988) montre-t-il comment certains adolescents peuvent tout simplement abandonner leurs études si les parents investissent trop leur avenir scolaire et les "étouffent" par leurs conseils (Tousignant, 1988, p. 94).

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La relation de soutien social s'avère donc plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. Un soutien de même nature peut en effet avoir des effets différents chez les sujets bénéficiaires. La mise en évidence de tels effets contrastés récuse l'idée d'un soutien social constitué comme une ressource en soi, en dehors de la manière dont les receveurs le signifient et se l'approprient. C'est à l'approfondissement de cette piste de recherche sur l'appropriation du soutien social quer notre thèse souhaite contribuer, dans le prolongement des investigations engagées sur ce thème dans notre équipe. Avant de les évoquer dans la problématique (chapitre 4), nous proposons au chapitre suivant de préciser les processus auxquels renvoient ce concept d'appropriation.